mardi 16 juillet 2013

Monsanto, chevron et Evo. Faire rimer écologie, droit et démocratie (Tribune Mediapart)

jpg_dessin978_titom_justice_sauvage.jpgMa tribune publiée sur Mediapart le 8 juillet dernier sur justice internationale et écologie : "Monsanto, Chevron... Et Evo".

Elle est tirée de mon intervention au Forum du PG du 8 juin dernier « Entre internationalisme et souveraineté des peuples: Quelle justice internationale ?" et il y est question de tribunal climatique international, de lutte contre les multinationales et les GPII (grands projets inutiles imposés), mais aussi de gaz de schiste, d'OGM, de protection des investissements et d'accords de libre échange comme le projet de GMT (grand marché transatlantique entre les États Unis et l'Union européenne) dont on n'a pas fini de parler...

A télécharger ici (format PDF) ou à lire ci après. Merci à Bastamag, Reporterre et Romandie. N'hésitez pas à diffuser largement si la lecture vous plait, et bel été...

Illustration Titom sous Licence Creative Commons by-nc-nd 2.0 be


« Monsanto, Chevron... Et Evo :

Faire rimer écologie, droit et démocratie.

Luttes et victoires juridiques contre les multinationales"



Les intérêts économiques mieux protégés que les citoyens

Lorsque j'ai commencé mes recherches pour préparer mon intervention au Forum sur la justice internationale du 8 juin dernier, j'ai été frappée par l'impression qu'en ce domaine, comme en tant d'autres hélas, on marche sur la tête. C'est le monde à l'envers. Premier exemple : aujourd'hui faucher des organismes génétiquement modifiés (OGM) est considéré comme juridiquement répréhensible, mais empoisonner des millions de personnes non. En 2009 des victimes de l’agent Orange, cet herbicide ultra toxique du géant de l'agrochimie Monsanto, utilisé pendant la guerre du Vietnam, ont été déboutées par la Cour suprême des États-Unis. En France, des faucheurs volontaires sont eux condamnés à payer 73 000 euros au même Monsanto. Et comme si cela ne suffisait pas, dans certains cas c'est carrément Monsanto qui poursuit les paysans. La multinationale vient ainsi de gagner son procès contre un agriculteur aux États-Unis qui avait retrouvé des OGM chez lui sans les avoir plantés. Il n'est pas le premier. En 2011 alors que leurs champs avaient été contaminés par les semences OGM de Monsanto, des paysans en agriculture biologique ont été traînés en justice par la multinationale, pour « dérogation à leurs conditions de patente ». Autrement dit : pour avoir utilisé sans les payer les semences invasives de la firme ! Imaginez que quelqu'un dépose le virus de la grippe pour ensuite aller cracher sur tout le monde et gagner de l'argent à chaque fois que quelqu'un l’attrape... La qualité de leurs cultures ruinées et sommés en sus de s'expliquer devant la justice, ils se sont réunis et c'est une soixantaine d’associations agricoles, fermes familiales, semenciers, associations agricoles bio mais aussi conventionnelles sans OGM, qui ont décidé de contre-attaquer et ont lancé une procédure contre Monsanto au printemps, soutenus par 270.000 citoyens. La Public Patent Foundation, fondation pour les licences libres, a déposé plainte en leur nom pour réagir contreles poursuites engagées par centaines pour violation de brevet.

Dans la série « le monde à l'envers » il y a donc Monsanto contre les paysans, mais il y a aussi le CAC 40 qui poursuit les fonds éthiques, militants et organisations non gouvernementales (ONG). Alors que la responsabilité d'un certain nombre d'entreprises du CAC40 en termes de pollution, de dégâts sur l'environnement et la santé publique sont manifestes, en 2012 c'est un géant du pétrole qui porte plainte contre un fonds « éthique » : Chevron attaque en justice le fonds d’investissement Trillium, accusé de collusion avec des ONG ! Au Royaume Uni, c'est EDF qui a réclamé 5 millions d'euros à l'encontre de 21 militants de défense du climat qui avaient occupé pendant une semaine, en octobre 2012, deux cheminées de la centrale au gaz d’EDF de West Burton pour dénoncer le plan gouvernemental de construction de 40 nouvelles centrales à gaz. Et derrière EDF, c’est bien l’État Français, actionnaire majoritaire du groupe, qui poursuivait ainsi les militants... Cette affaire ayant soulevé un vent de protestation dans les rangs de Greenpeace ou d'Attac France, les poursuites ont finalement été abandonnées en mars dernier, mais les militants sont toujours poursuivis par les autorités anglaises. On ne peut s'empêcher de se souvenir évidemment qu'en France, les militants de défense de l'environnement ont été exclus par les parlementaires du Parti Socialiste au Sénat du champ de la proposition de loi présentée par le Front de Gauche sur l'amnistie sociale, bloquée depuis avec la bénédiction du gouvernement à l'Assemblée nationale.

Récapitulons. Les multinationales attaquent les paysans, le gouvernement poursuit les militants, et maintenant regardons la fin du triptyque, celle où le serpent se mord la queue : les gouvernements attaqués par les multinationales. La multinationale suédoise de l’énergie Vattenfall a par exemple réclamé 3,7 milliards de dollars d'indemnités à l’Allemagne à la suite de sa décision de sortir du nucléaire. Et ce n’est pas une exception. Le nombre de litiges enregistrés au Centre international de règlement des différends relatifs à l’investissement (CIRDI), un forum lié à la Banque mondiale, a explosé. Il est passé de 38 cas en 1996 à 450 en 2011. La compagnie américaine Lone Pine Resources conteste ainsi le moratoire du Québec sur la fracturation hydraulique, cette technique utilisée pour extraire les gaz et pétrole de schiste, interdite en France depuis la loi de juillet 2011, et exige un dédommagement de 250 millions de dollars. En effet grâce au droit commercial sur la « protection des investissements », une firme peut s'estimer lésée et réclamer des indemnités même si elle n’a pas encore investi un centime. Ainsi, avec l’accord économique entre l’Union Européenne (UE) et le Canada, tout comme avec le Grand marché transatlantique (GMT, l'accord de « partenariat de commerce et d'investissement » entre l'UE et les États-Unis prévu pour 2015), des multinationales ou leurs filiales pourront attaquer en justice les gouvernements et les collectivités locales qui auraient eu pour seul tort de prendre des décisions de protection de l'écosystème, si la réglementation en question les prive des bénéfices escomptés. Total, possédant une filiale au Canada et ayant investi dans l’exploration des gaz de schiste en France, pourrait donc poursuivre l’État français. Chevron, ExxonMobil ou Shell, qui détiennent et exploitent des concessions de gaz et huiles de schiste en Europe, pourraient eux-aussi assigner un État européen devant les tribunaux pour cause de moratoire ou d'interdiction de la fracturation hydraulique. Et bien entendu ces litiges sont arbitrés par des tribunaux privés... Un véritable « business » juridique qui enrichit un petit cercle de cabinets, d’arbitres, d’avocats et de bailleurs de litiges : certains font payer leurs prestations 1000 dollars par heure et par avocat. Peu étonnant, dans ces conditions, qu'ils délivrent une interprétation de la notion d’investissement favorable aux plaignants, c'est à dire aux multinationales. Et une fois de plus, les intérêts économiques l'emportent sur l'intérêt général.

A la mondialisation de la finance et du commerce, répond la mondialisation des luttes et résistances

Face à ce constat, certains pays se rebellent : ainsi, l’Australie n’autorise plus les mécanismes d’arbitrage État-investisseur dans ses accords commerciaux. La Bolivie, l’Équateur et le Vénézuela se sont de leur côté retirés du CIRDI. Et surtout, la société civile se mobilise et s'internationalise. Puisque les multinationales jouent le jeu libéral et cynique de la mondialisation, à la fois pour tirer les coûts vers le bas et produire dans les pays où la législation environnementale est défaillante, et pour bénéficier de la protection de leurs investissements, la résistance citoyenne se mondialise aussi.

C'est le cas des réseaux de défense du climat, comme Climate Justice Now, qui ont pris leur essor à l'occasion du sommet international de Copenhague. Ainsi, au Forum Social Mondial de Tunis un espace climat s'est tenu sur trois jours, et c'est également le cas des Grands projets inutiles imposés (GPII) qui cherchent à s'unir et s'organiser en réseau. Du projet d'aéroport de Notre Dame des Landes à celui de ligne à grande vitesse Lyon Turin, tous se rassembleront à Stuttgart cet été. Histoire de rappeler par exemple que la multinationale Vinci, future concessionnaire de l'aéroport et de ses parkings si Notre Dame des Landes voit le jour, après avoir déjà mis la main sur les autoroutes et la première ligne de transports ferroviaire de voyageurs privée en France, détruit également la forêt pour construire des autoroutes à Khimki en Russie...

Cette extension du champ des luttes contre les atteintes des multinationales s'exprime également à travers les campagnes internationales de certaines ONG comme Attac ou Oxfam par exemple, que ce soit contre les paradis fiscaux, la déforestation, pour l'accès aux médicaments génériques et contre la brevetabilité du vivant. Ou encore pour l'accès à l'eau et l'assainissement comme cette initiative citoyenne européenne (ICE), la première à avoir recueilli 1 million de signatures en février 2013. Il s'agit également de dénoncer et rendre visible à travers des initiatives de plaidoyer. Ainsi, le prix Pinocchio du développement durable des Amis de la Terre ou les Public Eyes Award. Ceux-ci ont consacré dans leur classement 2013 l'entreprise Shell pour son exploitation du pétrole en Arctique, ou encore cette multinationale brésilienne qui a remporté le « Nobel de la honte » en 2012 : la Vale, deuxième groupe minier mondial, émet 4 % de la production totale de dioxyde de carbone du Brésil et utilise chaque année 1,2 milliard de mètres cubes d’eau, soit l’équivalent de la consommation moyenne de 18 millions de personnes. Mais elle doit surtout son couronnement à sa participation active au consortium responsable de la construction du barrage de Belo Monte, estimé à 17 milliards de dollars, qui entraînerait le déplacement de 40 000 personnes et saccagerait d'immenses régions de l’Amazonie en déviant 80 % des cours d’eau.

Cette résistance internationale prend également la forme du boycott, comme c'est le cas de l'initiative BDS (boycott désinvestissement sanctions) pour la lutte en faveur des droits en Palestine. C'est également l'appel lancé contre les marques d'Unilever, maison mère de Lipton contre laquelle s'est engagé le bras de fer des salariés de Fralib qui souhaitent pouvoir conserver la marque de thé et tisanes L’Éléphant dans leur projet de reprise en coopérative. Et parfois, l'action de consommateurs citoyens finit par payer. Les drames à répétition au Bangladesh dans les ateliers de la honte de l'industrie textile, qui ont provoqué plus de 1200 morts depuis novembre 2012, ont fini par alerter l'opinion publique et face à la menace de boycott, au 3 juin, plus de 40 entreprises avaient signé l’accord des syndicats textiles internationaux et de la Campagne Clean Clothes pour plus de sécurité dans les ateliers de fabrication.

Enfin ce sont bien sûr les luttes locales et la mise en place d'alternatives concrètes, coopératives ou structures de micro-crédit qui sont aussi bien souvent, notamment dans les pays dits du Sud, un moyen de contourner les multinationales, de s'organiser en réseaux solidaires et de lutter concrètement contre le système en inventant d'autres manières de produire et de consommer. Car la lutte et les victoires ce n'est pas seulement de gagner des procès, c'est aussi d'inventer et construire les alternatives...

Mais la responsabilité des multinationales ne doit pas gommer celle des gouvernements

Et hélas elle est forte, et depuis longtemps. Un des exemples les plus connus est celui de l'assèchement de la mer d'Aral, planifié dès 1918 par les autorités russes et mise en œuvre dans les années 60 afin d'intensifier la culture du coton et des rizières en Ouzbékistan et au Kazakhstan. Avec la déviation des fleuves, la mer a perdu 75 % de sa surface, 14 mètres de profondeur et 90 % de son volume. L'augmentation de la salinité, l'utilisation de produits toxiques et les dérèglements occasionnés ont provoqué la disparition de 28 espèces endémiques et provoqué une forte hausse du taux de mortalité infantile , aujourd'hui parmi les plus élevés du monde, ainsi que l'augmentation du nombre de maladies liées selon les études menées par l'Organisation mondiale de la santé.

Depuis ça ne s'est pas arrangé, seule différence : c'est plutôt l'inaction qui prédomine, notamment en matière de lutte contre le dérèglement climatique, devenu la menace numéro un pour la préservation des conditions de la vie humaine sur Terre. Entre 1990 et 2007, l'empreinte carbone par personne a augmenté de 5 % soit 12 tonnes équivalent carbone, et nous venons de battre un nouveau record : la teneur en dioxyde de carbone de l'atmosphère a atteint 400 parties par million, faisant planer une nouvelle menace de fonte des glaciers et, selon une étude récente du CNRS, confirmant la prévision alarmante d'une augmentation de la température moyenne de +4°C en France d'ici 2100 si rien n'est fait. Et malheureusement, de fait, rien n'est fait. De sommet en sommet internationaux, les gouvernements réunis se refusent à tout accord contraignant pour limiter leurs émissions de gaz à effet de serre, et se contente de déclarations la main sur le cœur. Avec la surexploitation des ressources naturelles nous précipitons nous-mêmes notre disparition en tant qu'espèce, vers un véritable suicide civilisationnel.

C'est la poursuite irresponsable et dangereuse de ce que l'économiste Yannis Eusthathopoulos nomme le « modèle de croissance économique par dégradation ».Face à cela, un projet alternatif au mode de production et d'exploitation capitaliste se met en place : l'écosocialisme. Il prend sa source dans le constat qu'il n'existe qu'une seule biosphère et que la double exigence sociale et environnementale répond à un intérêt général commun. Celui-ci exige la prise en compte du temps long des écosystèmes et implique que la maîtrise publique et le contrôle citoyen reprennent le dessus sur les intérêts financiers et économiques.

Définanciariser l'environnement et sortir les biens communs de la marchandisation

Après la catastrophe de Fukushima, il s'est avéré que l'opérateur privé Tepco en charge de l'exploitation de la centrale avait dissimulé des informations concernant des défaillances de sécurité pour ne pas affoler le cours de ses actions en Bourse. De nombreuses marées noires ont quant à elles été causées par un mépris des règles de sécurité, jugées trop coûteuses ou trop longues au regard de la pression actionnariale, conjugué à l'appât du gain poussant les multinationales à aller forer dans des conditions extrêmes des lieux encore inexploités. C'est le même appétit financier qui a conduit à l'appropriation et la privatisation des services écosystémiques, notamment en pharmacopée. Pour contrer cette marchandisation du vivant, il convient à la fois de mettre en place des mesures d'interdiction de brevetabilité du vivant et de définition des biens communs pour pouvoir en garantir l'accès universel et les préserver de toute exploitation à des fins d'enrichissement commercial. Au-delà des initiatives citoyennes, comme celle de la constituante des biens communs lancée en Italie, ou des victoires locales comme le retour en régie publique de l'eau à la communauté d'agglomération des Lacs de l'Essonne, des dispositifs nationaux et internationaux doivent être mis en place.

L’Organisation des Nations Unies (ONU) pourrait ainsi être saisie de propositions visant la reconnaissance de l’accès à ces biens comme droit fondamental, et son Assemblée générale saisie de la création d’un tribunal international de justice spécifique. Les nations ont également la possibilité d'activer leur droit de véto au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU envers toute proposition pouvant nuire à ces droits fondamentaux, tout comme au sein du Conseil européen envers tout traité pouvant leur nuire. A terme, il s'agirait d'insérer une clause de coopération en vue du respect de ce droit fondamental dans tous les traités internationaux et de dénoncer les manquements devant la Cour Pénale Internationale pour ce qui relève de la responsabilité individuelle, et devant la Cour Internationale de Justice pour les responsabilités étatiques.

Concernant la protection des ressources génétiques contre toute forme d'appropriation, en particulier l'appropriation privée par les multinationales, le droit des paysans à utiliser librement les espèces végétales et animales, largement malmenée comme en témoigne la condamnation de l'association Kokopelli, doit être garanti. Hélas, le développement de l'agriculture est une source de profit importante pour les puissantes entreprises situées en amont de la production (production de semences, engrais, pesticides et machines agricoles). Les OGM constituent un enjeu de taille pour ces firmes dans la mesure où, au travers de la brevetabilité du vivant et de l'obligation faite aux paysans de racheter chaque année les semences qu'ils utilisent, un nouveau domaine s'est ouvert aux profits. Les grands semenciers n'hésitent pas à utiliser des pratiques de dealers, en proposant dans un premier temps leurs semences hybrides puis génétiquement modifiées clés en main gratuitement, créant ainsi une dépendance des agriculteurs vis-à-vis des OGM et du paquet technologique les accompagnant, et faisant perdre à l'agriculteur la maîtrise de son activité. Là aussi il convient de créer un mécanisme juridique international de protection des ressources génétiques et de reconnaissance du droit des paysans à les utiliser librement.

Sortir de la dépendance aux énergies fossiles pour se libérer de l'emprise des multinationales

Les énergies fossiles ont fonctionné comme la drogue dure du capitalisme, une dépendance qui nous mène tout droit à un scénario à la Mad Max et à la multiplication de catastrophes environnementales et sanitaires dues à l’appétit de multinationales qui en outre ne payent pas les externalités économiques générées par ces dégâts (pollution, stations d'épuration, routes, problèmes de santé publique). Contrer cette route mortifère suppose la constitution, en France, d'un pôle public de l'énergie permettant à la collectivité de reprendre la main sur les politiques énergétiques et de mener la bifurcation nécessaire vers la réduction drastique de nos consommations et l'essor des énergies renouvelables. Cette transition doit se mener de pair avec la répression des atteintes déjà causées. Des victoires ont déjà eu lieu et marquent le signal de possibles reconnaissances juridiques au niveau international. En décembre 2012, suspecté de violations délibérées à la réglementation du travail et de l’environnement ayant causé la mort de 26 salariés en cinq ans, et suite à l’accident de la plate-forme Deepwater Horizon dans le Golfe du Mexique, le groupe pétrolier BP a été exclu par le gouvernement États-unien de tout nouveau contrat gouvernemental et déclaré inéligible aux contrats fédéraux pour « manque de probité dans la conduite des affaires » pour une durée indéterminée.

Répondre au dumping juridique et à la mondialisation de la fuite par un tribunal international et la mondialisation des poursuites

C'est une nouvelle histoire d'arroseur arrosé. L'entreprise Chevron l'a expérimenté à ses dépends. Après avoir cherché à se faire juger en Équateur, estimé plus clément, elle a finalement écopé d'une lourde peine pour les dégâts causés en Amazonie par l'entreprise qu'elle avait racheté, Texaco. Résultat : Une sanction de près de 19 milliards de dollars, soit tout de même quatre fois la somme requise envers Exxon pour la catastrophe en Alaska de 1989. Problème : Chevron n'a que peu d'actifs en Équateur. Un réseau international s'est donc mis en place pour saisir les biens de Chevron au Canada, au Brésil, en Colombie et en Argentine, prévoyant également de déposer des plaintes en Europe, Asie et Océanie. Las, la Cour Suprême d'Argentine, à qui un traité avec l’Équateur permettait d'exiger une saisie extraterritoriale et le gel d'avoirs de Chevron pour exécution de décision de justice, a malheureusement fait marche arrière. Alors que Chevron doit justement signer dans les semaines à venir un contrat avec la société YPF pour exploiter un des plus importants gisements de gaz de schiste du monde... En Argentine.

De manière générale, les multinationales profitent bien trop souvent de vides législatifs pour mener leurs activités d'un pays à l'autre au détriment du respect des droits sociaux et environnementaux, inventant une nouvelle forme de dumping, juridique celui-là. Ajouté au fait que l'écologie ne reconnaît pas les frontières – contre toute attente, le nuage radioactif de Tchernobyl ne s'est pas arrêté au moment de passer la douane - ce constat appelle la création d'une unité juridictionnelle commune, un tribunal international. Cette idée a été fortement portée par le Président de Bolivie Evo Morales, et popularisée en 2010 à l'occasion de la Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique à Cochabamba, qui a débouché sur la revendication d'un Tribunal international de Justice climatique et environnementale. Celui-ci pourrait selon nous se placer sous l'égide de l'ONU et engager des poursuites et sanctions correspondant d’une part, à la réparation en apport financier et/ou logistique des dégâts environnementaux et sociaux causés, et d’autre part au versement d’une contribution financière à un fonds international de lutte contre le changement climatique, et d'aide et de défense des réfugiés climatiques.

En attendant qu'un tel tribunal puisse voir le jour, il existe déjà des tribunaux d'opinion sur le modèle du tribunal Russel. L'ONG Oxfam organise également depuis 2009 des tribunaux sur le climat, qui fonctionnent comme autant d'actions de sensibilisation et d'interpellation et ont permis de toucher 1,6 million de personnes en deux ans dans 36 pays. Autre exemple, le tribunal pour les crimes contre la nature et le futur de l'humanité lancé à Quito en octobre 2012 suite à l'appel de nombreuses personnalités comme en France Eva Joly ou Edgar Morin. La volonté d'aller plus loin sur le plan juridique se heurte néanmoins à un obstacle : le manque d'accord international contraignant. Depuis le protocole de Kyoto, aucun des sommets internationaux sur le climat n'a permis de déboucher sur une limitation ayant valeur d'obligation concernant les émissions de gaz à effet de serre des pays. Du coup, depuis le Sommet pour la Terre de Johannesburg en 2002, ce sont les approches volontaires qui prédominent : Pacte mondial des Nations unies, principes directeurs de l'OCDE, chartes éthiques, etc. Autant d'engagements basées sur le seul bon vouloir, juridiquement non contraignants, et de ce fait inefficaces. En conséquence, plusieurs stratégies alternatives co-existent pour donner une dimension juridique internationale aux crimes contre l'environnement. L'une d'entre elles, conduite notamment par le mouvement « Eradicating ecocide », consiste à ajouter les atteintes à l'environnement aux quatre types de crimes contre l'humanité déjà jugés par la Cour pénale internationale (CPI). Ce nouveau statut pourrait permettre à la CPI d'obliger les multinationales et les États à réduire leurs émissions et pollutions.

En attendant, face à l'inertie des mécanismes internationaux et l'irresponsabilité des gouvernements, une ICE a été lancée en janvier 2013 appelant l'Union européenne à prendre une directive criminalisant les écocides.. En France, le Front de Gauche propose sur le plan politique et institutionnel d'inscrire la « règle verte » dans la Constitution, ce qui donnerait un statut constitutionnel à l'interdiction de prélever plus que ce que les écosystèmes sont en capacité de renouveler. Le droit à un environnement sain est déjà inscrit dans le bloc constitutionnel français. Ces deux contraintes juridiques pourraient être adossées à l'indicateur dit « jour du dépassement global», qui correspond la date où nous avons prélevé à l'échelle mondiale le volume de ressources renouvelables que la planète est en mesure de régénérer. Au-delà, nous massacrons nous-mêmes les conditions de notre existence sur Terre. En 1986, cette limite était atteinte le 31 décembre. Elle arrive désormais chaque année plus tôt. En 2011 c'était le 27 septembre. Et en 2012 nous aurions du nous mettre en hibernation totale dès le 22 août.

La conférence des parties des Nations-Unies (COP 21) de négociations internationales sur le climat à Paris aura lieu en 2015… Plutôt que l'apnée, si on choisissait la responsabilité ?


Juin 2013

par Corinne MOREL DARLEUX

Secrétaire nationale à l'écosocialisme du Parti de Gauche

Auteure de « Nos colères fleuriront », éditions Bruno Leprince

www.lespetitspoissontrouges.org


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