À propos d’unité aux régionales

À Alain, Serge, Chantal, Mariette, Richard et les autres

Je reçois depuis plusieurs jours mails, twitts et posts sur Facebook de camarades, compagnons de route, et d’électeurs du Front de Gauche qui s’alarment de voir deux listes en Auvergne – Rhône Alpes. L’une, celle du Rassemblement qui regroupe des citoyens non encartés avec deux membres du Front de Gauche – le PG et Ensemble – , EELV, Nouvelle Donne et la Nouvelle Gauche Socialiste d’un côté, et de l’autre la liste du PCF qui est en train de se monter, parée d’un gros logo Front de Gauche. Il y a de quoi en effet être déstabilisé.

Des messages donc, parfois sincères, parfois franchement agressifs, souvent perdus, et souvent manipulés hélas aussi par d’autres qui, sous couvert d’unité, semblent surtout chercher à nous déstabiliser. Et qui, en jetant le trouble dans nos propres rangs, semblent avoir choisi que leur ennemi dans cette campagne ne serait pas Laurent Wauquiez. C’est le mien par contre. Cette réponse sera donc la seule et la dernière. Parce que tout y est, et parce qu’aujourd’hui mon temps et mon énergie sont consacrés à combattre les libéraux de tout poil et cette droite extrême qui nous pend au nez si on continue de se perdre en querelles intestines. Voilà le véritable enjeu de ce scrutin qu’il ne faudrait pas perdre de vue par myopie de l’entre-soi militant, cette tentation trop courante hélas dans nos rangs… Pour ça je crois que notre temps doit désormais être consacré à nous adresser au plus grand nombre, sur le terrain, à proposer et non à passer notre temps à contrer, répondre aux rumeurs du microcosme et à ses débats internes sans fin.

Je suis en colère j’avoue du harcèlement sur les réseaux sociaux, à cette politique du twitt et des trolls qui croient que l’unité se trouve sous un clic et cherchent à culpabiliser celles et ceux qui sont sur le pont. Lasse d’avoir à contrer les attaques, de lire les insultes et mensonges qui circulent. Ce n’est pas pour ça que je me suis engagée en politique et c’est pénible, surtout quand les coups viennent de votre propre famille politique, celle de l’Humain d’abord.

J’ai donc longtemps hésité à répondre. Ce n’est franchement pas de cette tambouille navrante dont j’avais envie de parler. Cela m’attriste à vrai dire. Mais je mesure le désarroi, la confusion délétère que cela installe chez celles et ceux de bonne foi – y compris chez de nombreux camarades communistes – qui ne comprennent pas pourquoi le PCF n’est pas dans le Rassemblement, et qui ont le droit de savoir ce qui mené réellement à cette situation. Les appels à l’unité actuels sont hélas signés par des gens sincères, puis instrumentalisés pour mieux nous diviser et achever le travail de sape. L’enjeu dans notre Région, probablement la seule où nous pourrions bien devancer le PS au premier tour et représenter la gauche au second pour battre la droite et le FN, cet enjeu est trop grand. Je ne laisserai pas faire ceux qui préfèrent voir capoter le Rassemblement que de le voir gagner sans eux, après s’être eux-mêmes mis hors jeu.

Alors allons-y. Au-delà de mes réticences, et malgré la lassitude des heures de coups de fils et des dizaines de courriers internes déjà échangés, place à la transparence. Je prends ma demie-journée et mon courage à deux mains pour reprendre dix mois de discussions, d’avancées et de reculs. Pour que chacun puisse faire face à la situation et se faire sa propre opinion éclairée, avec honnêteté et lucidité. Sans blablas ni discours tout faits.

Je m’adresse donc ici aux camarades et électeurs sincèrement déboussolés, parce qu’ils ont droit de lire ce qu’il s’est passé. Et parce que face à nos adversaires, nous avons en effet besoin d’unité. Donc lisez, faites-vous votre propre idée, et si ce que nous portons vous plait… Venez. Oubliez les histoires de partis et d’étiquettes. La campagne ne fait que commencer.

***

En novembre 2014, nous avons à quelques-uns initié l’idée d’un rassemblement unitaire de toute la gauche et des écologistes qui ne se reconnaissaient pas dans les politiques du gouvernement et voulaient l’autonomie du PS au premier tour, élément fondamental au vu de nos divergences avec le projet libéral et d’austérité porté par le PS aujourd’hui au niveau national, mais aussi au vu de nos divergences à la Région sur le mandat écoulé – comme nous l’avons expliqué dans cette réponse à JJ Queyranne – et qui, enfin, voulaient s’engager dans une politique nouvelle du bien-vivre dans notre Région, en liant les enjeux sociaux, démocratiques et environnementaux. Un premier appel a été publié sur Mediapart, signé par des militants et citoyens de tous bords, y compris des élus du PCF.

Puis des réunions de travail et d’échanges ont été initiées pour rédiger collectivement un “socle projet” et une charte éthique. Après avoir participé à certaines de ces réunions unitaires, les représentants du PCF ont refusé de s’engager sur l’autonomie vis à vis du PS avec lequel ils continuaient à discuter. Lorsque JJ Queyranne a écrit à tous nos partis, seul le PCF a répondu sans faire de cette autonomie un préalable, mais en appelant au contraire à l’unité la plus large de toute la gauche et en reprenant les termes mêmes du PS. Des positions publiques de responsables du PCF, en Ardèche notamment, ont prolongé l’ambiguïté en appelant à des listes communes avec le PS dès le premier tour. Face à cette confusion, nous avons demandé une position publique claire, elle nous a été refusée.

Nous avons donc continué à avancer sur le projet et la charte sans le PCF, en attendant que leur position soit clarifiée. Celle-ci devait l’être fin juin, elle ne l’a été qu’en septembre, avec la consultation des adhérents communistes des deux régions.

Tout au long de ce processus, le PG et Ensemble ont mené la bataille pour inscrire le Front de Gauche dans sa totalité au sein du Rassemblement. D’abord en proposant aux représentants du PCF un courrier commun qui puisse être envoyé à tous les comités du Front de Gauche, et qui a finalement été à notre grande surprise remplacé par un courrier aux seules fédérations du PCF, envoyé par le seul PCF. Puis en adressant début juin une lettre ouverte commune PG – Ensemble aux militants et sympathisants du Front de Gauche appelant à l’unité avec le PCF. Enfin en intégrant dans le socle projet du Rassemblement tous les marqueurs de L’Humain d’abord : refus de la privatisation des services publics et des partenariats public-privé, des politiques libérales du gouvernement, de l’austérité et de la réforme territoriale, défense de l’égalité des habitants et des territoires, soutien aux luttes sociales, et même désobéissance européenne avec le refus du Tafta.

Cette bataille, nous l’avons menée lorsque c’était encore possible : en mars, avril, mai, juin. Fin juin, le socle projet et la charte ont été soumis au vote des militants du PG, de Ensemble, d’EELV et de Nouvelle Donne. Tous les ont largement validés et ont ainsi choisi d’intégrer le Rassemblement. C’est le calendrier que nous nous étions fixé et que tous avaient accepté, afin de ne pas être dans un montage de cartel électoral de dernier moment, mais bien d’apprendre ensemble à fonctionner autrement, en tant que rassemblement, et être ainsi en ordre de marche pour mener campagne tambour battant dès la rentrée face à Laurent Wauquiez.

Malgré tout, nous avons veillé à laisser la porte ouverte jusqu’au bout à nos partenaires du PCF dont le choix n’était toujours pas fait. Nous avons donc poursuivi les rencontres, les courriers, les rendez-vous manqués et les assauts de pédagogie. Jusqu’en aout, où lors de notre ultime réunion du Rassemblement avec le PCF, ses représentants ont quitté la table des discussions sur la question du non-cumul des mandats. En cause : notre charte éthique, mise en ligne et déjà signée par plusieurs centaines de citoyens, qui stipule qu’un élu régional, pour se consacrer à son mandat, ne peut pas être en même temps parlementaire.

Pas franchement une nouveauté, comme revendication. Le PCF l’avait d’ailleurs déjà signé lors des départementales dans la Drôme, et vient de le faire en Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon. Pourquoi ce qui était possible alors et ailleurs ne l’est plus ici ? Selon les représentants du PCF, parce que cette charte exclut de facto Cécile Cuckierman et André Chassaigne, respectivement sénatrice et député, et tous les deux conseillers régionaux de Rhône-Alpes et d’Auvergne. André Chassaigne avait pourtant déjà fait part du fait qu’il ne souhaitait pas forcément se représenter comme tête de liste. Et ne m’en avait pas non plus parlé comme d’un obstacle quand je l’ai eu au téléphone en juillet. Cécile Cuckierman nous avait également fait signe d’ouverture dans ce sens en réunion au mois d’aout. Et nous avions naturellement proposé de leur donner toute visibilité pendant la campagne, afin de nous appuyer sur leur notoriété et leurs actions à valoriser fort légitimement. Tout comme nous allons d’ailleurs le faire avec d’autres personnalités, sans pour autant qu’elles soient candidates sur les listes.

Las, cela a été un niet catégorique, et c’est là-dessus que nous nous sommes quittés. Nous avons néanmoins réitéré nos propositions dans un dernier courrier, le 25 aout.

Depuis, que s’est-il passé ? L’envoi des documents de vote aux adhérents du PCF des deux régions, proposant trois options. Dans l’ordre : en choix un, une liste faisant vivre l’esprit du Front de Gauche – sans tenir compte du fait que les deux autres membres du Front de gauche soient déjà engagés dans le rassemblement – ; en deux, une liste avec le PS, avec en pièce jointe le courrier de JJ Queyranne faisant état des places proposées sur sa liste ; et enfin en troisième choix, le fait de rejoindre le Rassemblement, dépeint comme n’ayant répondu à aucune des demandes du PCF, comme reléguant au second plan la lutte contre les politiques libérales et d’austérité, comme excluant les deux chefs de file du PCF, et sans que nos propositions ne soient jointes à cette option de vote ni portées donc à la connaissance des militants. Le tout assorti d’une conférence de presse lors de laquelle Cécile Cuckierman a appelé les adhérents du PCF à ne pas voter pour l’option du Rassemblement.

Le résultat, dans ce cadre, est évidemment sans appel : les communistes ont voté en septembre à plus de 90% contre le Rassemblement. La porte vient de se refermer.

Cette situation avec deux listes concurrentes à l’arrivée est désespérante, d’autant plus en regard du temps et des efforts déployés depuis dix mois pour en arriver là. Je la regrette profondément. Mais nous avons mené ce combat pour l’unité jusqu’au bout. Et aujourd’hui l’heure n’est plus aux regrets.

Je comprends le désarroi de ceux qui découvrent cette situation ubuesque. Je suis en revanche très étonnée de voir des dirigeants de premier plan du PCF et des élus du Front de Gauche forcément bien informés, qui ne sont intervenus à aucun moment dans ce long processus pour nous aider à trouver l’unité, s’indigner maintenant et signer des appels à l’unité une fois cette porte fermée par le vote interne du PCF.

Etonnée également de voir d’anciens compagnons de route nous suggérer de mettre notre mouchoir sur nos convictions pour préserver l’unité. Au nom de l’unité, il nous faudrait donc aujourd’hui renoncer aux principes qu’hier encore nous défendions ensemble au sein du Front de Gauche ? Démarrer cette belle aventure du rassemblement, axée sur le renouvellement des pratiques politiques, en commençant par renier nos engagements publics, sur lesquels nous ont rejoint depuis des centaines de citoyens ? Ce n’est pas sérieux. Ce n’est pas acceptable. Et ce n’est pas responsable.

L’histoire nous a appris que la fin ne pouvait justifier les moyens en politique. C’est ce que nous hurlent tous nos concitoyens qui s’abstiennent, toujours plus nombreux.

Alors oui je regrette le choix de mes camarades communistes. Je sais que je ne suis pas la seule, y compris dans les rangs du PCF. Beaucoup nous le disent, certains nous rejoignent. Mais la réalité est là. Les représentants du PCF ont quitté la table des discussions. Nous leur avons écrit. Ils ont procédé au vote. Sans faire état de nos propositions. Des mensonges ont circulé. Sur le financement, sur les places. Des insultes, certes minoritaires, allant jusqu’à nous traiter de “putes à fric des Verts”. L’Humain d’abord en a pris un coup.

La plupart d’entre vous connaissent mon opiniâtreté et ma sincérité je crois. Je les mets entièrement aujourd’hui au service de notre campagne pour battre Laurent Wauquiez. Je suis lasse des guerres internes. Nous ouvrir et sortir des querelles intestines, voilà l’alternative. Et oui, que chacun soit mis face à ses responsabilités. Même si ce n’est pas la première fois que nous faisons des choix différents, comme aux municipales notamment, je suis navrée de cette situation. Mais chers trolls de Twitter et de Facebook, je vous le dis très franchement : il est inutile d’essayer de me culpabiliser car j’ai passé des mois, des soirées, vous n’imaginez pas, toute mon énergie à essayer. Jusqu’au bout. Maintenant c’est vers les citoyens que je veux me tourner. À eux que je veux consacrer mon temps. C’est désormais ma priorité.

Alors vous savez quoi ? Sortons des logiques de partis, oui, plus que jamais, et revenons au projet. Lisez-le, regardez nos communiqués sur l’hopital de Moutiers, sur l’emploi à ST Microelectronics ou à Cenntro, contre la baisse des dotations aux collectivités, en soutien à la Conf Paysanne ou encore à la qualité de la vie en montagne… Regardez nos actions sur le terrain, la construction de l’assemblée représentative qui permet d’associer des citoyens de toute la région aux décisions prises sur les listes, le projet ou encore sur le second tour au-delà des partis. Venez aux cafés citoyens, regardez de près les votes du mandat écoulé. Voilà des faits. Tout y est. Vous avez tous les éléments. D’adulte à adulte, de citoyenne à citoyens. Chacun en responsabilité.

Evidemment c’est mon point de vue, vous entendrez sans doute d’autres sons de cloche et je ne cherche pas à convaincre tout le monde, mais au moins que chacun dispose de l’ensemble des éléments pour juger. De mon côté en tout cas tout est là, sur la table. Et le Rassemblement reste largement et chaleureusement ouvert à toutes les bonnes volontés.

Ah, et une dernière petite citation pour la route : “Ceux qui pensent que c’est impossible sont priés de ne pas déranger ceux qui essayent”, merci…

À vous.

A vite.

[ Bonus : le courrier du Rassemblement rappelant nos propositions en vue d’un accord unitaire au PCF du 25 aout, l’historique réalisé par des camarades de huit mois de rencontres jusqu’au 20 aout, et le courrier récent du Rassemblement du 19 septembre en réponse aux demandes de renseignements qui nous arrivent des collectifs et comités Front de Gauche ]