le blog de corinne morel darleux - Anticipationsécosocialisme intégral (graines, fleurs et épines)2019-04-02T13:11:21+01:00corinne morel darleuxurn:md5:467a5556a65b8cfe131b566bf9774e18DotclearTrois fois la fin du monde ("Cartouche" pour Ballast)urn:md5:1d092b981dea18f0abf1d719bedf5a6e2019-02-11T10:19:00+01:002019-02-11T10:20:45+01:00corinne morel darleuxAnticipationsDystopiesFiction de l effondrement <div><a class="media-link" href="http://www.lespetitspoissontrouges.org/public/ballast.png"><img alt="ballast.png" class="media" src="http://www.lespetitspoissontrouges.org/public/.ballast_s.png" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;" title="ballast.png, fév. 2019" /></a>Dans les <a href="https://www.revue-ballast.fr/cartouches-39/">"Cartouches n°39" de la revue Ballast</a>, ma contribution sous forme de chronique d'une Robinsonade post-apocalyptique parmi de nombreuses munitions pour l'esprit : "le <em>goût des cerises, une Terre sans oiseaux, une expérience du monde, la frénésie contemporaine, un paysage balafré, un Nietzsche à deux visages, un rêve américain brûlé, une géographie libertaire, les femmes de la guerre, la vie polaire et l’exil</em>"...</div>
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<h3><a class="media-link" href="http://www.lespetitspoissontrouges.org/public/divry.jpg"><img alt="divry.jpg" class="media" src="http://www.lespetitspoissontrouges.org/public/.divry_s.jpg" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;" title="divry.jpg, fév. 2019" /></a>Trois fois la fin du monde, de Sophie Divry</h3>
<div>C’est là une robinsonnade contemporaine à la fois dure et belle, pleine d’amour et de rage. Trois tableaux, un personnage. L’écrivaine Sophie Divry nous propulse dans la tête de Joseph Kamal à son arrivée en prison. Le récit est raide, sans complaisance : des cellules surpeuplées, un quotidien fait d’aléatoire et de promiscuité. La tension carcérale est toxique, la violence dans toutes les veines. Joseph va d’abord y perdre sa dignité, puis son empathie. C’est la première fin du monde : un condensé du pire des sociétés humaines, une étape préliminaire. Joseph en sort brisé. Deuxième acte, la catastrophe vient d’avoir lieu. On en sait peu, juste qu’elle est d’origine nucléaire. Tout s’est effondré, la prison comme la moitié de l’Europe. Joseph s’en sort et décide de se réfugier dans la zone interdite. Réveil du misanthrope qui sommeille en chaque lecteur : l’homme est enfin seul, libéré de ses congénères et des entraves de la société. Il dispose de maisons désertées et de supermarchés ; tout lui appartient désormais : le fantasme de l’abondance sans la société. Joseph va s’y construire une nouvelle vie. Sans êtres humains mais non sans compagnie : animaux, rivière, champs et forêt… Joseph explore son nouveau territoire, apprend à l’habiter et, en y cherchant les moyens de sa subsistance, l’apprivoisera tout autant qu’il se laissera apprivoiser. Il y a de l’Enfer et de l’Éden dans Trois fois la fin du monde. De la solitude, entre luxe et calvaire. De la communion avec la nature. Des déconvenues et de la joie à redécouvrir les saisons, de la peine et des satisfactions au travail de la terre, des attachements profonds qui sauvent comme ils désespèrent. En alternant récits et monologues, par ses changements de rythme littéraire, Sophie Divry réussit une fiction à la fois nerveuse et sensible, et revivifie le pourtant très abondant registre « post-apo » du dernier Homme sur Terre en l’ancrant dans l’intime et le réel. Une pépite. [C.M.D.]</div>
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<div><em>Éditions Notabilia - Noir sur Blanc, 2018</em></div>Anticipations (7) L'abondance à la finurn:md5:ca01de71a4904e187191cda4c19535b82018-05-02T08:00:00+02:002018-09-03T14:46:45+02:00corinne morel darleuxAnticipationsCollapsologieFiction de l effondrement <p><a class="media-link" href="http://www.lespetitspoissontrouges.org/public/deer.jpg"><img alt="deer.jpg" class="media" src="http://www.lespetitspoissontrouges.org/public/.deer_s.jpg" style="float: left; margin: 0px 1em 1em 0px;" title="deer.jpg, avr. 2018" /></a></p>
<p><em><strong>Septième chronique de ma série "Anticipations'" sur les fictions de l'effondrement.</strong></em></p>
<p>Dans I Am Legend (2007), une manipulation génétique destinée à sauver l’espèce humaine a finalement provoqué son extinction - ou plus précisément sa mutation. Un homme en réchappe. Il est noir, jeune, sportif, militaire gradé, expert. C’est le dernier homme sur Terre, un thème récurrent du roman post-apocalyptique et du cinéma d’anticipation. Presque le dernier : il y a une survivante, une évangéliste gentiment illuminée et pétrie d’espérance.</p>
<p>Dans The World, The Flesh And The Devil (1959), c’est une guerre nucléaire qui a radié les êtres humains de la surface de la planète. Le survivant, Ralph Burton, est un mineur afro-américain. La survivante, une jeune et jolie blanche de bonne famille. Et on est encore à l’époque de la ségrégation raciale aux États-Unis.</p>
<p>En guerre contre les mutants que sont devenus les humains après la pandémie, Robert « Legend » Neville vit seul avec son chien et son stock d’armes, dans une ville retournée à l’état sauvage. La végétation s’est emparée du bitume. Des arbres poussent dans les interstices du béton. On ne peut s’empêcher de penser à Tchernobyl, où les populations de cerfs et de sangliers ont explosé. Ou à la zone contaminée de Fukushima, où ce sont les ratons laveurs et les cochons sauvages qui se sont multipliés : ces nouveaux sangliers sont passés de 3 000 à 13.000 individus en deux ans. Et il faut reconnaître le caractère jubilatoire des décors du film, l’exultation à voir ces bandes de cervidés s’éparpiller en bondissant au milieu des voitures à l’arrêt.</p>
<p>Comme il y a une légère ivresse, un vertige à imaginer la profusion de possibilités ouvertes par l’abolition soudaine et totale de la propriété privée.</p>
<p>La ville est devenu un désert de liens, mais aussi un océan de biens. Dans The World, The Flesh And The Devil, il n’y a soudain, pour l’ouvrier comme pour la bourgeoise, qu’à tendre la main pour changer de maison chaque jour, s’inviter dans les plus belles salles de restaurant, emprunter un costume de luxe ou une robe de bal qu’on ne prendra même pas la peine de laver, des assiettes fines et délicates qu’on jette par la fenêtre après les avoir utilisées. Un pur fantasme d’hubris et de démesure - sans vergogne ni remords, puisque l’effondrement est arrivé. Une pensée entre sacrilège et péché en ce début de 21e siècle, où la seule perspective d’avenir passe par la pondération, la mesure et la sobriété - volontaire ou forcée.</p>
<p>Le paradoxe d’une société de l’abondance par le vide.</p>
<p>Mais Neville est un officier. Il ne baguenaude pas dans la porcelaine et la soie, il a une mission. Sauver l’humanité. Alors il capture des mutants pour recommencer l’expérience : trafiquer le vivant, l’injecter, observer, compter les morts et recommencer. Aveuglé par une volonté de fer et animé d’un objectif dont rien ne peut le dévier : celle de retrouver l’humain d’avant. Obsédé par le retour en arrière, Neville passe à côté du monde d’après : tout mutants qu’ils sont, ses cobayes ont conservé leur part d’humanité. Et cette capacité à ressentir, aimer, se battre et planifier, retire au dernier homme sur Terre, leur tortionnaire, sa propre humanité.</p>
<p>La notion de classes et l’examen du tabou racial de la fin des années cinquante ont été remplacés dans les années 2000 par la rectitude militaire et le héros survivaliste. Mais la nature demeure et dans les deux cas, la fin du monde aura au moins gagné un point : tout est à nous, enfin.</p>
<p style="text-align: right;"><em>The World, The Flesh And The Devil (Le Monde, la chair et le diable) - Ranald MacDougall – 1959</em></p>
<p style="text-align: right;"><em style="text-align: right;">I Am Legend (Je suis une légende) - Francis Lawrence - 2007</em></p>Anticipations (6) Boire la lumièreurn:md5:2ddf1f5231c20f35e1c3ad8dcefa0b742018-04-05T07:42:00+02:002018-09-03T14:46:00+02:00corinne morel darleuxAnticipationsClimat et CopCollapsologieFiction de l effondrement <p align="center" style="margin-bottom: 0cm; font-style: normal; line-height: 100%; page-break-before: always"><img alt="parhelie2.JPG" class="media" src="http://www.lespetitspoissontrouges.org/public/.parhelie2_s.jpg" style="color: rgb(7, 130, 193); text-align: -webkit-right; float: left; margin: 0px 1em 1em 0px;" title="parhelie2.JPG, avr. 2018" /></p>
<p><em><strong>Sixième chronique de ma série "Anticipations", dans laquelle je reviens cette fois sur le paradoxe glacé du réchauffement climatique, autour du livre Les Buveurs de Lumière. Un appel à rayonner comme des putains d'ange.</strong> </em></p>
<p style="text-align: center;">***</p>
<blockquote>
<p>La femme penche la tête en arrière et fixe le soleil si bien que ses yeux s’illuminent, que les rides escarpées de son visage s’adoucissent et que ses cheveux blancs sont auréolés d’un halo.</p>
<p>- Vous regardez le soleil en face ? s’étonne Stella.<br />
- Je regarde juste en dessous.<br />
- Vous allez devenir aveugle.<br />
- Non. J’ai appris à le faire avec les buveurs de lumière, ils viennent des îles qui se trouvent plus au Nord. On peut absorber la lumière jusque dans ses chromosomes puis, au plus sombre de l’Hiver, quand il n’y en a plus du tout, on se met à rayonner, rayonner, rayonner. C’est ce que je fais.</p>
<p>- Vous rayonnez ?<br />
- Comme un putain d’ange.</p>
</blockquote>
<p>Boire la lumière tant qu’il y en a, se jeter dehors tête baissée dès que le soleil paraît, guetter le Printemps avec impatience et anxiété. Retrouver le chant du merle avec ravissement, se laisser aller au plaisir de la caresse d’un rayon sur sa peau, persévérer à jardiner à demie gelée jusqu’au soir pour ne pas perdre un iota de lumière, irradier de gratitude et d’espoir. On peut sortir de la lecture des Buveurs de Lumière frigorifié et désespéré. Ou on peut décider de refermer le livre bel et bien décidée à vivre et à savourer chaque grain de chaleur, chaque bourgeon en fleur, chaque atome de journée.</p>
<p>Les buveurs de lumière suit mois après mois l’inexorable refroidissement du Gulf Stream et l’arrivée d’une nouvelle ère glaciaire. De Novembre 2020 à -6°, au 19 mars 2021 où la température a chuté à -56°, on regarde vivre en Écosse, dans un coin oublié du monde, un géant barbu et tatoué, une cireuse de lune, une gamine transsexuelle à la langue déliée qui se font face, se cherchent et se trouvent sur fond de Neil Young, d’amours interlopes, de corps qui se réchauffent au fond des caravanes, d’alambics de fortune qui permettent de fouetter le sang et d’oublier l’espace d’un instant qu’il n’y a plus d’oiseaux. Il y a de l’appréhension, des engelures, des taxidermistes bornés mais aussi des soirées emmitouflées dans une peau de Loup à regarder la Lune en buvant du vin chaud.</p>
<p>Dans Les Buveurs de Lumière, au fil des événements, on apprend par des extraits télévisés et radio que d’énormes quantités d’eau douce se déversent dans l’Océan depuis les calottes glaciaires qui fondent. Des militants écologistes manifestent devant Westminster, les villes sont petit à petit paralysées, et les alertes rouges s’allument successivement en Europe, au Canada, aux États-Unis, en Amérique du Sud, en Afrique. Un iceberg détaché de Norvège, prénommé Boo, se dirige vers les côtes de Clachan Fells où la collectivité tente d’organiser abris chauffés, distribution de nourriture et solidarité. Dans le ciel, un parhélie montre trois soleils. Et le 8 décembre 2020, pour la première fois, les leaders écologistes sont enfin invités à se joindre à une conférence extraordinaire aux Nations Unies : il fait -19° et « les délégués affirment que ceci dit être la première conversation sérieuse et honnête à propos du changement climatique ».</p>
<blockquote>
<p>« Par ce froid les mots ressemblent à des cristaux, ; ils restent suspendus en l’air »</p>
</blockquote>
<p>Cette fiction dystopique nous rappelle que le dérèglement climatique n’est pas un phénomène simple et linéaire : il combine à la fois sécheresses et inondations, canicules et pics de froid. Raison pour laquelle beaucoup préfèrent parler de changement ou de dérèglement du climat plutôt que de réchauffement, tant il est établi aujourd’hui que nous entrons en la matière en terra incognita. Avec la fonte due au réchauffement actuel, par exemple, la glace de l’Arctique ne réfléchit plus les rayons du soleil, son albedo faiblit, la zone se réchauffe, l’air chaud monte vers l’atmosphère et pousse cet air polaire vers le Nord de l’Europe et de l’Asie qui peuvent alors connaître des hivers très rigoureux. Cela fut le cas en 2005-2006, avec des températures inférieures de 10° à la normale en Sibérie. C’est toute la complexité du phénomène, qui devrait interdire tout raccourci et propos simpliste : dans le monde réel, aussi contre-intuitif que cela puisse paraître, parfois il fait plus froid parce qu’il fait plus chaud.</p>
<blockquote>
<p>« - C’est les calottes polaires qui fondent, ça refroidit tout l’air au-dessus de la mer. Le Gulf Stream n’arrive plus à se réchauffer, intervient Stella.</p>
<p>- Oh, ça n’a rien à voir avec ces bêtises, ma belle, dit Quenotte.</p>
<p>- C’est quoi alors ?</p>
<p>- C’est la vieille Dame Hiver. Elle veut récupérer ses Loups. »</p>
</blockquote>
<p>Mais Les Buveurs de Lumière est avant tout un rappel. Celui que le pire n’est jamais certain tant que l’être humain cherche à boire la lumière sans craindre d’être aveuglé. Il n’y a de Cassandre utile que là où il y a soif de connaissance, et volonté de regarder les circonstances en face de manière lucide et éclairée. Goethe sur son lit de mort se serait exclamé « Mehr Licht ! ». Plus de lumière. Là où certains n’y virent que le souhait d’ouvrir la fenêtre afin de voir une dernière fois la lueur du jour, d’autres l’interprétèrent comme le désespoir de n'avoir pu amasser assez de savoir dans sa vie. Et si les deux étaient liés ?</p>
<p>La recherche, la curiosité de l’esprit, la capacité à comprendre sont nos meilleures alliées face à la catastrophe. Et l’émerveillement. Celui ressenti par Dylan, Stella et Clémence face aux silhouettes de glace pointues qu’on appelle « pénitents », formés de soleil, de rosée, de carbone et de glace ; l’espoir qui niche dans des bourgeons de fleurs de cerisier attendant le dégel ; le cœur étreint par le vol d’un oiseau de proie ; cette capacité à l’émerveillement que rien ne doit éteindre, même par vents contraires. Rayonnons comme des putains d’anges.</p>
<p style="text-align: center;"><a class="media-link" href="http://www.lespetitspoissontrouges.org/public/buveursdelumiere.jpg"><img alt="buveursdelumiere.jpg" class="media" src="http://www.lespetitspoissontrouges.org/public/.buveursdelumiere_s.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="buveursdelumiere.jpg, avr. 2018" /></a></p>
<p style="text-align: center;"><em>Les buveurs de lumière, de Jenni Fagan, éditions Métailié – 2017</em></p>Anticipations (5) 232.8 degrés Celsiusurn:md5:b3977ab3329674670e70a288f5a636f62018-03-07T18:16:00+01:002018-09-03T14:45:43+02:00corinne morel darleuxAnticipationsCollapsologieDystopiesFiction de l effondrement <div class="moz-text-html" lang="x-unicode">
<p align="center" style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%; break-before: page;"><font style="font-size:
16pt"><b><span style="background: transparent"><a class="media-link" href="http://www.lespetitspoissontrouges.org/public/farenheit.jpg"><img alt="farenheit.jpg" class="media" src="http://www.lespetitspoissontrouges.org/public/.farenheit_s.jpg" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;" title="farenheit.jpg, mar. 2018" /></a></span></b></font></p>
<p><em><strong>Cinquième chronique de ma série "Anticipations", dans laquelle je reviens cette fois sur des bibliothèques de fin du monde, autour de livres et de films comme autant d'effets miroirs pour parler de nature et de culture, de préservation de l'art et de littérature, même quand tout s'effondre autour... </strong></em></p>
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<p align="center" style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%; break-before: page;"><font style="font-size:
16pt"><b><span style="background: transparent">232.8 degrés Celsius</span></b></font></p>
<p>Préserver la culture, les arts, la littérature, quand bien même il n’y aurait plus personne pour les savourer ? Emmagasiner des œuvres d’art dans des musées déserts… Cela a-t-il un sens ? Quand la température chute irrémédiablement, faut-il brûler les livres pour gagner quelques degrés de chaleur et sauver des vies ? Ces questions, au cœur du paradoxe humain entre nature et culture, sont abordées dans plusieurs ouvrages littéraires et films, où elles vont de l’interrogation philosophique au dilemme cornélien.</p>
<p>Dans Children of Men, avant la grande fuite, on est invité de manière furtive à passer une soirée avec un Ministre qui vit isolé, entouré d’œuvres d’art grandiloquentes et d’une poignée de serviteurs. La Vénus de Milo a été acheminée à grand mal et, après ses bras, a perdu un bout de jambe. Guernica trône dans une salle à manger immense. La Pieta, quelques Velasquez, deux Goya. Personne ne semble les regarder. Sauf lui. Quand son visiteur s’étonne : « Dans cent ans il n'y aura plus une seule personne pour voir ça... Qu'est-ce qui te fait continuer ? », il répond : « Tu sais quoi ? Je n'y pense tout simplement pas ». Il le fait. Parce qu’il peut le faire. Et en acquiert une forme de dignité. Le personnage n’a pourtant rien de sympathique, mais cette forme de recueil systématique, de sauvetage sans justification, éveille comme un écho de ces actes gratuits qui ne demandent rien en retour, et n’espère aucune victoire future. Qui demandent simplement à être accomplis.</p>
<p>Naturellement, à vaincre sans péril on triomphe sans gloire. Mais d’autres récits témoignent d’une combativité de l’âme propre à triompher du désespoir. Dans La Peste Écarlate, nouvelle post-apocalyptique de Jack London, un vieillard conte à ses petits-enfants le monde d’avant. C’est un ancien universitaire et la langue qu’il utilise, ses mots précis et savants, peinent à retenir l’attention des jeunes sauvageons que sont devenus les enfants, cruels, frustes et ignorants. Pourtant il leur parle, sans travestir sa langue. Sans omettre d’éléments. Sa dignité du présent réside dans le fait de perpétuer un certain engagement dans le verbe, l’exigence du terme juste. Comment parler de virus et de microbes, de la peste qui a dévasté le monde, à des enfants qui n’ont jamais vu un microscope ? Comment désigner des choses qu’on ne voit pas, si ce n’est à l’aide d’un langage précis, qu’il faut perpétuer et enseigner ? Le vieil homme a donc recueilli des livres, soigneusement entreposés à l’abri et accompagnés d’un alphabet, dans l’espoir que la civilisation humaine reprenne son ascension vers le savoir et que l’un d’entre eux, un jour, retrouve la curiosité d’apprendre, le goût des mots et de la transmission par l‘écriture. Une Pierre de Rosette dans le crépuscule de notre ère, avec l’impression féroce d’être le dernier Homme de son espèce sur Terre.</p>
<p>Face à l’apocalypse climatique, renoncer aux livres peut devenir une question de vie ou de mort. Dans Le Jour d’Après, des habitants se réfugient dans une bibliothèque gigantesque, la New York Public Library. Les températures glaciales qui s’abattent sur la ville font rapidement du feu une condition de survie. La notion de foyer prend tout son sens ici. Or dans ce foyer-refuge, les étagères sont remplies de papiers imprimés qui, après quelques hésitations, finissent par changer de fonction : l’impératif de survie prend le pas sur la soif de culture. Le récit devient combustible ; l’œuvre de l‘esprit, source de chaleur pour le corps.</p>
<p>Cet incendie littéraire fait inévitablement penser aux autodafés, à la différence notable que leur motif n’est pas lié à des conditions matérielles d’existence, mais purement idéologique. L’autodafé de livres et de manuscrits est une vieille tradition : du premier empereur de Chine 3e siècle avant J.-C. brûlant les écrits confucéens, au premier roi catholique d'Espagne au 6e siècle, jusqu’aux nazis et au franquisme. Plus récemment, à la fin des années 90 les talibans détruisirent 55.000 livres rares de la plus vieille fondation afghane ; en 2015 l’État Islamique brûla 2.000 livres à Mossoul. L’éradication systématique des écrits contraires à une nouvelle foi qui veut s’imposer en faisant table rase du passé, qu’elle soit religieuse ou politique, est une des caractéristiques communes des régimes totalitaires. Elle a pour seul mérite de reconnaître la puissance des idées et des mots qui leur servent de messagers.</p>
<p>C’est bien de ces autodafés à velléité dogmatique, dont il est question dans Fahrenheit 451. Le titre de ce roman d’anticipation de Ray Bradbury, adapté au cinéma par François Truffaut en 1966, désigne la température à laquelle le papier s’enflamme ; elle équivaut dans notre système à 232,8 °C. Dans cette société dystopique, le savoir est devenu une menace, les livres sont interdits. Le métier du personnage principal, Montag, consiste à repérer les ouvrages imprimés et à les détruire par le feu. Les pompiers de l’après sont désormais pyromanes. Dans cette société sans écrits, la résistance s’incarne dans des « hommes-livres » qui déambulent en forêt en récitant, inlassablement : leur acte d’insoumission consiste à apprendre par cœur ces livres pour les sauver de l’oubli. Le Prince de Machiavel, Orgueil et Préjugés de Jane Austen (partagé entre deux jumeaux : Orgueil, et Préjugés), La République de Platon, et - en clin d’oeil - Chroniques martiennes de Ray Bradbury, tous ces ouvrages n’existent désormais plus que par la mémoire de leurs incarnations. Peut-être est-ce également un moyen pour leurs porteurs d’échapper à la détresse, repliés dans leurs mondes de mots et de récits. Comme le personnage du Joueur d’échecs de Stefan Zweig s’entraînant mentalement dans sa geôle, d’autres prisonniers, déportés, torturés ont témoigné n’avoir survécu sans sombrer dans la folie à des conditions de détention particulièrement dures qu’en se remémorant des poèmes et récits. La résistance se vit, s’écrit, parfois elle se récite aussi.</p>
<p>En Norvège une ancienne mine désaffectée abrite une bibliothèque de fin du monde depuis le Printemps dernier : une gigantesque salle sécurisée, cachée sous une montagne de l'île du Spitzberg, à 1.000 km du pôle Nord. Au même endroit repose la Réserve mondiale de semences du Svalbard, 541 millions de graines de plus de 843.000 espèces différentes. Deux arches de Noé destinées à préserver nourritures du corps et de l’esprit, las elles-mêmes déjà menacées par le réchauffement climatique qui fait fondre le permafrost et s’insinue sous forme d’humidité dans les caves à -18°C.</p>
<p align="right" style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%;"><i>Children of Men (Les fils de l’homme) de Alfonso Cuarón, 2006</i></p>
<p align="right" style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%;"><i>The Scarlet Plague (La Peste Écarlate) de Jack London, 1912</i></p>
<p align="right" style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%;"><i>The Day After Tomorrow (Le Jour d’Après) de Roland Emmerich, 2004</i></p>
<p align="right" style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%;"><i>Fahrenheit 451, Ray Bradbury (1953) adapté au cinéma par François Truffaut, 1966</i></p>
</div>Anticipations (4) Population Zérourn:md5:82aba2dc8c6a7e5099057016aa82b1022018-02-23T10:01:00+01:002018-09-03T14:45:22+02:00corinne morel darleuxAnticipationsCollapsologieDystopiesEnvironnement biodiversité et pesticidesFiction de l effondrementLibertés <p><em><strong><a class="media-link" href="http://www.lespetitspoissontrouges.org/public/ZPG.jpg"><img alt="ZPG.jpg" class="media" src="http://www.lespetitspoissontrouges.org/public/.ZPG_s.jpg" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;" title="ZPG.jpg, fév. 2018" /></a>Quatrième chronique de ma série "Anticipations" : pour parler de malthusianisme et d'écologie à partir de fictions, entre collapsologie et dystopie, avec des films qui nourrissent la réflexion sur les politiques de démographie imposée mais aussi sur l'infertilité subie... </strong></em></p>
<p> </p>
<p align="center" style="margin-bottom: 0cm; font-style: normal; line-height: 100%; page-break-before: always"><font size="4" style="font-size: 16pt">Population zéro</font></p>
<p>Dans les débats sur les causes potentielles d’extinction de notre civilisation, revient souvent l’idée selon laquelle l’explosion démographique va précipiter l’effondrement. Et de fait les statistiques ont de quoi effrayer. Nous avons passé le milliard d’individus en 1820, et les 7 milliards en 2011. Pour 2030, l’ONU annonce une population mondiale de 8,5 milliards d’êtres humains, qui devrait se stabiliser autour de 10 milliards en 2200. Mais pour l’instant la courbe est exponentielle : en 1930 il fallait 123 ans pour augmenter la population d’un milliard, en 2012 c’était chose faite en 13 ans.</p>
<p>Ce défi a nourri de nombreuses dystopies, parmi lesquelles des gouvernements autoritaires imposent l’enfant unique, voire l’interdiction pure et simple de se reproduire. Ainsi dans Zero Population Growth (1972), alors que la pollution, l’épuisement des ressources naturelles et l’extinction des espèces ont atteint un seuil d’invivabilité, un moratoire est pris pour interdire toute nouvelle naissance pour une période de 30 ans, sous peine de mise à mort des parents et de l’enfant. Même scénario dans What happened to Monday (2017) où une politique d’enfant unique est mise en place. Les contrevenants s’exposent à voir leur enfant enlevé et officiellement placé en cryogénisation le temps que la planète se soit régénérée.</p>
<p>Retour au présent. La politique de l’enfant unique mise en place en Chine de 1979 à 2015 incluait des sanctions, mais a aussi provoqué avortements et stérilisations forcées. Elle aurait également éliminé 500 à 600 000 filles chaque année : la mariée se devant à sa belle-famille, un fils constitue visiblement une meilleure garantie contre les aléas de la vie. On estime enfin à 13 millions le nombre d'« enfants noirs » en Chine, dissimulés par les familles par peur des représailles, privés d'école, de soins ou d'emploi déclaré, sans acte de naissance ni papiers d'identité.</p>
<p>Selon les officiels chinois, la politique de l'enfant unique aurait permis d'éviter quatre cents millions de naissances. Mais des scientifiques estiment quant à eux que la baisse du taux de fécondité s'inscrit dans une tendance plus générale qu’on observe partout dans le monde. Accès à l’éducation et à la contraception, amélioration de la protection sociale et hausse du niveau de vie, vieillissement des femmes en âge de procréer et crise économique sont autant de facteurs très variés qui peuvent l’expliquer. Mais depuis quelques années apparaît également un nouvel élément qui pourrait bien tout bouleverser : l’incidence des perturbateurs endocriniens. Et si le scénario du futur n’était pas celui d’une interdiction dictatoriale, mais d’une impossibilité biologique croissante à faire des enfants ?</p>
<p>Plusieurs films ont envisagé cette autre forme de dystopie : non de restrictions, mais d’incapacité pure et simple à procréer. Children of Men (2006) est un monument du genre. Il dépeint une société ravagée par les inégalités, la violence et les pandémies, où il n’y a plus de bébé, plus d’enfants, plus d’adolescents. Où la dernière naissance remonte à vingt ans.</p>
<p>La dystopie n’est ni délire gratuit d’imagination malsaine, ni goût déplacé pour l’horreur, mais un genre qui tire sur les pires fils déjà présents du réel pour voir ce qu’ils donneraient poussés à leur paroxysme. Un peu comme les scenarii d’emballement climatique « business as usual » du GIEC, qui d’une certaine manière fait à son insu de la dystopie scientifique. Or qu’observe-t-on dans le réel d’aujourd’hui ? Des signaux faibles, qui vont grandissant. Les consultations pour infertilité augmentent. Distilbène, Bisphénol A, antalgiques, mais aussi pesticides ou assouplissants du plastique, provoquent maladies du système reproductif chez les femmes, baisse du taux de testostérone, malformations et perte de qualité du sperme chez les hommes. Le nombre de spermatozoïdes a ainsi diminué en moyenne de moitié entre 1973 et 2011 aux États-Unis, en Europe, en Australie et en Nouvelle-Zélande.</p>
<p>Bien sûr les facteurs démographiques sont multiples, leurs conséquences complexes à modéliser, et nous ne vivons pas encore dans le futur, mais rien ne nous interdit d’y penser. La biocapacité disponible de la planète est de 12 milliards d'hectares globaux (gha). Nous sommes aujourd’hui 7.4 milliards d'êtres humains, ce qui équivaut à 1.6 gha disponible par personne. Or la ponction aux Émirats Arabes Unis est de 10.6 gha par habitant, 8.2 aux États Unis d'Amérique, 5.1 en France. Elle est de 1.2 en Inde et 1.0 au Kenya. Le premier impératif est donc celui de la préservation et du partage des richesses naturelles au niveau international. D’autant que l’empreinte écologique est généralement inversement proportionnelle avec la natalité : dans les pays les plus pauvres, l'absence de moyens de contraception et de planning familial va trop souvent de pair avec des situations sanitaires intolérables au 21e siècle, un taux de mortalité infantile élevé et d'accès à l'éducation – des femmes notamment – faible. Faire des enfants vient encore trop souvent pallier, pour les populations les plus en difficulté, à l'absence de protection sociale. Les enfants deviennent l'assurance retraite de leurs parents, ce qui de toute évidence ne peut être considéré comme un choix émancipé.</p>
<p>Pour éviter la dystopie d’une démographie imposée, comme d’une infertilité subie, il est urgent de repenser notre consommation à l’échelle planétaire et de donner aux femmes et aux hommes la capacité de faire de vrais choix qui leur soient propres en matière de parentalité. C’est un facteur de progrès, de raison et de dignité.</p>
<p style="text-align: right;"><em>Zero Population Growth (Population Zero) de Michel Campus, 1972</em></p>
<p style="text-align: right;"><em>What happened to Monday (Seven Sisters) de Tommy Wirkola, 2017</em></p>
<p style="text-align: right;"><em>Children of Men (Les fils de l’homme) de Alfonso Cuarón, 2006</em></p>Anticipations (3) Dans la Forêturn:md5:f47b60bba955efbbfd824320564a0d0c2018-02-07T10:31:00+01:002018-09-03T14:44:44+02:00corinne morel darleuxAnticipationsCollapsologieDystopiesFiction de l effondrement <p><em><strong><a class="media-link" href="http://www.lespetitspoissontrouges.org/public/20161127_143323.jpg"><img alt="20161127_143323.jpg" class="media" src="http://www.lespetitspoissontrouges.org/public/.20161127_143323_s.jpg" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;" title="20161127_143323.jpg, fév. 2018" /></a>Réflexion à partir d'un roman organique et puissant, Dans la Forêt de Jean Hegland, sur notre capacité à réconcilier charnel et cérébral, à envisager la biodiversité comme source et non comme puits, et à cheminer sans attendre la fin du monde vers une humanité renouvelée. Troisième chronique de ma série Anticipations sur les "fictions de l'effondrement".</strong></em></p>
<h3 align="center" style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%; break-before: page;"><font size="4" style="font-size: 16pt">Dans la forêt</font></h3>
<p>On oublie trop souvent que la libido, transformée un peu rapidement par les Freudiens en synonyme de pulsions sexuelles, est avant tout l’énergie qui sous-tend les instincts de vie. Dans la Forêt est un texte vivide et charnel, empreint de cette farouche envie de vivre, de survivre, entre rage et désir.</p>
<p>Dans la Forêt est un premier roman écrit il y a 20 ans. Pas une fresque post-apocalyptique : dans la Forêt il n’y a pas d’émeutes, de chars ni de grandes scènes d’affrontements, mais deux jeunes sœurs, Nell et Eva, de 17 et 18 ans. Unité de lieu, une maison dans la forêt, un monde sans extérieur. De celui-ci, il ne reste rien : plus rien ne fonctionne, plus rien ne vient. La société s’est effondrée sous ses excès.</p>
<p><br />
Entre flash-backs de la vie d’avant et résolution au quotidien d’une somme de grands et petits problèmes inédits que font surgir isolement et pénurie, Nell et Eva doivent apprendre à vivre avec ce qui reste et s’amenuise. Danser sans musique, lire chaque entrée de l’encyclopédie encore et encore, improviser Noël autour de fins de bougies consumées. Un cahier, un stylo pour écrire deviennent le plus précieux des cadeaux, des chaussons de danse élimés rafistolés font office de renaissance. Et quand les vestiges de l’ancien temps finissent par s’épuiser, il faut choisir entre prudence et élan. Dernières gouttes de pétrole, dernières conserves, dernières chandelles, dernières réserves font éprouver aux deux jeunes femmes l’oscillation entre une sage restriction et l’envie irrépressible de tout cramer dans une ultime explosion de joie, éphémère mais sublime.</p>
<p>Apprivoiser sa propre nature animale, l’approcher doucement, surmonter les peurs ancestrales tout en écoutant son cerveau reptilien, redécouvrir son corps et ses besoins, ses limites et ses capacités réelles. Se dépasser, sans s’abîmer. L’intérêt de ce roman anti-survivaliste est de nous faire vivre avec deux femmes qui n’ont rien de guerrières-soldats. Face à un contexte entièrement bouleversé, d’une soudaineté imprévue et d’une ampleur angoissante, elles ne sont pas préparées, pas entraînées. Mais elles s’aiment et veulent vivre. Nell et Eva vont devoir apprendre à retrouver en elles-mêmes leur propre part d’animalité quand il s’agira d’aller chercher en forêt ces services écosystémiques depuis trop longtemps oubliés. Se soigner, se nourrir, hésiter devant des plantes qui peuvent guérir ou tuer. Sans pour autant jamais renoncer à l’écriture, à la danse. Réconcilier charnel et cérébral, redevenir Une.</p>
<p>Dans la Forêt est un récit de sororité, mais au-delà c’est le conte d’une humanité retrouvée, augmentée - non d’appendices électroniques géolocalisés, mais du lien organique qui nous lie au vivant, aux non humains, qui nous raccroche au présent et nous invite à puiser dans la nature de quoi vivre, à envisager la biodiversité comme source et non comme puits.</p>
<p>C’est un roman d’une puissance sourde, organique et poétique, qui brouille les frontières que nous avons nous-mêmes tracées entre l’Homme et son environnement, sans pour autant verser dans l’angélisme – l’expérience est dure – ni dans l’antispécisme : les deux héroïnes conservent entière leur part d’humanité, leur soif de culture et d’intellect, leurs fêlures humaines. Nell et Eva sont comme deux animales domestiquées qu’on aurait relâchées en forêt et qui ne savent plus quoi faire de leur liberté. Il est remarquable que la danse, expression par excellence du corps et de l’esprit mêlés, soit au cœur de ce récit.</p>
<p><a class="media-link" href="http://www.lespetitspoissontrouges.org/public/Dans_la_foret.jpg"><img alt="Dans_la_foret.jpg" class="media" src="http://www.lespetitspoissontrouges.org/public/.Dans_la_foret_s.jpg" style="float: left; margin: 0px 1em 1em 0px;" title="Dans_la_foret.jpg, fév. 2018" /></a></p>
<p>On ne trouvera pas Dans la Forêt de programme politique, pas de solutions institutionnelles ni de collectif organisé, mais un appel à interroger notre capacité intime à développer des facultés d’adaptation et de résilience en nous ouvrant au monde qui nous entoure. Il ne s’agit ni de glorifier un retour aux sources, ni d’apposer quelque morale à la nature : des mousses humides, des souches qui pourrissent, un arbre refuge et des racines, la forêt de Jean Hegland n’est ni hostile, ni accueillante, elle est. Aux filles d’y trouver leur place, d’en tirer ce dont elles ont besoin et, à tâtons, de bâtir leur nouvelle humanité. On n’est pas obligé d’attendre la fin du monde pour commencer.</p>
<p> </p>
<p style="text-align: right;"><em><a href="http://www.gallmeister.fr/livres/fiche/193/hegland-jean-dans-la-foret">Dans la forêt, de Jean Hegland, éditions Gallmeister</a> – 2017 (édition originale 1996)</em></p>
<p> </p>Anticipations (2) Le Dernier Rivageurn:md5:2a8e37f652d212cece8ab1a48da9a82c2018-01-24T17:56:00+01:002018-09-03T14:48:14+02:00corinne morel darleuxAnticipationsCollapsologieDystopiesFiction de l effondrementNucléaireVagabondages <p><a class="media-link" href="http://www.lespetitspoissontrouges.org/public/On_th_Beach_Stanley_Kramer_1959.jpg"><img alt="On_th_Beach_Stanley_Kramer_1959.jpg" class="media" src="http://www.lespetitspoissontrouges.org/public/.On_th_Beach_Stanley_Kramer_1959_s.jpg" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;" title="On_th_Beach_Stanley_Kramer_1959.jpg, janv. 2018" /></a><em><strong>Deuxième chronique de ma série Anticipations, sur les "fictions de l'effondrement" - récits, livres et films d'anticipation à visée politique - et ce qu'elles nous disent du présent. Une tentative de renouveler les formes du discours politiques et d'y inclure poésie, culture et dystopies. </strong></em></p>
<p><strong>Pour cette chronique filmographique, des imminences de fin du monde et une réflexion sur les Cassandre de la collapsologie, avec le magistral Dernier Rivage dans le rôle titre.</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0.1cm; line-height: 100%; text-align: justify;"> </p>
<h2 align="center" style="margin-bottom: 0.1cm; line-height: 100%;"><b>Le dernier rivage</b></h2>
<blockquote>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0.1cm; line-height: 100%"><i>Menace de missile balistique sur Hawaï. Mettez-vous immédiatement à l'abri. Cec</i><i>i</i><i> n'est pas un exercice.</i></p>
</blockquote>
<p>C’est le message qu’ont reçu les habitants de Hawaï le 13 janvier à 8h07. Le démenti officiel n’est arrivé sur les portables que 38 minutes plus tard. 2280 secondes de suspension d’une vie… Passée l’alerte, des Hawaïens ont témoigné de ce qu’ils avaient fait durant ces quelques minutes d’apocalypse programmée.</p>
<p align="justify" style="margin-left: 1.25cm; margin-bottom: 0.1cm; line-height: 100%"><i>- "J'ai ouvert une bière et je suis allé m'asseoir dehors dans mon jardin et j'étais prêt à regarder le spectacle. Je veux dire, que pouvais-je vraiment faire ? Je vis sur une partie de l'île qui serait foutue en cas d'attaque"</i></p>
<p align="justify" style="margin-left: 1.25cm; margin-bottom: 0.1cm; line-height: 100%"><i>- "Je me suis saoulé après 4 ans de sobriété"</i></p>
<p align="justify" style="margin-left: 1.25cm; margin-bottom: 0.1cm; line-height: 100%"><i>- "J'ai fini mon petit-déj’, je l'ai mangé dans la baignoire, au cas où"</i></p>
<p><strong><em>Que se passe-t-il dans la tête des gens quand il reste une heure, deux jours, trois semaines à vivre dans un monde condamné ?</em></strong></p>
<p>Dans Miracle Mile, film de série B apocalyptique de 1988, un homme intercepte par hasard un appel téléphonique : un militaire paniqué lui annonce que la bombe est lancée. Il ne leur reste qu’1h10 à vivre. Le chaos est quasi instantané. A celles et ceux qui cherchent par tous les moyens à s’enfuir, répond une image magnifique et déroutante, celle d’un couple de vieux dans leur voiture, sourires en bandoulière et mines ravies. Deux amoureux qui, après avoir passé toute leur vie ensemble, s’étaient fâchés et ne se parlaient plus depuis des années. Il faut les voir refuser poliment de se joindre à une opération de sauvetage, en affirmant dans un clin d’œil gourmand qu’ils s’en vont vivre leur dernière heure, de nouveau réunis par l’imminence du danger, à fumer en riant et boire enlacés et manger gras et faire tous ces trucs délicieux défendus au nom de la longévité.</p>
<p>On the Beach, lui, date de 1959. Autre époque, même danger. On est en Australie, la troisième guerre mondiale a été déclenchée et les radiations nucléaires s’avancent lentement, inéluctablement, vers le dernier rivage encore en vie dans un monde contaminé. Chacun s’y prépare à la mort, semaine après semaine, chacun à sa manière. Un pêcheur qui préfère mourir en mer, les courses folles en Ferrari d’un vieux célibataire, les amours tourmentées du couple magistral formé par le très droit capitaine Gregory Peck et la flamboyante Ava Gardner, toute au chic d’une époque passée où l’on s’enivre de cherry en robe de bal, dans une oblivieuse nécessité.</p>
<p>Enfin dans un des précurseurs du genre eschatologique, La Fin du Monde de 1931, ce n’est pas encore un missile, ni une bombe nucléaire, mais une comète qui s’apprête à détruire la Terre. Certains veulent créer une république pacifique à l’échelle mondiale, d’autres paniquent ou prient. Mais les plus nombreux s’étourdissent d’orgies, de débauche et de volupté.</p>
<p>Face à l’effondrement qui vient, l’alternative se poserait donc entre le chaos d’une fuite sans issue, la sidération effarée, le vain appel à une puissance divine ou à des appartenances sectaires, et des errements orgiaques – des corps ou de la consommation- dépourvus d’esprit ? Si tout est fini, alors tout serait permis ?</p>
<p>C’est un des risques de la théorie de l’effondrement que redoutent et pointent les critiques : que l’inéluctabilité annoncée de la catastrophe pousse à la résignation et à l’inaction. C’est oublier que nul Carpe Diem ne saurait se satisfaire de l’absence de dignité. Et que regarder en face la catastrophe n’implique en rien de la laisser advenir sans réagir, ni d’ignorer la capacité que nous avons d’influer sur ses modalités. Dire la catastrophe n’est pas la créer ; les Cassandre d’aujourd’hui comme d’hier ne sont que des messagers.</p>
<p>Prévenir -dans les deux sens du terme- pour agir, c’est la finalité de nouveaux courants de pensée qui se développent au sein de la collapsologie. A l’inverse du survivalisme, qui diffuse une vision très individualiste -et in fine libérale- de la survie, ils mettent en exergue l’importance de l’entraide, de mesures sociales et collectives, pour organiser une transition juste et amortir le choc de la catastrophe, notamment sur les plus démunis. C’est tout l’enjeu de sortir du laisser-faire actuel - qu’il soit ignorant, empreint de déni ou séquestré par la main-mise d’intérêts particuliers qui paralysent l’action bien plus sûrement que la lucidité – et de passer au double impératif d’atténuation et d’adaptation au changement climatique, en propulsant puis en amplifiant la capacité de rebond-refonte de la société en tant que corps organisé.</p>
<p>Ces dispositifs cruciaux d’anticipation, d’accompagnement et de résilience face à la catastrophe, ont besoin de la reconnaître comme telle et de se frotter à l’acuité du réel pour se mettre en mouvement, sérieusement et urgemment. Le présent doit parfois faire un détour par la dystopie pour mieux se dessiller, revenir au réel et y lutter, muni des bons outils et d’un pessimisme éclairé d’une volonté renforcée.</p>
<p>La dernière image du Dernier rivage montre une banderole, ultime vestige d’un monde humain dévasté, sur laquelle il est inscrit « There is still time... brother » - Il est encore temps, mon frère.</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0.1cm; line-height: 100%"> </p>
<p align="right" style="margin-bottom: 0.1cm; line-height: 100%"><i>Miracle Mile (Appel d'urgence) de Steve De Jarnatt, 1988</i></p>
<p align="right" style="margin-bottom: 0.1cm; line-height: 100%"><i>On the beach (Le dernier rivage) de Stanley Kramer, 1959</i></p>
<p align="right" style="margin-bottom: 0.1cm; line-height: 100%"><i>La Fin du monde d’Abel Gance, 1931</i></p>Anticipations (1) Imaginer la pluieurn:md5:26248bf223d5edf13ab4f59d4cda95ff2018-01-10T10:32:00+01:002018-09-03T14:49:29+02:00corinne morel darleuxAnticipationsAlternativesClimat et CopCollapsologieDystopiesFiction de l effondrementVagabondages <p><a class="media-link" href="http://www.lespetitspoissontrouges.org/public/MaxPixel.freegreatpicture.com-Plane-Abandoned-Icelandic-Wreck-Aircraft-Wreckage-2122015.jpg"><img alt="MaxPixel.freegreatpicture.com-Plane-Abandoned-Icelandic-Wreck-Aircraft-Wreckage-2122015.jpg" class="media" src="http://www.lespetitspoissontrouges.org/public/.MaxPixel.freegreatpicture.com-Plane-Abandoned-Icelandic-Wreck-Aircraft-Wreckage-2122015_s.jpg" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;" title="MaxPixel.freegreatpicture.com-Plane-Abandoned-Icelandic-Wreck-Aircraft-Wreckage-2122015.jpg, janv. 2018" /></a><strong>Cette chronique est la première d'une série sur les "fictions de l'effondrement" - récits, livres et films d'anticipation à visée politique - et ce qu'elles nous disent du présent. Une tentative de renouveler les formes du discours politiques et d'y inclure poésie, culture et dystopies. Pour cette première, réflexion sur les mots de l'après, avec le très beau "Imaginer la pluie de Santiago Pajares.</strong></p>
<h3>Imaginer la pluie</h3>
<blockquote>
<p>Le sable. le sable à perte de vue. Dans toutes les directions. Et au milieu de ce néant qui n'est que sable, un petit puits, deux palmiers, un potager minuscule et un appentis. Et moi sur le toit, essayant d'imaginer la pluie.</p>
</blockquote>
<p>Imaginer la pluie est un roman de désert et de mots enfouis.</p>
<p>Une femme et son fils, Ionah, vivent seuls au milieu d’un désert dont on comprend qu’il ne l’a pas toujours été. Un abri, deux palmiers, un puits, quelques lézards, et la dureté d’âme pour seul outil. Une fiction post-apocalyptique où l’économie de subsistance se résume à ce puits, entretenu et renforcé au fil des mois au péril de leur vie – toute chute équivaut à une condamnation de mort ici - et aux lézards qui fournissent la seule source de protéine - et qu’il faut pour Ionah apprendre à piéger, et se résoudre à tuer.</p>
<p>L’éducation du jeune homme y est entièrement orientée vers l’apprentissage de la survie. Ionah est un enfant de l’ère post-effondrement, sa mère s’est réfugiée dans le désert et lui apprend à y subsister sans laisser la moindre place aux regrets, à la douleur ni aux hésitations, toutes larmes bannies.</p>
<p>Les yeux y sont secs des tempêtes violentes du désert, les mots s’y distillent au compte-goutte. Ces mots que l’on cisèle, que l’on chuchote ou qui appellent, sont du temps perdu, de la salive gaspillée dans ces journées qui réclament une tension de chaque instant. Et puis, dans ce paysage lunaire il n’y a pas grand-chose à désigner. Peu de sentiments à décrire, dans cet effort quotidien pour la survie, peu d’émotions qui vaillent le temps d’être partagées. Peut-être l’absence de mots est-elle aussi une protection, une technique de survie, quand on ne peut pas se permettre le luxe de l’émotion. L’isolement, comme le silence, sont parfois des refuges.</p>
<p>Alors les mots s’enfuient au bénéfice de l’action, les mêmes tâches interminablement répétées chaque jour, la lutte incessante contre le sable, le puits, les lézards, l’abri, toute une vie dédiée aux besoins fondamentaux dont aucun n’est aisé à satisfaire dans ce désert aride et hostile.</p>
<p>Jusqu’au jour où la mère se sent proche de mourir. Elle entreprend alors de léguer à son fils les mots d’avant. Raconter les villes, la nourriture, les armes, les outils, les notes d’un piano, la pluie. Toutes ces choses qui ont cessé d’exister. Et Ionah essaye d’imaginer.</p>
<p> </p>
<p>Sans les mots, nous sommes démunis, et notre capacité à appréhender le monde réduit. Face à la catastrophe climatique - jamais nommée mais en toile de fond permanente dans Imaginer la pluie - nous cherchons de nouveaux mots pour décrire une situation nouvelle, inédite, celle de la mise en danger des conditions même de vie humaine sur Terre. Anthropocène, écocide... Il nous faut nommer le réel à nouveau. Et bâtir de nouveaux imaginaires sur lesquels construire le monde d’après. La fiction peut nous y aider en décrivant de possibles futurs.</p>
<p>Jean-Pierre Dupuy pour expliquer son approche de « catastrophisme éclairé » écrivait que celui-ci « consiste à se projeter dans l’après-catastrophe et à voir rétrospectivement en celle-ci un événement tout à la fois nécessaire et improbable ». J’y vois le reflet de ce que peuvent nous apporter ces projections fictionnelles pour ré-inventer les référents qui nous permettront de nous saisir, de comprendre, de faire face à la nouvelle donne du monde. Conjuguer l’effondrement au futur antérieur, traquer l’avenir dans les prémices du présent, c’est le rôle de l’anticipation.</p>
<p>Et il est temps d’anticiper. Nous ne pouvons plus nous contenter d’alerter sur l’effondrement qui vient. Ni d’élaborer des politiques d’atténuation pour essayer de juguler la catastrophe. L’objectif reste bien sûr nécessaire, mais il est devenu insuffisant. Il nous faut commencer à réfléchir à l’adaptation, à la capacité de résilience de nos sociétés, aux contours du futur que nous pouvons encore dessiner. Non dans une visée survivaliste d’essence libérale, dans laquelle chaque individu lutte pour sa propre survie, mais dans une visée écosocialiste, où la coopération, l’organisation collective, la prise en compte simultanée des enjeux sociaux et environnementaux déterminera la nature de – et pourra pacifier - la transition.</p>
<p>Dans Imaginer la pluie, la nécessité de survie individuelle dont a été pétri Ionah se heurte, avec l’arrivée des mots du passé, au besoin de les confronter au réel, d’entrer en relation avec d’autres êtres humains, à l’envie de nommer les choses, au désir d’accéder à la connaissance d’un ailleurs. Des besoins plus forts que la méfiance et le danger. Le jeune homme y croisera la route de la clandestinité des luttes de résistance et y fera l’expérience de la part d’universel en lui, qui le relie à ses pairs humains, présents et passés.</p>
<p>Les romans ont ceci de précieux par rapport aux études et essais qu’ils ne parlent pas qu’à l’esprit mais aussi au cœur. Aux tripes parfois. Ils s’ancrent dans des trajectoires de vie, s’incarnent dans des personnages que l’on suit, prennent le temps de décrire des sentiments, et l’on s’y projette plus facilement.</p>
<p>Imaginer la pluie est de ces récits. Mais surtout, au-delà de toutes les analyses politiques qu’on veut y projeter, c’est avant tout un récit de poésie et d’humanité qui allège le temps et fait frissonner, loin des dystopies pleines de fureur et de cris, en parfait accord de forme et de fond avec l’écriture courte et affûtée de Santiago Pajares. Un poème qui après s’être ouvert dans un désert affectif et verbal, déploie mots, curiosité et sentiments pour s’achever sur un océan.</p>
<p><em><a href="http://maxpixel.freegreatpicture.com/Plane-Abandoned-Icelandic-Wreck-Aircraft-Wreckage-2122015">Photo en creative commons </a></em></p>
<p align="right" style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%"><a class="media-link" href="http://www.lespetitspoissontrouges.org/public/HP_Imaginer_la_pluie.jpg"><img alt="HP_Imaginer_la_pluie.jpg" class="media" src="http://www.lespetitspoissontrouges.org/public/.HP_Imaginer_la_pluie_s.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="HP_Imaginer_la_pluie.jpg, janv. 2018" /></a></p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 100%; text-align: center;">Imaginer la pluie, de Santiago Pajares, Actes Sud - Avril 2017</p>