vendredi 5 novembre 2010

L'expert, le philosophe et la politique (1)

Mercredi soir j'étais à l'ENS de Lyon pour une conférence sur Yasuni ITT, cette initiative de l'Équateur pour ne pas exploiter les réserves de pétrole contenues dans le parc du même nom et les laisser sous terre.

J'avais un peu peur qu'on se marche sur les pieds dans nos interventions avec Matthieu le Quang (l'expert) et Paul Ariès (le philosophe) mais finalement on a formé une jolie équipe, très complémentaire. Matthieu pointu sur le projet et son contexte en Équateur, qu'il connait sur le bout des doigts, et Paul lyrique sur le "buen vivir", citant abondamment Alberto Acosta, l'ancien Ministres des Mines et de l'Énergie à l'origine de cette brillante idée. Je n'avais plus qu'à mettre une touche de politique et de mobilisation citoyenne pour finir d'enfoncer le clou ;)

Grâce au boulot des camarades et notamment d'Eduardo Meneses sur place, on s'est retrouvés face à une salle bien pleine, à vue d'œil environ 130 personnes, et très variée : des étudiants, des militants de l'autre gauche, des copains du réseau France - Amérique Latine, des écolos...

On a échangé pas mal de réflexions, j'ai beaucoup appris sur l'Équateur et approfondi mes connaissances sur Yasuni, en ai profité pour transmettre le dernier bouquin de Jean Luc Mélenchon dédicacé à Rafael Correa et reçu en échange le plan national para el buen vivir, passé un diner bien agréable et suis repartie décidée à enfin répondre aux invitations en allant faire un tour en Équateur très vite :)

D'ici là je devrais rencontrer Alexandra Almeida d'Accion Ecologica Equateur avec l'UCJS puis j'espère la coordinatrice de la commission Yasuni-ITT, la ministre Maria Fernanda Espinosa, dans les prochaines semaines. Je prévois aussi d'animer une formation aux élus de la gauche par l'exemple sur ce thème. Et on réfléchit à l'implication de la région Rhône Alpes dans ce projet...

En attendant la vidéo de la conférence et les textes de Matthieu le Quang et de Paul Ariès, que je mettrai bientôt en ligne, voici quelques jolies choses entendues ce soir là : "le fait de ne rien faire doit aussi avoir une valeur", "l'objection de croissance, la version occidentale du buen vivir"... Une tonalité très "écologie radicale" ! Et je n'y suis pas allée de main morte non plus ;)

Voici ce que j'ai raconté sur Yasuni, en faisant un petit détour par les pénuries d'essence en France, le peak oil, le capitalisme vert et la planification écologique...

l'appel de soutien est à signer en ligne ici

"Yasuni, ou le pas de côté postpétrolier" à télécharger ici ou à lire ci dessous

Bonsoir et merci de votre invitation,

Je tiens à saluer la commission conférences de l'ENS de Lyon, Eduardo Meneses et tous les camarades qui se sont mis en quatre pour organiser cette conférence sur un sujet qui nous tient à cœur et ouvre de belles perspectives comme viennent de le montrer Matthieu le Quang et Paul Ariès.

Mais avant de retourner vers l'Équateur, un petit détour par la France et l'actualité sociale, vous verrez que ce n'est pas sans rapport. Nous venons d'avoir la preuve par l'exemple que pour commencer à faire un peu frémir le pouvoir dominant, rien ne vaut la pénurie de carburant. Les camarades du Rhône sont bien placés pour le savoir, eux qui ont soutenu les travailleurs de la raffinerie de Feyzin.

Je veux parler bien sûr de la mobilisation sociale sur nos retraites et des mouvements de grèves dans les ports, les raffineries et les dépôts. Soudain, la France s'est réveillée accro au pétrole et a du recourir à l'importation. Notre dépendance au pétrole est flagrante, et pourtant nous persistons à nier cette évidence et à foncer dans le mur. Car le pétrole ne sert pas qu'à nourrir nos voitures et nos camions, il est présent partout : moquettes, plastiques, mobilier, textiles… Le pétrole et ses dérivés interviennent dans la production de plus de 90% des biens industriels, qui plus est bien souvent jetables ! Or les réserves de pétrole ne sont pas extensibles à l'infini. Alors on assiste à une course aux nouveaux gisements, avec des forages de plus en plus loin... et de plus en plus risqués. Les habitants du Golfe du Mexique en savent quelque chose, qui ont vu leur zone dévastée par la marée noire provoquée par les appétits productivistes de BP.

Alors qu'est ce qu'on fait ? On continue comme ça ? On va exploiter les sables bitumineux au Canada, on se prépare à un scénario à la Mad Max où faute d'anticiper la pénurie il va falloir faire la guerre pour quelques gouttes d'or noir ? Il n'y a qu'à voir les mouvements de troupe le long des pipelines et l'intérêt subi qui a pris les États Unis d'Amérique à aller sauver la démocratie en Irak...

Ou alors on siffle le coup d'arrêt, on fait un pas de côté et on essaye d'imaginer autre chose ? C'est ce que vient de faire le gouvernement équatorien. Cette initiative bouleverse la donne et inverse les schémas. C'est en cela qu'elle nous intéresse, nous politiques, partisans d'une transformation écologique et sociale de la société, d'une écologie radicale. Car radicale, ça veut dire aller aux racines du mal et non pas se contenter d'accompagner le système capitaliste, libéral et productiviste en espérant pouvoir le réguler. Au Parti de Gauche, le capitalisme vert non seulement on n'y croit pas, mais on le combat. Parce que l'écologie ne peut pas être traitée par ceux là même qui ont pour objectif premier de faire des profits, le plus possible et le plus vite possible ! Ils sont prêts à tout pour rentabiliser le capital, et on le sait, la recherche effrénée du profit se fait toujours par l'exploitation, celles des hommes et celle des écosystèmes. C'est le principe même du moteur productiviste qui domine notre système économique.

Pour rémunérer les actionnaires il faut vendre plus.

Pour vendre plus il faut produire plus.

Et pour produire plus il faut toujours plus de ressources naturelles.

Pour vendre plus, il faut des produits qui ne se réparent pas, de la publicité et des modes qui donnent envie d'acheter, du crédit à la consommation et de la main d'œuvre à bas coût.

Comment croire que c'est en s'associant à ces groupes privés qu'on va sauver les conditions d'une vie humaine sur Terre ? Qu'on nous explique comment demander à ceux qui nous vendent des produits de grande consommation de les faire durer , dans le temps ? Ça ferait baisser les ventes !

Comment demander à ceux qui nous vendent de l'énergie, de plus en plus privatisée, de nous inciter à la sobriété ? Ça ferait chuter le CA !

Soyons sérieux. On ne résoudra pas le problème en le confiant au privé et sans s'attaquer au système.

Enfin, et surtout, plus personne ne peut s'exonérer de l'impérieuse nécessité de lier questions écologiques et sociales. Ne reproduisons pas les erreurs du projet de taxe carbone du gouvernement où les premiers pénalisés étaient les plus pauvres. Ceux là qui justement n'ont pas le choix de modifier leurs comportements : rouler dans une vieille bagnole polluante pour aller bosser, en l'absence de transports collectifs. Ceux là même qui vivent dans un vieux logement passoire où l'énergie fuit de partout, sans avoir les moyens de financer l'installation d'un panneau solaire !

Au contraire, notre analyse est que c'est le mode de vie des plus riches, fondé sur une logique d'accumulation, et érigé en modèle par la pub et les médias à grands coups de bling bling et de yachts dorés qui est non seulement cause d'inégalités sociales, certes, mais aussi de l'urgence écologique. Aujourd'hui, les 20% les plus riches consomment plus de 80% des richesses de la planète, les 20% les plus pauvres doivent eux se contenter d'un minuscule 1,6% ! La croissance mondialisée, le libre échange, font qu'un pot de yahourt aux fraises parcourt plus de 9.000 km pour arriver dans notre frigo. Qu'un bête jean parcourt 30.000 km, soit à peu près le tour du monde avant d'arriver dans notre placard. Conditions de travail infectes des sweatshops, exode rural, trajets polluants et émissions de gaz à effet de serre (GES), exploitation des ressources des Pays du Sud... On marche sur la tête.

Ce sont les politiques sauvages libérales de l'Union européenne, de l'OMC, du FMI, de la banque Mondiale qui poussent à ces mises en compétition déloyales, à ce dumping social et environnemental qui creuse les inégalités Nord-Sud, casse les mécanismes de solidarité et les services publics des pays du Sud, les poussent à passer d'une agriculture paysanne à des monocultures intensives destinées à l'exportation, et même, pour les agrocarburants, destinées non plus à l'alimentation humaine, mais à nourrir nos voitures ! On en revient à ce fameux pétrole...

Et c'est aussi un des mérites de la mobilisation grandissante autour de Yasuni, que de lever un coin du voile sur cette question qui est tout aussi préoccupante que le dérèglement climatique. Parce que vous avez remarqué, on parle beaucoup de climat, mais moins de biodiversité, moins rentable, ni du fameux peak oil... On ne l'attendait pas de ce côté là, mais ce sont récemment deux prises de position de l'Armée qui ont rouvert le dossier. L'Armée allemande, d'abord, qui dans un rapport censément confidentiel, fait état des risques stratégiques, économiques et démocratiques (eh non, pas environnementaux, faut pas pousser quand même) que fait peser la raréfaction à terme des ressources en pétrole à l'échelle de la planète. Et voilà que dans le Canard Enchainé, on apprend que l'Armée française elle aussi commence à sursauter. L'amiral Edouard Guillaud, chef d'état major des armées, a ainsi enfoncé le clou en affirmant que la période était au retour de la guerre : prolifération nucléaire, conflits pour le pétrole, pour l'accès à l'eau, les enjeux alimentaires etc. Peak oil, ou : quand le productivisme fournit du taff aux militaires. Chouette perspective !

Plutôt que de faire ami-ami avec les dictateurs et autres régimes autoritaires producteurs de pétrole (le choix ne manque pas) et de continuer à foncer dans le mur en prenant l'air dégagé, en attendant tranquillement qu'on nous mette en place des quotas et autres permis de consommer que les plus riches pourront s'échanger moyennant finances à la Bourse du Pétrole, ce serait peut être pas idiot de planifier la sortie de la dépendance, de faire preuve de sobriété énergétique et de revoir nos modes de production et de consommation... Et de commencer tout de suite. Il est grand temps de remettre à l'endroit ce que le capitalisme fait tourner à l'envers. Et pour ça, de siffler la fin de la récré, changer les règles du jeu, redéfinir la notion de richesse et de progrès humain, enclencher la mutation écologique d'urgence !

Chez nous hélas, Le gouvernement y répond par la croissance verte, la taxe carbone, la loi de modernisation économique qui facilite l'ouverture de supermarchés, le travail du dimanche, les heures supplémentaires, le bouclier fiscal et la privatisation du rail et de l'énergie. Les écolos libéraux et les environnementalistes par l'écologie punitive qui fait ses gros yeux pour culpabiliser les méchants citoyen-nes qui polluent pour se chauffer et se déplacer... Sans remettre en cause le système et en se prétendant apolitique, au nom de l'environnement. Et en oubliant parfois un peu vite le social... Prenons la raffinerie Total de Dunkerque. Certains environnementalistes applaudissent des deux mains à l'idée de la fermer. Mais concrètement ça veut dire quoi ? Ca veut dire qu'elle va être déocalisée en Arabie Saoudite et qu'on va laisser sur le carreau 1000 familles qui dépendent de ces emplois pour vivre ! Cette attitude est totalement irresponsabe, elle ne résoud rien et ne fait que déplacer le problème en aggravant la crise sociale. La révolution énergétique, ça se planifie ! Pour former et accompagner les travailleurs et la reconversion industrielle, relocaliser la production tout en se posant la question de ce la sobriété de nos consommations, de ce qu'on produit et de comment on le fait. Il n'existe pas de solutions magiques en dehors de ces questions, et ceux qui veulent nous le faire croire sont des menteurs. Un autre exemple, la moitié aujourd'hui des composants de l'éolien et du solaire sont produits en Chine, dans des conditions de travail inacceptables, et représentent une énergie grise, c'est à dire l'énergie nécessaire à leur production et retraitement, considérable. Il ne suffit pas de parler d'emplois verts et de renouvelables pour être écologiste. Tout ça est un peu plus compliqué, demande une vision d'ensemble, systèmique, et un peu de courage et de cohérence politique...

Le projet Yasuni, lui, est radical : il supprime les dégâts à la source en n'exploitant pas ces réserves. Et il est éminemment politique en allant bien au-delà de la seule question environnementale.

Parce qu'il englobe la défense des intérêts des peuples et le volet social.

Parce qu'il remet en cause la logique extractiviste et productiviste, s'attaque aux lobbies et ne fait pas appel aux mécanismes de marché.

Parce qu'à rebours des logiques néolibérales, il invente une autre mondialisation, solidaire et respectueuse de la souveraineté des peuples.

… Et met au défi les pays du Nord de respecter leurs discours sur l’environnement après l'échec de Copenhague

Parce qu'en érigeant le parc Yasuni ITT comme bien commun de l 'humanité, après les glaciers argentins et l'eau à l'initiative de la Bolivie, il fait de la défense de l’écosystème une composante primordiale de l’intérêt général mondial tout en remplaçant la logique de concurrence mondiale agressive par le principe de responsabilité commune, mais différenciée. Il faudra d'ailleurs réaffirmer haut et fort que les pays riches devront contribuer plus que les pays pauvres au financement de services publics gratuits et de qualité à l’échelle internationale, parce qu’en matière de changement climatique et de dette écologique notamment, ils les ont rendus plus que d’autres nécessaires.

Parce qu'avec ce fidéicommis, l'Équateur donne une garantie politique forte pour que ce projet se réalise dans la durée, au delà d'éventuelles alternances gouvernementales. Or l'écologie se pense sur le long terme, c'est d'ailleurs pourquoi au PG nous parlons de planification écologique.

Tirons plus loin encore... On peut imaginer, en rêvant un peu, qu'un tel projet permette de remplacer les politiques de développement tirées par les exportations par des modes de développement endogène qui profitent directement aux populations, qu'il permette, en bref, d'engager le monde dans l'économie post pétrolière et ouvrir la voie au « buen vivir » en articulant urgence écologique et justice sociale.

Alors, pour toutes celles et ceux qui promeuvent une véritable révolution énergétique et un projet de transformation écologique et sociale de la société, ce projet doit être activement soutenu. Le PG, avec d'autres, s'est engagé dans cette bataille et appelle tous les élus, partis, citoyens, à faire de même. Déjà, les élus du Front de gauche ont déposé une question au Parlement européen en février, une série de voeux se prépare en régions, un appel de soutien circule, une conférence a eu lieu au Sénat en juin... Et cela commence à porter ses fruits. Yasuni sert de source d'inspiration pour d'autres pays d'Amérique du Sud (Pérou, Bolivie, Guatemala...) et pourrait bien constituer le signe concret d'un tournant écologique à l'échelle internationale. Des Etats s'engagent pour contribuer au financement du projet : le Chili, l'Espagne, l'Allemagne, l'Italie. Le rapport sur les relations commerciales entre l'Europe et l'Amérique latine voté par le Parlement européen ce mois ci invite l'Union européenne à soutenir la nouvelle idée consistant à promouvoir la protection de l'environnement via la compensation des éventuelles pertes en termes de recettes commerciales, et à cofinancer la création du Fonds.

De notre côté, nous devons nous engager à faire pression sur le gouvernement français pour qu'il verse une contribution financière conséquente à ce fonds, à faire la promotion de cette initiative auprès de tous les États et notamment auprès des Etats membres de l’UE , à défendre la réplicabilité de ce projet pour tout ce qui relève de l’intérêt général mondial, à veiller à ce que le principe de responsabilité commune respecte la différenciation en fonction des moyens des États et de la dette écologique imputable au pays du Nord. Il est temps désormais que la mobilisation citoyenne fasse pression sur les gouvernements pour soutenir l'Équateur dans cette initiative d'intérêt général qui va bien au-delà des frontières équatoriennes, et pourrait bien créer un précédent. Ce projet est aussi une formidable occasion de faire de l'éducation populaire et nous avons un besoin absolu sur ces questions de mobiliser la population : les comportements individuels ne suffiront pas, mais on ne fera pas sans !

En conclusion, je voudrais citer l'appel de soutien au projet Yasuni qui peut être signé sur Internet (projetitt.vacau.com) :

Il ne s’agit plus de faire des discours d’intention sur les impacts du réchauffement global et du changement climatique. Le monde a besoin d’actions concrètes et de la mise en place de véritables politiques publiques en matière d’écologie, appuyées sur les mouvements sociaux et les peuples concernés. Le projet ITT, menacé aujourd’hui par l’absence d’engagements qui conforte ceux qui s’y opposent, est une des premières initiatives qui va dans ce sens-là ; il représente un exemple pour que l’économie post-pétrolière et la justice climatique deviennent réalité.

Cela dépend de nous ! Merci.

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