jeudi 12 avril 2012

La simplicité volontaire peut-elle tourner en faux ami ? (Tribune publiée dans La Décroissance)

Le journal "La décroissance" m'a invitée à réagir, avec François Ruffin (Là bas si j'y suis, Fakir) et Michel Poulard, à cette question. Un grand merci à mon camarade Laurent Ayrault pour son temps et son aide. Voici donc un début de réponse, mais le débat continue... A retrouver dans le numéro d'avril.

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La simplicité volontaire peut-elle tourner en faux ami ? 

En ces temps de crise, la simplicité volontaire semble séduire les éditeurs. Nombreux sont les guides qui sortent sur la question. Cela nous a menés à nous réinterroger sur l'aspect individualiste de la démarche pourtant salutaire du pas de côté, ("je pense me mettre à l'abri de la crise, je mange bio, je fais mon potager", etc. ).  Ne risque-t-on pas de tomber ainsi dans l'esprit du "chacun fait ce qui lui plaît" propre à la logique libérale, reléguant aux oubliettes le sentiment d'appartenance à un corps social ?  Peu dérangeante pour le système en place, la simplicité volontaire peut-elle devenir un faux ennemi du capitalisme ?

Avant toute chose, je salue la décolonisation de l'imaginaire que permet la simplicité volontaire. Elle possède le caractère émancipateur que représente le fait de ne plus être des forçats de la consommation et de la compétition. Un de ses mérites indéniables réside dans le choix de deux termes positifs. Et pour peu qu'elle s'écarte des caricatures du type "je m'installe dans les bois sans eau ni électricité et je vis de récupération", elle nous aide à réfléchir et à mener la bataille culturelle.

Maintenant, énoncée sans autre précision, l'expression a le défaut de donner à cette démarche un caractère individualiste. Cela appelle plusieurs remarques.

Tout d'abord, comme votre question le soulève, si notre réponse à l'urgence écologique était simplement de poursuivre le même fonctionnement de société en misant tout sur des changements individuels, elle serait contre-productive car elle renforcerait le capitalisme en l'accompagnant, avaliserait les injustices en place, et échouerait à proposer une voie d'émancipation et même à atteindre ses objectifs environnementaux.

Ensuite cela poserait un problème de justice élémentaire. J'espère que plus personne n'ose soutenir que tous les habitants de la planète ont une responsabilité égale dans la dégradation des écosystèmes (climat, biodiversité etc), et qu'il suffirait que chacun réduise de 20 % son empreinte écologique pour résoudre la question. Il n'est pas acceptable de demander le même effort au riche et au pauvre, alors qu'ils n'ont pas la même empreinte écologique - les études de l'Insee en attestent.

La troisième limite serait de considérer que chaque individu a des possibilités de choix identiques. Je ne suis pas sûre que l'on trouve, parmi celles et ceux qui ont témoigné dans la Décroissance, un échantillon représentatif de la société française. Et devrions-nous reprocher aux travailleurs pauvres qui, compte tenu des prix du logement, habitent loin de leur travail dans une banlieue mal desservie par les transports en commun, de consommer trop d'énergie ? C'est bien l'organisation libérale actuelle et l'exploitation de pans entiers de la société qui est à l'origine de ces inégalités ! L'autonomie des individus ne se décrète pas, c'est un horizon politique. A l'inverse du système actuel, nous devons donc promouvoir la construction sociale de la liberté (et de l'autonomie), ce que d'aucuns appellent socialisme.

A l'approche individuelle, dont on a examiné les limites, il faut donc ajouter une dimension collective. Les expériences existent : AMAP, SEL, etc. Ce n'est pas la même démarche d'acheter des produits bios dans un supermarché ou d'aller chaque semaine à l'Amap. Voilà qui permet de créer du lien social et de la convivialité, à l'opposé de la logique libérale qui en renvoyant les individus à eux-mêmes fait naître une frustration que l'idéologie publicitaire saura exploiter...

Mais on s'aperçoit très vite que ces îlots de résistance butent eux mêmes sur les grands choix d'organisation de la société. Il faut donc y ajouter la dimension politique, institutionnelle et législative. Non, il n'y a pas de fatalité à ce que l’État et les pouvoirs publics servent la logique productiviste et les intérêts privés. Bien au contraire ! A la base de la démarche de simplicité volontaire, il y a la conscience d'un intérêt général supérieur aux intérêts particuliers.

C'est aussi le point de départ de l'idée de République sociale. Par conséquent, le combat pour une VIè République nourrie par l'implication populaire est indissociable du projet de planification écologique démocratique que nous défendons. Le développement du capitalisme et de la mondialisation financière n'aurait pu se faire sans les dispositions juridiques qui le permettent (malheureusement la construction européenne en est une bonne illustration). C'est donc une autre orientation qui est nécessaire pour dépasser ce système et servir l'intérêt général sur le temps long. Des pouvoirs exécutifs et législatifs bien choisis peuvent le permettre et, à leur niveau, participer à la bataille culturelle, en réduisant par exemple la place de la publicité et des médias dominants. Alors... Prenez le pouvoir !

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