mercredi 29 juin 2011

Aux clochards héroïques et marginaux de la politique

La fin d'année est chargée, on le sait. C'est chaque fois pareil. Le mois de juin accélère le temps. Il s'agit de boucler les affaires courantes avant de partir en congés. D'où la succession de délibérations en Conseil régional, de dates à prendre pour la rentrée, les débats à caler pour notre Remue méninges "A Gauche" de la fin août, les invitations à représenter le PG aux universités d'été des autres formations, les dossiers à conclure avant la pause estivale. Et évidemment ça tombe mal, car nous sommes tous épuisés. Littéralement sur les rotules. Encore deux semaines à tenir.

L'année a été dense, oui. Et dure. Mais elle se termine sur une belle note. Après trois ans d'efforts acharnés, l'union de la gauche radicale commence enfin à sérieusement prendre forme. Avec un candidat commun à la présidentielle, Jean Luc Mélenchon. Qui, comme cela ne vous aura pas échappé, n'est pas issu des rangs communistes. Une première depuis 1974, et une belle réponse à tous ceux qui nous ressortent inlassablement, en guise d'argument massue pour couvrir leur refus d'union, l'hégémonie du PCF dans le Front de Gauche.

Et avec un Front de Gauche qui n'est précisément plus l'affaire de quelques uns, ni un cartel d'organisations, mais un rassemblement dans lequel de plus en plus de citoyen-ne-s nous disent se reconnaitre, sur les marchés et les manifs, dans la rue, au guichet SNCF ou encore dans le métro parisien. Et qui comprend maintenant six organisations, avec en plus du trio PG-PCF-GU, l'arrivée de la Fédération (Fase), de Convergences & Alternatives (des camarades unitaires issus du NPA) et de République et Socialisme. Ironie du sort, les Alternatifs, avec lesquels nous signions le premier appel à l'unité, ne sont pas (encore) là, ils se décideront en décembre. Pour le M'Pep, avec lesquels nous avons mené trois campagnes et qui étaient si près du Front de Gauche, ce sera en janvier 2012 - autant dire dans un siècle. Et le NPA n'en finit plus de se décomposer dans des contractions identitaires. Franchement ça ne me réjouit pas une seule seconde. J'aurais mille fois préféré un NPA fort dans le Front de gauche qu'un NPA moribond en dehors.

Nous avons tou-te-s donné tant et plus pour cette unité. Je suis bien placée pour le savoir. Oui, l'unité est un combat, qui nous vaut de belles claques parfois, et des coups venus de là où on ne les attendait pas. Mais à chaque fois on se relève, on lèche ses plaies et on y retourne. Parce que le PG s'est créé sur cette conviction que nous devions nous étions plus nombreux qu'eux. Qu'on ne gagnerait pas seuls, chacun dans son coin, qu'il fallait nous allier pour être plus forts, pour battre la droite et passer devant le PS à gauche. Pour qu'une vraie alternative naisse enfin dans ce pays, pour sortir du piège du vote utile et du bipartisme PS-UMP. Pour que les abstentionnistes déçus par la gauche socio-libérale retrouvent l'envie d'aller voter. Pour que les choses changent.

Alors on a retroussé nos manches, et on a passé des heures à discuter, à proposer, à négocier, à revenir à la charge, surmontant les déceptions, les trahisons, les colères parfois. A voir ces discussions qui n'en finissent pas, ces heures et cette énergie passées sur la place d'une virgule ou pour savoir si on veut "sortir du Traité de Lisbonne" ou "s'affranchir de son carcan"... Alors qu'on devrait être en train de taper sur la droite, plutôt que de s'écharper entre camarades anticapitalistes. Les envies d'envoyer tout le monde au diable, de jeter l'éponge et de retourner à son jardin.

Mais il y a un moment en politique où on ne s'appartient plus et où le sens de l'intérêt général prend le dessus sur les envies de calme, sur le désir parfois poignant de retrouver une vie normale et paisible. Ça peut paraitre pompeux, mais c'est vrai. Il se passe un truc quand on devient représentant du peuple, élu de la République. Un truc qui nous dépasse.

Jean Luc Mélenchon, à notre Conseil National du PG, évoquait "les francs tireurs et partisans, les clochards héroïques". Et une camarade me disait récemment que nous étions les marginaux de la politique. Plus j'y pense, plus ça me semble juste. Il suffit que je me regarde bosser sur mes genoux assises dans un hall de gare, rédiger un communiqué entre deux réunions, me maquiller dans le rétroviseur de ma voiture, faire une lessive dans un lavabo d'hôtel et manger des barres de céréale en téléphonant pour caler un enième rendez vous.

On a pas de secrétaires, pas de permanents, pas de budgets de communication, pas d'attachés de presse. Personne pour prendre les billets de train, rédiger les discours ou répondre aux courriers. On fait tout nous mêmes, souvent à l'arrache. C'est usant. Mais c'est ce qui nous permet de ne pas sombrer dans la bureaucratie, et de rester en lien avec les réalités. Et puis on est obligés de faire preuve d'imagination, de débrouillardise, d'inventer d'autres manières de faire. Moins coûteuses, moins conventionnelles. Plus basées sur la solidarité. Et pour tout dire je préfère demander de l'aide aux camarades quand il y a besoin d'un coup de main que de passer un coup de fil à un employé pour qu'il le fasse à ma place. Question de classe.

Pour la présidentielle, le PS et l'UMP vont mettre chacun plus de 20 millions sur la table. Nous on veut mettre le peuple sur la place, et faire place au peuple. Ce n'est pas qu'un symbole. Et pas une posture. C'est tout un état d'esprit, et une autre vision de la politique. Et on y tient farouchement.

Dans cette longue recherche d'unité, au premier rang pour le PG, c'est Éric Coquerel, notre secrétaire national en charge des relations unitaires qui n'en finit pas de nous épater par son opiniâtreté et son efficacité. J'insiste pour en dire un mot. Pas pour faire son panégyrique, mais parce que c'est représentatif je crois de notre manière de faire et de notre volonté de renouveler le genre. Parce qu'Éric parvient à allier fermeté et humanité dans les négociations, c'est rare. Il ne  fait pas partie de ces négociateurs tordus et boutiquiers qui s'aigrissent au fur et à mesure qu'ils engrangent bonnes et mauvaises fortunes. Ni de ces politicards qui réfléchissent à dix bandes à la meilleure manière d'entourlouper leurs soi disants partenaires. Non, il ne confond pas tactique politique et mauvaise foi. Et cela est reconnu.

Il reste donc de l'espoir pour la "classe" politique. Et c'est une bonne nouvelle. Nous avons besoin de gens comme ça qui montrent qu'on est pas obligé de faire comme les autres, que s'engager en politique ne signifie pas endosser une armure et se blinder. Qu'on est pas obligé, pour faire bref, de devenir comme ceux qu'on combat. Je résiste depuis quatre ans à ça. A ceux qui me disent, quand je leur raconte les coups bas, la mauvaise foi, les petites magouilles : "Ben, c'est ça la politique, qu'est ce que tu croyais ?". Ben non, c'est pas ça la politique. C'est pas ça notre politique. Et on essaye d'en faire la démonstration tous les jours. Franchement c'est pas le plus simple. Parce qu'on bouscule les codes et que ça ne plait pas. Croyez moi, on ne se fait pas que des copains quand on refuse de troquer des votes, quand on refuse de regarder ailleurs, et que "majorité de gauche" ou pas, on fait passer le mandat que nous ont confié nos électeurs avant la complaisance envers nos collègues élus. Quand on refuse de baisser les yeux.

La semaine dernière je me suis retrouvée à l'Assemblée Générale d'AREA, les autoroutes de Rhône Alpes. Quand j'ai vu cette délégation à la Région, j'ai sauté dessus. Pour avoir enfin accès aux chiffres des profits issus des péages que j'avais eu tant de mal à trouver pour mon papier sur Vinci dans le Sarkophage. Et puis je m'étais dit que ça serait sans doute instructif et, comment dire... croustillant. Je n'ai pas été déçue. Une douzaine de mecs en costard-cravate, et moi. Seule femme. Probablement seule de gauche. Et seule à ne pas voter contre l'augmentation de capital réservée aux salariés. Il faut voir les paires d'yeux se tourner et répondre avec aplomb quand le président de séance vous demande de confirmer votre vote.

Avec plaisir, monsieur le président. Que ça vous plaise ou non. Et fuck l'unanimisme.

« L'histoire, le matérialisme, le monisme, le positivisme, et tous les mots en «ismes» de ce monde sont des outils vieux et rouillés dont je n'ai plus besoin et auquel je ne prête plus attention. Mon principe c'est la vie, ma fin c'est la mort.

Je veux vivre ma vie intensément pour embrasser ma vie tragiquement. Vous attendez la révolution ? La mienne a commencé il y a longtemps! Quand vous serez prêts (Mon Dieu, quelle attente sans fin !) je ferai volontiers un bout de chemin avec vous. Mais quand vous vous arrêterez, je continuerai ma voie folle et triomphale vers la grande et sublime conquête du néant!

Toute société que vous bâtirez aura ses limites. Et en dehors des limites de toute société, les clochards héroïques et turbulents erreront, avec leurs pensées vierges et sauvages - eux qui ne peuvent vivre sans concevoir de toujours nouveaux et terribles éclatements de rébellion! Je serai parmi eux! Et après moi, comme avant moi, il y aura ceux qui disent à leurs frères :

« Tournez-vous vers vous-mêmes plutôt que vers vos Dieux ou vos idoles. Découvrez ce qui se cache en vous-mêmes ; ramenez-le à la lumière ; montrez-vous ! » Parce que toute personne qui, cherchant dans sa propre intériorité, extrait ce qui y était caché mystérieusement, est une ombre qui éclipse toute forme de société pouvant exister sous le soleil !

Toutes les sociétés tremblent quand l'aristocratie méprisante des clochards, les inaccessibles, les uniques, les maîtres de l'idéal et les conquérants du néant, avance résolument. Avancez donc iconoclastes ! En avant ! Déjà le ciel menaçant devient noir et silencieux ! »

Renzo Novatore, Arcola Janvier 1920, nom de plume de Abele Rizieri Ferrari (1890 – 1922), anarchiste, anti-fasciste, poète, philosophe et militant.

Haut de page