dimanche 22 janvier 2012

Compte-rendu de la table ronde sur l'agriculture à Luc-en-Diois

À Luc en Diois, le Front de Gauche organisait une table ronde sur le monde agricole

7 janvier 2012. À l’occasion de la journée de lancement de la campagne dans la troisième circonscription de la Drôme, Corinne Morel Darleux, candidate du Front de Gauche et secrétaire nationale à l'écologie du PG, a organisé une table ronde sur l'agriculture. Le thème : Pour une agriculture porteuse d'un nouveau contrat social, comment faire exister une agriculture paysanne valorisante pour les producteurs et bienfaitrice pour les citoyens ?

Cette table ronde a rassemblé une grosse soixantaine de participants à Luc en Diois, au coeur de la plus vaste circonscription de France. Un territoire montagneux, rural, et très agricole. La Drôme est en effet le premier département en agriculture biologique de France, à la fois historiquement et en nombre de structures. L'agriculture ici est encore très paysanne, vivrière et de nombreux maraîchers sont en vente directe.
 
Aux côtés de Corinne Morel Darleux et de Laurent Levard pour le Front de Gauche (FDG), nous avions invité à témoigner Jérome Mougnoz de la Confédération Paysanne et Robert Delage, Maire de Saint Dizier en Diois et membre de Terres de Liens. De nombreux paysans et élus étaient présents dans la salle, le débat pointu, les échanges vifs et engagés.
 
Après un tour d'horizon sur les derniers recensements agricoles, qui ont permis de constater la perte de surface agricole (ce qu'on appelle la déprise, qui est de plus en plus importante hélas, notamment en Drôme plus encore que dans le reste de la Région), Robert Delage a porté le constat que certaines zones du territoire n'avaient plus aucun agriculteur, alors que c'était jusqu'ici l'activité économique la plus importante dans beaucoup de petites communes rurales. Les fermes sont alors trop souvent reconverties en résidences secondaires, accentuant la désertification rurale.

Jérôme Mougnoz, paysan syndicaliste et élu à la Chambre d'agriculture, est intervenu pour compléter ce constat d'une analyse politique : l'agriculture, comme les autres secteurs économiques, est elle aussi happée par le credo du "toujours plus, plus grand". Cela conduit à des structures trop importantes pour pouvoir être reprises par des jeunes, et ce sont autant de fermes qui sortent du champ agricole. Face à ce constat, les agriculteurs interpellent les institutions et les politiques, mais selon lui, si le discours suit, les actes, eux, n'apportent que peu de changement. L'exemple des points de vente collectifs illustre pourtant bien les alternatives possibles : il y en a aujourd'hui une vingtaine dans la Drôme qui se sont développées au fil des années. Un autre levier, la restauration hors foyer, doit être elle aussi mise au service de ce développement. Et il faut se fixer pour objectif la hausse du nombre d'agriculteurs : cela permettrait la hausse des cotisations à la MSA (système d'assurance sociale agricole) et serait bénéfique pour toute la société... Et pour les paysages !
 
Un discours très engagé, qui a fourni une transition toute naturelle à Laurent Levard, co-animateur national du Front de Gauche de l'Agriculture, venu pour l'occasion dans le Diois. Il a exposé le tournant libéral depuis vingt ans des politiques nationales et européennes, la dérégulation des marchés, la fin des quotas laitiers, et la Politique agricole commune (PAC) qui au lieu de compenser les inégalités de territoire ou de taille, vient hélas les renforcer en bénéficiant avant tout aux plus gros. C'est ainsi que sur quarante ans, 3 structures sur 4 ont disparu pendant que la taille moyenne des exploitations augmentait.

Ce mouvement est à mettre en rapport également avec les enjeux environnementaux : l'agriculture intensive a un impact sur le climat, la santé et la pollution : risques de prolifération des algues vertes, multiplication des cancers liés aux pesticides, baisse de la qualité des aliments produits. Sans compter le bilan en termes d'emplois et la courbe des prix : les revenus des producteurs baissent, alors que les prix pour les consommateurs, eux, augmentent.

Face à cette analyse, le Front de Gauche, explique Laurent Levard, se fixe pour objectif la création de 300.000 emplois agricoles. Cela représente une hausse de 50%. C'est ambitieux, mais c'est possible. L'agro-écologie est pourvoyeuse de main-d'oeuvre. La question des prix agricoles a également été abordée, notamment en lien avec les solidarités internationales et la souveraineté alimentaire des pays du Sud. Là aussi, le Front de Gauche a des propositions à faire. En premier lieu, refuser les politiques libérales de l'OMC et de l'Union européenne. Mais au niveau national aussi les possibilités d'action existent : encadrer les marges de la grande distribution, même si c'est contraire au Traité de Lisbonne, et muscler les politiques en matière de foncier : les outils existent mais ne sont pas appliqués, les mécanismes de type SAFER* et le contrôle des structures peuvent être renforcés au service d'un projet de hausse du nombre d'exploitations et de petites structures. Une taille maximale et une politique de redistribution des terres pourraient ainsi être envisagées à travers ces outils.
Pour favoriser la relocalisation des productions, les appels d'offres publics doivent pouvoir inclure une clause géographique. Et si c'est aujourd'hui interdit par l'Union européenne au nom de la concurrence "libre et non faussée", le Front de gauche se déclare prêt à entrer en désobéissance pour introduire ce critère de localisation. Enfin, Laurent Levard a souligné l'importance de la recherche agronomique publique et la nécessité d'une plus grande représentation de la diversité syndicale paysanne.

Le débat s'est ensuite engagé avec la salle, disposée en cercle afin de faciliter les prises de parole. Beaucoup de paysans présents ont apporté leurs témoignages sur la pratique, d'autres ont complété les propositions déjà émises. Des élus locaux également présents ont pu apporter leur point de vue. Tous ont souligné à quel point la question agricole ne pouvait être dissociée d'un projet politique dans son ensemble, abordant également la question des salaires, de la fiscalité ou encore de l'environnement.
 
Le lien avec l'augmentation du Smic proposée par le FDG, permettant pour certains participants d'augmenter le budget alimentaire des citoyens et donc in fine le revenu des agriculteurs, a largement été mis en débat. Un échange passionné a suivi sur la capacité des citoyens les plus pauvres à acheter des produits de meilleure qualité mais plus chers, de faire leurs courses en vente directe plutôt qu'en supermarché, de consacrer une part plus importante de leur budget à l'alimentation.

Les participants ont également demandé que le FDG n'oublie pas de revoir dans ses propositions les rôle et responsabilité du syndicat dominant FNSEA et des banques comme le Crédit Agricole. La question de l'idéologie dominante, de l'indispensable éducation au goût et de l'éloignement des citadins des champs a été pointée, et la discussion est naturellement venue sur la situation des salariés agricoles et la nécessité d'aides à l'installation et à la transmission.

Un participant a également souligné que les agriculteurs n'avaient pas forcément le label "bio" tout en pratiquant une agriculture paysanne respectueuse de la nature et des consommateurs. Ce lien à la nature a été souligné par plusieurs personnes, l'une d'elles faisant remarquer que notre programme aurait pu s'appeler : "Le vivant (humain et non-humain) d'abord". Plusieurs prises de parole sont revenues sur les SAFER*, leur fonctionnement actuel et futur souhaitable, sur les coefficients multiplicateurs** et la Dotation aux jeunes agriculteurs (DJA).

La question du protectionnisme a aussi été évoquée, comme souhaitable afin de préserver à la fois les paysans d'ici et ceux du Sud. Parmi les autres pistes concrètes évoquées : la création de SCIC (société coopérative d'intérêt collectif permettant de rassembler des citoyens, agriculteurs, collectivités locales afin d'acquérir des terres), la proposition d'une taxe sur les plus values au moment de la revente de terres agricoles et le renforcement des actions en faveur de la préservation du foncier, notamment via les permis accordés par les collectivités locales.

Après deux heures de discussions denses, entre citoyens, élus, militants et paysans, conclue par Corinne Morel Darleux, chacun-e a pu se dégourdir les jambes dans l'air vivifiant du Diois au pied du Vercors avant la suite du programme de cette belle journée de lancement de campagne : un spectacle de textes de Victor Hugo sur la République... Agriculture, art et culture, tout est politique !

* Safer : les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) doivent permettre à tout porteur de projet viable - qu'il soit agricole, artisanal, de service, résidentiel ou environnemental - de s'installer en milieu rural. Les projets doivent être en cohérence avec les politiques locales et répondre à l'intérêt général. (définition issue du site officiel safer.fr)

** Coefficient multiplicateur : le coefficient multiplicateur a été mis en place à la libération afin de protéger les paysans et les consommateurs des pratiques abusives des intermédiaires notamment en matière de marges. Dans une optique de souveraineté alimentaire du pays, l’objectif était également de permettre la satisfaction des besoins des français par une maîtrise publique et d’empêcher les spéculateurs de déstabiliser les prix et de déclencher des crises, comme cela était régulièrement le cas dans les années 30. Le principe de cet outil : L’Etat fixe un taux légal à ne pas dépasser entre le prix d’achat au fournisseur et le prix de vente au consommateur, taux qui s’applique à la chaîne des différents intermédiaires prise dans son ensemble (et non pas à individuellement à chacun d’entre eux). Par ce simple mécanisme les prix à la production sont protégés dans la mesure où une augmentation des marges des intermédiaires passe obligatoirement par une augmentation du prix d’achat au fournisseur. Mais les prix à la consommation sont de leur coté également protégés dans la mesure où le mécanisme interdit aux intermédiaires de dépasser un certain niveau de prix à la revente finale. En liant intimement le prix d’achat au fournisseur et le prix de revente au consommateur, le coefficient multiplicateur prémunit de fait contre les pratiques spéculatives de la part des distributeurs. (explication issue du site Modef PACA)

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