jeudi 26 mai 2011

De Puerta del Sol à la Bastille : la calle no calla! (10)

A Toulouse hier soir, plus de 300 personnes, l'augmentation est perceptible. L'intérêt des médias grandit aussi, avec plusieurs photographes et caméras. En revanche, la liaison skype n'a pas fonctionné entre Madrid et Paris malgré des efforts acharnés. Les copains ne lâchent rien, même pas ça. Ils réessayent demain soir pour l'AG de la Bastille. En attendant de les rejoindre, suite du récit de Céline a Madrid...

Mercredi. Il est 17H30 et le soleil tape très dur. Certain-e-s font la sieste à l'ombre des tentes. Du côté du Parlement populaire, pas de pause. Les gens défilent les uns après les autres.  Ils ont de quinze à plus de 80 ans. Des femmes, des hommes, des espagnols, des immigrés (latino-américains surtout), des touristes...

Ils viennent crier leur rage: "Y'en a marre des banquiers voleurs!", "On veut une vraie démocratie maintenant, comme celle qu'on crée ici! On veut être écoutés!" "Ça c'est notre Révolution française et elle ne va pas s'arrêter!", "Elle est où la putain de presse? Dans ce parlement on s'exprime! Évidemment là où est la démocratie la presse est absente!"

Ils viennent expliquer leurs problèmes: "Je n'en peux plus de payer la banque!", " J'ai un job, j'ai de la chance mais je ne vais pas considérer qu'avoir un  job qui me permet juste de faire manger est un privilège","on nous éduque depuis toujours dans la peur et la compétitivité, mais personne ne change l'éducation. On nous enchaine à ça. Il faut que ça change"

Ils viennent donner leur point de vue sur le mouvement: "Il faut dire au gens de venir, de ne pas croire ce que dit la télé moi j'avais un peu peur de ce que j'allais trouver ici mais en fait c'est extraordinaire", "Ici on leur montre qu'on sait encore faire usage de notre liberté", "Je suis né en 1941, j'ai lutté contre le franquisme, je suis fier de vous! Adelante, siempre adelante!", "Ici c'est plus qu'une révolte. On construit un vrai pouvoir populaire. Ici on a commencé la révolution!"

Et une jeune fille frêle est venue donner un témoignage qui est à lui seul tout un symbole: "Je viens de sortir de l'hôpital mais j'ai tout de suite venir à Sol pour me battre pour mon futur! Un truc pareil ça n'arrive qu'une fois dans une vie!"

Et il y en a encore qui croit qu'un mouvement pareil peut s'éteindre?
Qui croit encore pouvoir nous faire taire?

Mercredi soir. Au stand de la commission communication, c'est l'ébullition. Depuis ce matin, on essaie d'organiser une connection par skype avec les assemblées de Grenade, Alicante, Séville, La Corogne, Tenerife, Bilbao, Santander, Salamanca, Jaén, Paris, Lyon et Toulouse.

Des heures de boulot des deux côtés des Pyrénées, mais se voir et se transmettre l'énergie de la lutte en direct n'a pas de prix! :)

A 20H30, bonne nouvelle: Pablo et Juliette, qui font respectivement le lien avec Paris depuis Toulouse et Paris, ont trouvé un moyen de se connecter. A Lyon, c'est plus compliqué. Pas de wifi à Bellecour et sur place personne n'a d'iphone pour se connecter à Skype. Partie remise pour Lyon donc.

Mais nous ne sommes pas au bout de nos peines. 21H, heure supposée de la connexion. L'électricité ne marche plus à communication. Kalambre, le camarade qui fait la connexion ici, essaie de rester calme. Ça arrive souvent... :(

Tout le monde trépigne, Kalambre le premier. "Putain putain! On va avoir les copains de Paris en direct!" s'exclame-t-il. "Qu'est-ce que ça donne en France?" me demande Jau. Aux dernières nouvelles, il y a 200 personnes à Toulouse, 300 à Lyon et 650 à Paris! "Putain trop bien! En France vous savez y faire! Si ça monte comme ici, ensemble, on va casser la baraque! Mais brûlez pas de voitures, hein?!!!!"

Je crois que pour la première fois de ma vie je ne sens plus les contradictions franco-espagnole. Elles sont loin les brimades "espingouines". Aujourd'hui j'ai vu des touristes français célébrer les luttes espagnoles, j'ai entendu mes amis franco-espagnols me dire des larmes dans la voix que j'ai trop de chance d'être sur place, j'ai vu mes camarades du temps tout faire pour se connecter avec la France. On va la faire cette révolution ensemble! :)

Ça y est! Ça marche! "Venez les gens! On va parler avec Paris! " Ça s'attroupe! Alleeeez!  Et non...ça veut pas! Pétage de plombs! Kalambre veut y croire: "ça va marcher, si si je te dis ça va marcher!"...

Au bout d'une heure et demie d'efforts, on a réussi à entendre Paris. Pas à les voir. Rendez-vous est pris avec Paris pour vendredi à 21H. Pour Lyon et Toulouse ce sera demain à 21H.

Entre fatigue, agacement, éclats de rire et nouvelles amitiés révolutionnaires, l'équipe des acharnés du skype vous salue! :)

23h30 - Le camp a encore grandi. C'est étrange de vivre dans un environnement aussi changeant. Ce qui la veille était ton chemin-repère qu'on est devenu un cul de sac. Les frontières n'existent pas. Le campement déborde partout!

Surprise: un cinéma en plein air trône désormais au bout de la place, près de la calle del Arenal et ses grands magasins! Ce soir, on diffuse un documentaire sur les luttes ouvrières en Espagne. Il y a beaucoup moins de monde que du côté du Parlement populaire, mais ils sont plusieurs à suivre. Et surtout, les badauds s'arrêtent et écoutent.

Je me fraye un chemin jusqu'au mégaphone pour dire aux copains d'annoncer qu'il y avait 650 personnes à Paris ce soir et que demain un camapement se monte place du Capitole à Toulouse. "Viva","Vamos Francia!" crie-t-on dans le camp. "C'est génial!" Me glisse une jeune fille de 20 ans.

Minuit. Le camp se tait pour la minute de silence habituelle. Toujours aussi impressionante. Puis les rires, les discussions, le film, les lectures et les chants reprennent. La nuit commence sur la Puerta del Sol ;)

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