dimanche 24 octobre 2010

Expulsion Jeudi Noir, des CRS et des militants

Nota : 'Une grande première sur ce blog. Un billet rédigé à 4 mains, j'ai ouvert ces colonnes à Ariane Calvo, la camarade du PG qui était avec moi hier. Son témoignage en italique.'

Contrairement à ce qu'indiquait la bulle derrière les barreaux, non, tout ne s'est pas bien passé. Loin de là.


jeudi_noir_marquise_tout_va_bien_se_passer.JPGHier, à 9h je reçois un texto de Simon, de Jeudi Noir, m'indiquant que l'expulsion est en cours. On avait été en contact au moment de la campagne de soutien avant leur procès. A ce moment là, je suis en train de prendre un café après une nuit blanche de fête en soutien à l'association Taoa. Le décalage est un peu surréaliste...

Hier, à 8h47, je reçois deux textos de mes amies Leila Chaibi et Céline Meneses qui me réveillent et me font bondir hors du lit. La marquise est en cours d'expulsion. Je saute dans mes vêtements, attrape mon écharpe d'élue et fonce dans le métro. Je préviens les amis par sms. Hier, la soirée a été longue, je me suis couchée à 5h du matin après une fête de soutien à l'association TAOA, de grandes discussions et une heure de soutien en pleine nuit à une amie enceinte de 8 mois dans une passe difficile... L'urgence du moment, la rage qu'il provoque et le sentiment de responsabilité que donne l'écharpe d'élue dans mon sac me réveillent sans problème.

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On part à pied, d'Odéon à la place des Vosges, avec Jean Charles et Mathieu, amis et camarades du PG. A l'arrivée, je retrouve également Pierre Lucot, d'Utopia. On discute un peu, ravis de se retrouver là. Il me raconte que la Marquise était devenue son AMAP, il me dit les projections de cinéma de quartier, les radiateurs qu'il devait leur amener ce week end...

Je retrouve les amis de jeudi noir, les élus, on s'embrasse, personne n'ose se demander si ça va. On regarde les quelques affaires sorties par les squatteurs monter dans une camionnette, entreposées dans des sacs plastique et des cagettes. On partage du café. On a les boules. On retrouve tous ces visages avec qui on a vécu l'aventure de la Marquise. On réalise peu à peu que cette aventure là est probablement finie. Dur.


jeudi_noir_marquise_conf_presse.JPGEric Coquerel et Ariane Calvo, du PG, sont au rendez-vous, comme toujours. Avec leurs écharpes d'élus, eux. J'ai laissé la mienne chez moi, je ne pensais pas en avoir besoin. Ma "carte d'identité" de Conseillère régionale (et dire que je n'en voulais pas !) nous permet quand même, avec Mathieu, de franchir le cordon policier et de rejoindre les militants présents. Jeudi Noir est là, bien sûr, avec quelques élus et des militants du PG, des Verts-EE et du NPA. Maël Goepfert et Leila Chaibi de l'Appel et la Pioche. Karima Delli, députée européenne. La belle bande ! J'en profite pour faire la connaissance d'Emmanuelle Cosse, Vice Présidente au Logement en Ile de France, qui me confie lire mon blog. Je rosis :)

ariane_et_la_velorution.jpgLes amis de Vélorution déménagent leurs affaires, entreposées à la Marquise depuis dimanche dernier seulement. Nous faisons des blagues au sujet des hommes politiques et des frites roses et vertes mais le cœur est lourd... Je réalise la vitalité de la vie citoyenne, des débats, des fêtes, des forums, des moments collectifs qu'a représenté la Marquise. Je ressens toute la force de ma colère contre ce gouvernement. Je mets quelques photos sur internet, et regarde mes messages : de partout, des alertes à la mobilisation citoyenne, des appels à la grève, au blocage, à la résistance affluent. Ça va mal dans la France de Sarko. Mais ça résiste vaillamment. Avec conviction et acharnement. Je reprends une bouffée de courage.

blocage_rue_st_antoine.jpgPendant la conférence de presse, avec un témoignage bouleversant de Margaux Leduc et un message politique efficace d'Eric, on se passe le mot : blocage de la rue saint Antoine, histoire de marquer le coup. On y va. Parmi les premiers à arrêter la circulation, c'est tout de même assez impressionnant de s'asseoir par terre face aux voitures qui déboulent. Les scooters sont les plus dangereux, ils essayent de se faufiler. On y arrive enfin. Les CRS nous encadrent rapidement. Des militants déploient la banderole du Ministère de la Crise du Logement, et... "Appli-ca-tion d'la loi de réquisition !!". A s'en casser la voix.

Les voitures pilent devant nous, on s'assoit, on s'accroche les uns aux autres en se tenant fort. On respire en levant les yeux dans cette rue Saint Antoine que nous tenons pour quelques minutes. Nos slogans résonnent. "Un toit, c'est un droit".

Une photo... La_Marquise_23-10-2010__263_.JPG

... Et une vidéo


leudi_noir_marquise_gaz.JPGPendant qu'on est là, des copains essayent de retourner prendre possession de la Marquise. Les CRS paniquent, on entend des "faut demander au chef", et soudain ils se mettent en branle. On court après eux. Devant l'immeuble, c'est la mêlée, ça pousse et ça cogne pour reprendre le contrôle de la porte. Un flic sort son aérosol et nous asperge de gaz lacrymo. Une fois. Et comme si ça ne suffisait pas, recommence une deuxième fois. Merde, mais pourquoi cette deuxième giclée, gratuite et inutile ?!! On récupère une militante qui tombe à terre en hurlant, aveuglée, la gorge en feu, haletante et suffocante. Une voisine en voyant ce matin les cars débarquer a eu le bon réflexe, elle est allée tranquillement acheter du sérum physiologique à la pharmacie du coin. Un citron sort d'un sac, dans lequel on invite la jeune femme à terre à croquer à pleines dents.

Les yeux me piquent, la gorge me gratte, mais ce n'est rien par rapport à ce que je vois autour de moi. Dès que le citron est ingurgité et que le sérum coule dans mes yeux, je reviens voir ce qui se passe devant le bâtiment : les militants s'assoient devant la Marquise. Les CRS commencent à tenter de les déloger. Alors qu'un CRS tire une jeune femme par un bras pour la déloger je hurle au CRS "sous les deux bras !" Cette brute ne comprend que les ordres, il s'exécute. Elle me regarde et se met à pleurer "mais pourquoi on en arrive là ? pourquoi vous utilisez la violence ?" je pose ma main sur son genou, le CRS me la retire violemment. je la remets en le regardant dans les yeux, il voit mon écharpe d'élue, il la laisse. Je lui dis : "c'est vous qui utilisez la force, nous ne l'utiliserons pas.

jeudi_noir_marquise_corinne_md.jpgJe tremble comme une feuille. de fatigue, d'émotion, de froid. Il a commencé à pleuvoir. Je sens une main amicale dans mon dos. Je suis heureuse d'être là. Les flics ne laissent plus personne rentrer ni sortir, je commence à me dire que j'aurais du lire le guide du manifestant arrêté que le Syndicat de la Magistrature fait tourner. J'ai en revanche bien en tête les récits de garde à vue de Paris et de Lyon.

Nous vivons quelque chose de fort... J'ai l'impression que les moments s'enchainent et se bousculent dans ma tête. Le calme revient, les militants distribuent des cakes, des gâteaux, prennent soin de ceux qui sont le plus bousculés, sortent le champagne et les confettis, et les jettent sur les CRS avec le défi de la joie contre la brutalité, l'assurance de ceux qui savent que leur combat est juste, contre la simili tête haute de ceux qui doivent arrêter de réfléchir pour ne pas mourir de honte. confettis_vs_crs.jpgC'est le moment où les militants trouvent le slogan : "Les mômes des CRS a-vec nous".

Et puis finalement, rien. Dispersion. Rien, sinon une trentaine de jeunes et précaires qui se retrouvent de nouveau à la rue. Parce qu'une dame de 88 ans estime qu'il est de son droit de garder un immeuble entier vide depuis plus de 40 ans. Et que la propriété privée a plus d'importance aujourd'hui en France que le droit d'avoir un toit. Une époque curieuse, vraiment.

Finalement, rien. Tout le monde rejoint le nouveau point de chute trouvé pour le Forum du Logement qui devait avoir lieu à la Marquise l'après midi même. On se dit à bientôt, à tout de suite dans les luttes, à demain au combat. L'époque est curieuse, mais elle a l'odeur du soufre. La lutte s'organise, de façon informelle mais assurée et solidaire. L'époque est exaltante. Vraiment.

RASSEMBLEMENT DE SOUTIEN DEMAIN LUNDI A 18H DEVANT LA MARQUISE rue de Birague !!!

Lire aussi l'article de Julien Martin, sur rue89
Et le communiqué du PG

(photos persos, C Grover et S Rivret)

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