dimanche 30 août 2009

L'écologie politique, levier de transformation

Voici l'intervention que j'ai faite jeudi, à l'invitation de la Fédération à son université d'été sur le thème :

« Peut-on résister à la déferlante libérale sans passer par la transformation sociale ? Des luttes de résistance à la critique et à la volonté de changer le mode de développement »

J'y ai mis l'accent sur l'écologie politique... Quelle surprise ;)

Cette intervention a ensuite été enrichie et complétée, remaniée jusqu'au tout dernier moment pour mon intervention sur "l'écologie et la gauche" lors du remue-méninges du Parti de Gauche, bientôt en ligne...

Bonne lecture !

Bonjour à tous et merci de votre invitation.

Et merci à Julien Lusson de son intervention en ouverture du débat, qui me fournit une excellente transition ! Je pense en effet que nous avons bien 3 axes de combat à mener :

- le 1er, c'est de se désaccoutumer du système dans lequel on est empêtré, et ça passe notamment par la bataille culturelle ;
- le 2e, c'est de trouver la voie de dépassement du capitalisme, et ça passe par la construction d'un projet de transformation sociale et écologique ;
- le 3e, enfin, c'est de se doter des moyens de sa mise en œuvre et ça passe notamment – pas seulement, mais notamment – par le débouché institutionnel et par la constitution d'une nouvelle force politique à gauche.

Julien a évoqué l'écologie comme une des dimension de la crise actuelle du système. Je voudrais aller plus loin et montrer en quoi, pour mener ces 3 combats, l'écologie politique peut être un formidable levier de transformation.

D'abord parce que nous sommes dans une situation de crise globale du système. Or l'écologie politique touche à la fois à l'environnement, mais aussi au social, et même au sociétal, puisqu'elle passe forcément par un changement en profondeur de notre mode de développement actuel, et qu'elle implique de sortir du capitalisme et de la logique productiviste.

Contrairement d'ailleurs à ce qu'a pu laisser entendre la campagne d'Europe Écologie pendant les européennes et le discours libéral porté notamment par Daniel Cohn Bendit, prêt aujourd'hui à s'allier avec le Modem... Le problème, c'est que ça permet aussi à la droite de s'engouffrer dans une vision libérale de l'écologie avec laquelle elle est évidemment très à l'aise, et au final on se retrouve face à deux risques : le premier, c'est de sombrer dans l'environnementalisme, au risque d'oublier le social. Pour faire court, si c'est pour passer de la production de voitures à la production d'éoliennes, mais avec les mêmes conditions de travail et le même rapport au capital, on sera encore loin d'un vrai projet de transformation sociale et écologique. Le deuxième, c'est le risque de récupération de la thématique écologique par le capitalisme vert, qui considère que l'écologie est finalement un business comme un autre. C'est l'exemple du marché du carbone où on reproduit les mécanismes de spéculation boursière sur le CO2.

D'où l'importance de la réaffirmation d'une écologie radicale, une écologie de transformation, qui elle est forcément antilibérale et de gauche. Parce que radicale, ça veut dire aller à la racines des causes, et donc dénoncer le système. Ce système capitaliste qui ne peut pas être moralisé, car intrinsèquement son objectif c'est le profit maximum, le plus vite possible. Idem pour la logique productiviste qui passe à la fois par l'exploitation des individus et celle des éco-systèmes. Et le résultat, on le sait malheureusement, c'est la montée des inégalités sociales et des désastres écologiques. Et pendant ce temps, on continue à piller les Pays du Sud pour alimenter le productivisme au Nord, les terres arables font l'objet d'une nouvelle spéculation internationale, la bataille pour l'eau a commencé, les multinationales s'approprient le vivant et les OGM n'en finissent plus de ruiner les paysans en Inde et en Afrique du Sud. Et on veut nous faire croire que le progrès, c'est de donner à tous les moyens de s'acheter un écran plat, produit à l'autre bout de la planète, dans des conditions de travail douteuses et avec toutes les pollutions que ça génère en termes de fabrication, de distances parcourues et de retraitement ?

Il va falloir se désenfumer de tout ça, décoloniser l'imaginaire et sortir de l'horizon indépassable du capitalisme, c'est à dire concrètement, recréer de l'espoir par la construction d'une véritable alternative de gauche, sociale et solidaire. Et pour ça on a besoin à la fois de résistances et de luttes immédiates, bien sûr, mais aussi de construire un projet de société et de se donner les moyens de le mettre en œuvre.

L'écologie politique peut nous y aider, comme outil de transformation et de rupture. Parce que l'écologie se place sur une échelle de temps différente, elle oblige à réfléchir sur le long terme qui est incompatible avec le court terme des intérêts capitalistes. Parce qu'en remettant au premier plan l'intérêt général et la notion de bien commun (eau, air, énergie, alimentation...), elle oblige à remettre en cause la logique de marchandisation, la brevetabilité du vivant et le pillage des ressources naturelles des pays du Sud. Parce que la prise en compte de la finitude des ressources naturelles oblige à repenser l'utilité sociale de la production, à réfléchir sur nos manières de consommer, à se demander de quoi on a besoin, qu'est-ce qu'on produit et comment on le produit.

Il faut avoir le courage de dire les choses telles qu'elles sont : qu'il faut changer nos modes de vie, privilégier la qualité plutôt que la quantité, que ça ne sera pas toujours simple, ça se fera par étapes, mais qu'au bout du compte on vivra tous mieux. Expliquer qu'on peut encore redresser la barre si on réduit notre consommation d'énergie, et qu'on développe massivement les renouvelables ; si on réduit la part des secteurs industriels les plus polluants, en accompagnant leur reconversion, non pas à l'identique, mais via la socialisation et la relocalisation de l'économie, et que tout ça il faudra qu'on le décide ensemble, démocratiquement...

Et là, oui, on commencera à être vraiment dans un projet de transformation sociale et écologique !

Il existe déjà des expérimentations alternatives concrètes, qui montrent une autre voie : ce sont les amap, les rachats d'entreprises en faillite par les salariés sous forme de scop, les système d'échanges locaux, l'éco-habitat, le co-voiturage... Mais les expériences collectives de ce type, même si elles sont utiles et intéressantes, ne suffisent pas. De même qu'on ne peut pas faire porter la transformation uniquement sur des changements de comportement individuels. Il faudra aussi y mettre une volonté politique, portée dans les institutions, pour changer radicalement de cadre. Parce que les gens qui prennent leur voiture aujourd'hui, pour prendre cet exemple, ne le font pas pour le plaisir de polluer. Cela correspond bien souvent à un besoin réel. Ils le font pour aller travailler, faire leurs courses. Et ce n'est pas avec la relance des supermarchés en périphérie, ni avec la vision d'une France de tous propriétaires de Sarkozy, qui favorise l'étalement pavillonnaire, ni encore avec le travail du dimanche, qui va multiplier les déplacements en voiture et les dépenses d'énergie, ce n'est pas avec ce genre de mesures que la situation va s'améliorer !

Alors il ne suffit pas de pointer du doigt les comportements individuels, encore faut-il mettre en place un cadre de société qui rende les alternatives possibles : redensification urbaine, commerces de proximité et circuits courts, accès aux transports collectifs... Comme ici, à Aubagne, avec la gratuité des transports en commun. C'est tout le contraire aujourd'hui avec la privatisation d'entreprises qui jouent un rôle social et écologique essentiel : aujourd'hui EDF, demain la Poste, puis la SNCF...

C'est ainsi que l'écologie politique réaffirme aussi le rôle de l'État et des services publics dans un projet de transformation. Car seule la collectivité et la sphère publique peuvent gérer ce double défi écologique et social de manière volontariste, démocratique, et sur le long terme.

Prenons l'exemple du climat et de l'énergie. Réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi sortir du nucléaire et anticiper la fin du tout pétrole, par exemple, ça ne se fera pas du jour au lendemain. Ni d'un claquement de doigts. Ça se planifie ! Il faut bien dresser l'état des lieux de la situation, organiser un grand débat public sur les objectifs à atteindre, faire travailler ensemble organisations syndicales, chercheurs, associations et citoyens... planifier et assurer le suivi de la mise en œuvre, avec des étapes et des bilans intermédiaires, car on ne peut pas exclure que certaines voies se révèlent des impasses... C'est tout ça, que nous appelons la planification écologique.

Il paraît que ce mot fait peur. Alors clarifions tout de suite quelques points... Non, nous ne voulons pas revenir au centralisme étatique autoritaire pratiqué en Union Soviétique. Mais oui, nous revendiquons l'importance du rôle de l'État et des services publics. Ils sont certes à réinventer, notamment par une profonde réforme institutionnelle et une nouvelle implication populaire permettant une vraie pratique démocratique. Mais ils restent indispensables pour planifier la rupture, construire un cadre de société émancipateur et garantir l'égalité d'accès aux droits fondamentaux pour tous, partout.

La planification écologique, c'est le retour de l'action politique au service de l'intérêt général. Et c'est possible. Il faut juste juste avoir le courage de réaffirmer que l'énergie est un droit fondamental qui ne peut pas être laissé aux lois du marché, et que seul un service public de l'énergie peut permettre à la fois de planifier la révolution énergétique, mais aussi de garantir le droit à l'énergie pour tous, partout, aux mêmes conditions d'accessibilité. Après, au sein de ce cadre, on peut imaginer des unités de productions décentralisées, mais la production d'énergie renouvelable n'est pas linéaire, pas toujours stockable, et les territoires ne sont pas tous égaux en possibilités d'équipements. Alors il faudra bien avoir un pilotage d'ensemble des besoins et des ressources, assurer une régulation des flux pour que la distribution soit continue sur le réseau, garantir que l'énergie soit accessible partout au même tarif, et pas plus chère selon que vous habitez dans un coin ensoleillé et venteux ou pas. C'est la régulation publique dont parlait Julien tout à l'heure.

On le voit bien, l'écologie politique nous parle aussi d'égalité, de solidarité, d'intérêt général... et donc de valeurs de gauche. A l'heure où certains voudraient nous faire croire qu'il n'y a plus de clivage gauche – droite, et dans le contexte de crise de la démocratie représentative qu'on a vu avec l'abstention aux européennes, qu'on voit aussi, d'une certaine manière, avec les travailleurs en lutte, qui se détournent des syndicats et des partis, il est urgent de faire la preuve qu'il existe une gauche forte, qui ne se résigne pas, capable de porter un projet de société radicalement différent.

Alors oui, il y a des prises de conscience individuelles à déclencher. Des alternatives concrètes à expérimenter. Mais on a aussi besoin du débouché politique, pour donner à tous les moyens de vivre mieux, pour soi, avec les autres, et dans le respect des eco-systèmes. Et ça, on y arrivera que si on s'y met tous ensemble... Par l'unité de la gauche de transformation, dans les luttes et dans les urnes.

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