mercredi 1 mai 2013

Cahuzac, oligarchie et hauts cris : Lutter contre la démesure par le revenu maximum autorisé

BiziRMA.jpgLutte contre la démesure : pour un revenu maximum autorisé

(également téléchargeable ici en format PDF)

Plutôt que de parler de « moralisation de la vie publique » en faisant croire que la publication du patrimoine des ministres aura une quelconque influence sur le système qui se moque bien de savoir qui roule en Twingo, profitons en plutôt pour parler de fiscalité, réhabiliter l'impôt comme outil de justice sociale et réclamer l'instauration du revenu maximum autorisé (RMA) !

Le RMA est une mesure qui consiste à dire que l'hyper-richesse n'est pas légitime, et qu'il n'est pas acceptable que le total des revenus d'une personne dépasse une certaine somme : le revenu maximum autorisé. Je dois dire que je suis sincèrement ravie de voir des mouvements comme Bizi ! s'emparer de ce sujet, sur lequel nous nous sommes fait taxer de doux dingues pendant des années.

C'est un sujet pour lequel j'ai commencé à militer il y a 6 ou 7 ans, au sein du mouvement Utopia, et que j'ai continué à porter au Parti de Gauche en tant que secrétaire nationale à l'écologie. En mars 2009, nous déposions ainsi une proposition de loi sur la fiscalité écologique, l'écart maximum de salaires de 1 à 20, la réduction drastique de la publicité dans l'espace public. En septembre 2009, j'organisais un débat à la Fête de l'Humanité sur ce sujet avec Thomas Coutrot d'Attac et Hervé Kempf autour de son livre « Comment les riches détruisent la planète ». En 2012, la proposition de RMA était intégrée au programme du Front de Gauche L'humain d'abord.

Cahuzac, l'arbre qui cache la forêt.

Mais comme cela ne vous aura pas échappé... Nous n'avons pas gagné cette élection présidentielle. Et malheureusement, le RMA n'est pas à l'ordre du jour. Ce qui est à l'ordre du jour, c'est l'austérité, la casse du code du travail avec l'ANI, cet accord Made in Medef qui retranche encore des droits aux salariés au lieu de les renforcer face aux actionnaires. Ce qui est à l'ordre du jour, c'est M. Vidalies, ministre chargé des relations avec le Parlement et M. Leroux, Président du groupe PS à l'assemblée nationale, qui appellent les députés du PS à rejeter la loi d'amnistie sociale, alors que les sénateurs du même PS ont déjà vidé en grande partie la proposition de loi du FDG de son contenu en en écartant les défenseurs des migrants et de l'environnement. Ce qui est à l'ordre du jour, c'est l'aéroport de Notre Dame des Landes, le report de la fermeture de la centrale de Fessenheim, le décret d'autorisation des 44 tonnes sur la route, la LGV Lyon-Turin, et un débat sur la transition énergétique qui passe inaperçu...

Et bien sûr, la grande affaire Cahuzac. L'arbre qui cache la forêt... La fraude fiscale, c'est plusieurs milliards d'euros par an. Alors soyons sérieux deux minutes. Il est franchement temps de réaffirmer avec force que dans un projet de gauche, la lutte contre les inégalités passe aussi par le partage des richesses et le retour à la règle élémentaire de la progressivité de l’impôt. C'est comme avec le terme largement diffusé aujourd'hui de « trou de la sécu », ou encore le glissement sémantique des cotisations vers les charges sociales, l'objectif des libéraux est bien de faire entrer dans tous les esprits l'idée que notre système de solidarité, redistributif et collectif n'est plus tenable et que chacun doit se sauver soi-même. C'est l'individualisation forcenée de la société qui est en marche.

Et pourtant l'aspiration à l'égalité n'a pas disparu dans notre pays. En témoigne le dynamisme de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon qui l'a porté haut et fort, et l'empressement du PS à promettre et bricoler l'instauration d'une taxe à 75 %, mal ficelée et bien éloignée en réalité du concept de RMA, mais conçue pour essayer de capter le mouvement naissant autour de cette revendication.

Le point culminant de l'arrogance

Le RMA fait partie d'un ensemble de revendications pour un meilleur partage des richesses, pour en finir avec le mythe de la croissance qu'il faudrait attendre pour améliorer le sort des plus pauvres. Pourquoi attendre, les richesses existent ! Il faut réhabiliter l'impôt et déconstruire l'idée selon laquelle la pression fiscale amputerait le niveau de vie du grand nombre : c'est l'inverse. La véritable pression sur le niveau de vie des ouvriers et employés, c'est celle du capital, des actionnaires. Les patrons du CAC 40 gagnent en moyenne 300 fois le revenu médian des Français. Un patron du CAC 40 gagne ainsi en 1 jour ce qu’un smicard gagne en 1 an. Il paraît que la mode est aux liste de noms avec des chiffres en face ? En voici quelques-uns. Carlos Goshn, Renault/Nissan : 770 ans de SMIC (6 000 emplois supprimés) ; Chris Viehbacher, Sanofi-Aventis : 590 ans de SMIC (3 000 emplois supprimés) ; Christophe de Margerie, Total : 375 ans de SMIC ; Lakshi Mittal, Arcelor : 216 ans de SMIC... Concrètement, pour toucher l'ensemble des revenus, ceux du capital comme ceux du travail, l'outil approprié est la création d'une tranche supérieure de l'impôt sur le revenu à 100 %. Pour nous le RMA se situe à 360.000 euros, ce qui laisse donc tout de même un revenu de 30.000 euros par mois...

Non seulement le RMA est un outil de justice sociale, mais c'est aussi une mesure écologique. Car on ne résoudra pas l'équation climatique sans réduire drastiquement les inégalités. On ne trouvera pas de large implication populaire sur ces questions sans la mise en place d'une nouvelle répartition des revenus, plus juste et égalitaire. Parce que cette envolée des hauts revenus entretient la débauche consumériste d’une minorité. Parce que c'est cette minorité, cette oligarchie dorée, qui pollue le plus. Parce que son mode de vie est donné en exemple par les médias et la publicité, pour prôner l'accumulation matérielle et alimenter la machine productiviste. N'oublions jamais le fameux « Si t'as pas une Rolex à 50 ans, t'as raté ta vie ». Ce n'est pas à vous que je vais apprendre que le mode de vie qui permet de se payer une Rolex, que ce soit à 30 ou à 60 ans d'ailleurs, un : implique fatalement qu'à un moment ou l'autre de la chaîne on a contribué à l'exploitation sociale, et deux : qu'il n'est pas généralisable au vu de la crise climatique, de celle de la biodiversité, et de la finitude des ressources, notamment énergétiques.

Il s'agit donc bien de limiter les abus. Un autre exemple frappant : en juin 2010, alors que le puits de BP, situé à 1.500 m de profondeur, crachait depuis deux mois jusqu'à 9,5 millions de litres de pétrole par jour en plein golfe du Mexique, Tony Hayward, le patron de BP, ne trouvait rien de mieux à faire que d'aller pavoiser à une course de yachts... De yachts ! Dont le sien, "Bob". Et de pleurer dans les médias qu'il voulait « retrouver sa vie d'avant ». Il doit y avoir un paquet de gens dans le Golfe du Mexique qui eux aussi auraient sans doute aimé « retrouver leur vie d'avant »... On atteint là le point culminant de l'arrogance d'une oligarchie qui saccage, détruit, et s'en met plein les poches au passage. Plus récemment, les derniers soubresauts de l'actualité nous fournissent encore de nouveaux arguments. Une pathétique succession de mensonges au plus haut niveau de l’État, de mises en examen et de procès, de paradis fiscaux, banques suisses et autres comptes bancaires planqués aux îles Caiman...

Et face à tout ça, rien dans le projet de loi présenté en conseil des ministres le 24 avril, sur la transparence des comptes des multinationales et la transmission automatique d’informations fiscales entre pays. Rien non plus sur la fermeture des filiales des banques françaises dans les places offshore. Que tout ce marasme honteux serve au moins à quelque chose, parce que franchement quoi, désolée d'y revenir, mais une fois qu'on a dit qu'on roulait en Twingo on pourrait aller se faire prêter le jet d'un Bolloré pour une petite partie de golf au milieu du désert avec un Pinault, entre deux coups de yachts vers Guernesey, c'est ça ? Fadaises. Et nous on n'est pas fadas. Alors profitons-en pour pousser des mesures qui répondent à ces deux urgences intimement liées que sont le social et l'écologie.

On entend déjà les hauts cris de certains

Comme le revenu maximum autorisé donc, soit la taxation à 100 % des revenus (tous revenus confondus) au-delà de 20 fois le revenu médian. Ce qui permettrait au passage, puisqu'on parle de fiscalité redistributive, d'augmenter la progressivité de l'impôt avec la création de 9 nouvelles tranches. Tout prendre au-delà de 360.000 euros ? On entend déjà les hauts cris de certains. On est habitués, c'est toujours les mêmes, ceux qui ont tout intérêt à ce que le système tienne. Mais comme c'est difficilement avouable, surtout quand on est censé être de gauche, au lieu de le reconnaître ils nous disent que ce n'est pas possible. Ah, et pourquoi ?

D'abord, ça a déjà été fait. Et pas en Union soviétique ! Quand Roosevelt a été élu à la Maison Blanche, après la grande crise de 29, il a fait passer le taux d'imposition des plus riches de 25 à 91% en moins de dix ans. Quand Ronald Reagan est élu président en 1980, le taux marginal d’imposition est encore de 70%. C’est ainsi que pendant près d'un demi-siècle, le taux applicable aux plus hauts revenus a été supérieur à 80%, en moyenne, aux États-Unis. Cela n'a pas nui au dynamisme de l'économie américaine et les inégalités ont été fortement réduites pendant 40 ans, avant le retour des politiques libérales. En France, de 2002 à aujourd'hui, et grâce au bouclier fiscal de Sarkozy, le taux supérieur de l'impôt sur le revenu est passé de 52 à 40 %. Jusqu'en 1986, le taux supérieur était à 65 % (avec 14 tranches contre 5 aujourd'hui) et il dépassait même les 90 % sous la 3e République. Enfin au risque de me faire traiter de Robespierriste, je rappelle tout de même qu'un revenu maximum a été instauré dés la Révolution française dans le décret du 4 août 1789 qui, en abolissant les privilèges, plafonnait à 3000 livres annuelles les revenus tirés de rentes.

Ensuite, on nous dit que ça ferait fuir tout le monde. Tout le monde ? Mais qui serait concerné par cette taxation à 100 % ? Ceux qui gagnent plus de 360 000 euros annuels, c'est à dire plus de 30 000 euros mensuels : 0,05 % des contribuables, soit 15 000 ultra-riches. Que l'on peut rattraper avec l'« exit tax », une mesure qui existe déjà aux États-Unis et permettrait de percevoir le différentiel d'impôt pour les français à l'étranger, à hauteur de ce qu'ils auraient du payer en France. Et on ne serait pas capables de « redresser » le pays sans eux ? Ah parce que c'est c'est eux peut-être qui font tourner les machines, eux qui inventent un monde nouveau, eux qui cultivent nos champs et conduisent nos trains ? Fadaises, encore. Ceux-là ne font que pomper les ressources et en tirer des profits virtuels. Ce n'est pas de cette spéculation dont on a besoin, mais d'économie réelle, fondée sur des besoins réels. Et ça, croyez-moi, on sait faire. Bien mieux qu'eux. Et qu'on ne nous dise pas que ce n'est pas possible, qu'il y a besoin d'investissements et qu'il n'y a plus de sous dans les caisses de l’État. Margareth Thatcher est morte, je demande qu'on enterre avec elle le TINA (There is No Alternative). L'austérité n'est pas une fatalité !

Le PIB a doublé en 20 ans, les dividendes ont augmenté de 27% entre 2007 et 2012, les richesses sont là. Il existe des marges inutilisées pour une véritable politique de justice sociale. La preuve ? D'abord, l'austérité, c'est quand ça les arrange : le gouvernement n'hésite pas à investir des millions parfois. Le projet insensé d'aéroport à Notre Dame des Landes, c'est 131 millions pour l’État. La ligne à grande vitesse Lyon-Turin, tout comme l'EPR de Flamanville : 8,5 milliards. Le site d'enfouissement de déchets nucléaires à Bure : 35 milliards. Et l'on vient d'apprendre par l'IRSN qu'un accident nucléaire coûterait à la France de 760 à 5800 milliards d’euros, soit trois années de PIB ! En revanche ils ne trouvent pas 1 milliard pour nationaliser Florange et préserver les emplois. Rien n'est fait pour anticiper la raréfaction du pétrole, planifier la reconversion de l'outil industriel, faciliter les reprises en coopérative. Les sites ferment les uns après les autres, sans aucune réflexion de long terme. Cette absence de stratégie industrielle et de volonté politique risque de nous coûter bien cher.

Ensuite, si les caisses de l’État sont vides, c'est qu'elles ont été vidées ! Pour équilibrer un budget, il y a deux solutions : soit on réduit les dépenses et les investissements publics, c'est la logique de François Hollande et d'Angela Merkel. Soit on trouve de nouvelles ressources et on répartit l'effort non sur ceux qui ont déjà du mal à la fin du mois à choisir entre payer le loyer, le chauffage ou la bouffe, mais sur ceux qui peuvent payer. De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins... . C'est notre approche. Et on l'a chiffré très sérieusement avec une équipe d'économistes en faisant un contre-budget à la fin de l'année dernière. Dès la première année, notre contre budget - avec notamment une augmentation de la TVA sur les produits de luxe - permet de dégager 130 milliards d’euros supplémentaires. De quoi investir : 55 milliards pour partager les richesses et abolir l’insécurité sociale, 16 milliards pour la planification écologique et l'agriculture paysanne, autant pour la création d’un pôle public de l’énergie, les renouvelables, la sortie du nucléaire et le transport ferroviaire...

Alors une fois de plus, si eux ne savent pas le faire, alors qu'on leur sert sur un plateau la manière de s'y prendre, qu'ils sortent. Nous on peut !

Vers une nouvelle utopie écosocialiste

Je voudrais conclure en lançant quelques pistes de débat supplémentaires. D'abord, la gratuité des premières tranches de consommation d'énergie et d'eau, celles nécessaires à la vie. Il est inacceptable que l'eau qui sert à laver sa bagnole ou d'arroser un golf coûte le même prix que celle qui sert à se laver ou à se faire cuire des pâtes ! C'est une mesure simple, élémentaire même. Qui permettrait à la fois de réduire le gaspis de deux ressources précieuses, l'eau et l'énergie, et de faire face à l'urgence concrète de plus en plus de gens qui n'ont même plus de quoi se chauffer en hiver. Elle se finance toute seule par le renchérissement du mésusage, c'est à dire que ceux qui surconsomment payent pour ceux qui se contentent de vivre, et la distinction entre usages professionnels et particuliers.

Bien sûr, cela implique d'en avoir la maîtrise publique, comme pour tous les grands choix politiques, et donc le retour en régie publique de l'eau et la nationalisation d'EDF, GDF, Total et Areva dans un grand pôle public de l'énergie. Ça implique aussi de désobéir aux directives européennes. Mais une fois de plus, c'est possible. Ça aussi on l'a chiffré et scénarisé. Il suffit d'une bonne dose de courage et de volonté politique. On les a. Comme à la communauté d'agglomération des Lacs de l'Essonne qui est revenue en régie publique, avec gratuité d'accès, comme dans le Lot et Garonne où le conseil municipal de Barbaste vient d'adopter des tarifs progressifs de l'eau avec la gratuité des 15 premiers m3 !

Ensuite, tout ceci est intimement lié au débat sur revenu et travail, et sur la démocratie sociale au sein de l'entreprise. Nous sommes au PG très attachés à l'extension de nouveaux droits pour les salariés et à la reprise d'entreprise sous forme coopérative, favorisée en cas de fermeture imposée, et permettant de commencer à sortir de la propriété privée des moyens de production. Pour rétablir un peu de justice sociale dans l'entreprise, et parce que c'est compliqué d'arriver directement avec des mesures d'expropriation (sourire), nous avons déposé une proposition de loi en mars 2009, il y a tout juste 4 ans, dite de «bouclier social» pour répondre au « bouclier fiscal » de Sarkozy, dont l'article 17 stipulait : « Il est institué un salaire maximum légal dont le montant ne peut pas dépasser vingt fois celui du salaire minimum. Le salaire maximum légal inclut, le cas échéant, la partie fixe du salaire et la partie variable en fonction des objectifs prévus au contrat de travail ou du chiffre d'affaire généré par l'activité du salarié ». Donc, pas de salaire supérieur à 20 fois le salaire le plus bas, ce qui aurait pour effet de contraindre les patrons à augmenter les plus bas salaires avant de s’augmenter et d'enclencher un cercle vertueux en faveur de l'augmentation prioritaire des bas salaires.

Mais du coup ne serait-il pas temps, également, d'oser mettre sur la table d'autres questions liées ? Par exemple - je l'aime bien celle là et elle fait toujours son petit effet - qu'est-ce qui justifie concrètement aujourd'hui qu'un cuistot ne gagne pas la même chose qu'un directeur marketing de SSII ? Une heure de la vie d'un individu n'aurait pas la même valeur qu'une heure de la vie d'un autre être humain ? Pourquoi ? Le revenu maximum ne doit-il pas s'accompagner de la mise en place d'un revenu minimum d'existence ou dotation inconditionnelle d'autonomie ? Le partage des richesses, de toutes les richesses, ne passe-t-il pas également par une réduction drastique du temps de travail ?

Dans notre Manifeste pour l'écosocialisme, qui reprend ces pistes, nous avons écrit : « Indice de progrès humain, démondialisation et protectionnisme social et écologique, dotation inconditionnelle d'autonomie et salaire socialisé, revenu maximum autorisé sont autant de perspectives que nous avons à l'esprit pour sortir des sentiers battus et éviter le piège d'un accompagnement du système. Il nous faut également aller plus loin en matière de réduction drastique du temps de travail : « travailler moins pour travailler tous et mieux », fixer le plein emploi comme horizon tout en interrogeant les finalités du travail : rien ne sert de travailler davantage que le temps utile à produire ce qui nous est nécessaire. Le temps ainsi libéré pourrait utilement être affecté à des activités considérées aujourd'hui comme « improductives » et pourtant combien essentielles au bien vivre ».

Utopique ? Amis, souvenons nous des congés payés, de la sécurité sociale, et des jours heureux du Conseil National de la Résistance... Les seuls combats politiques perdus à coup sûr sont ceux qu’on ne mène pas.

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