jeudi 13 juin 2013

Taxe carbone, chauffage et mobilité : s'attaquer au porte-monnaie pour réduire la consommation d'énergie ?

IMG_1972.JPGTaxe carbone, chauffage et mobilité : s'attaquer au porte-monnaie pour réduire la consommation d'énergie ?

(ou : Taxons là où c'est possible et efficace, lâchons un peu les basques de ceux qui n'en peuvent déjà plus)


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A l'occasion du retour du projet de taxe carbone et alors qu'a lieu aujourd'hui la réunion du comité sur la fiscalité écologique durant lequel la question de la taxe carbone sera étudiée, s'ouvre un vrai débat politique, qui rejoint celui de la hausse des prix de l'électricité ou des carburants. Chauffage, mobilité : s'attaquer au porte-monnaie est-il un signal efficace pour réduire la consommation d'énergie ?

Le problème c'est que l'énergie c'est pas tout à fait comme le tabac (et encore, c'est une intoxiquée qui vous parle) et que pour que le prix joue, encore faut-il avoir le choix d'acheter ou pas, de réduire sa consommation ou d'en changer. Quelques éléments concrets pour avancer sur le sujet.

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Pour commencer, voyons de combien de personnes on parle, susceptibles de "changer de comportement".

Le signal prix n'a d'effet que si on est en capacité de changer de comportement. Or en matière de mobilité, selon le Ministère du Développement Durable, parmi les 14,6 millions d’actifs ayant un lieu fixe et régulier de travail et utilisant leur voiture, 6,3 millions d’entre eux –essentiellement en zones urbaines– pourraient ne pas l’utiliser. Pour ce qui concerne le chauffage, 8 millions de personnes en France seraient en situation de précarité énergétique (c’est-à-dire consacrant plus de 10 % de leurs revenus à ce poste de dépenses) et 42% de français se disent déjà en restriction volontaire de chauffage.

Baisser le chauffage ?

Le hic, c'est que beaucoup de personnes en sont plus à se demander aujourd'hui comment payer leur facture qu'à baisser leur consommation. Les réductions de puissance et coupures d'électricité et de gaz pour cause d'impayés augmentent : en 2012, elles ont frappé 180 000 foyers pour le gaz et 400 000 pour l'électricité (soit 580.000, contre 500.000 en 2011). L’association "Droit à l’énergie-Stop aux coupures" dont font partie les Robins des bois, parle d'une multiplication par 10 des coupures d’énergie depuis 2004. Selon le dernier rapport du médiateur national de l'énergie, 18% des dossiers traités par le médiateur concernaient des personnes en difficulté de paiement, avec une dette moyenne supérieure à 1 900 euros, contre 15% en 2011. Ah oui, parce qu'en France on a eu la brillante idée d'équiper les logements de radiateurs électriques qui ont un rendement énergétique pourri et coûtent cher à l'usage. D'où l'importance de la future loi Duflot sur la rénovation thermique des bâtiments... et notamment des mécanismes d'aide aux particuliers qui seront proposés.

Concernant la mobilité...

Je ne vous apprends rien si je vous dis que quand on vit en zone rurale, ce qui est totu de même le cas de 40% de la population, sans transport en commun, on n'a pas d'autre choix que de prendre sa bagnole (et dans nombre de campagnes, je peux vous dire que c'est pas des modèles tout neufs). Et il existe aussi une "mobilité contrainte" : vers le lieu de travail, mode de garde ou école... Aggravée par le fait que ce sont souvent les plus précaires qui sont chassés des centres urbains par la hausse du prix de l'immobilier et donc plus éloignés de leurs lieux de travail etc. Ces déplacements contraints représentent 27% des motifs de déplacement selon l'Insee. Alors on peut toujours augmenter le prix de l'essence, ceux qui n'ont pas le choix pour aller bosser ou faire leurs courses, emmener les gamins à l'école, continueront à prendre leur voiture.

D'où le lien important à faire avec le maintien et le développement des services publics de proximité, notre critique à l'époque Sarkozy de la Loi de Modernisation de l'Economie, transposition de la directive Services favorisant entre autres l'installation de grandes surfaces en périphérie de ville, la hausse du versement transport des entreprises pour favoriser les transports collectifs et la gratuité... Et toutes nos propositions pour repenser la ville et rapprocher les différents lieux de vie : entre 1994 et 2008, la distance (à vol d'oiseau) pour aller au travail a augmenté de 26% et celle pour aller faire ses courses de 29% !. A noter qu'il n'y aurait pas pour autant d'accroissement du kilométrage en voiture de chaque ménage qui, avec 20.200 km par an, a même légèrement reculé entre 1994 et 2008 car chaque véhicule est en moyenne moins utilisé, selon le Ministère du Développement durable.

Dépenses contraintes et "reste à vivre"

En matière de dépenses contraintes et de "reste à vivre", terme bien connu des organismes de crédit et de surendettement, alternatif au "pouvoir d'achat" et hélas plus proche de la réalité... Une fois payées les charges fixes (loyer, assurances, transport, impôts, crédits...) selon le Credoc en 2009, les dépenses contraintes des foyers les plus pauvres sont passées de 52 % en 2001 à 74% de leurs dépenses en 2006. La part des dépenses contraintes dans le budget du quintile des 20% les plus pauvres de la population est passée de 24 % en 1979 à 48 % en 2005. Pour les plus riches en revanche, il n'a que peu varié : il est passé de 20 à 27%. Et l'Insee confirme que les dépenses contraintes sont plus importantes chez les plus pauvres : 24% du budget pour le "pack" logement, eau, électricité, contre 10% pour le quintile des 20% les plus riches ! Qui en revanche dépense beaucoup plus en proportion pour les loisirs, la restauration et les hôtels...

Donc si on résume : plus t'es pauvre, plus tes maigres revenus passent dans des dépenses sur lesquelles tu n'as pas le choix, et d'année en année c'est de pire en pire. Great.

Alors oui, un prix élevé peut dissuader de consommer dans certains cas. Mais ils sont peu nombreux. La vraie question est celle de la répartition de la consommation et de la valeur d'usage.

En France, plus un industriel consomme d'eau, moins celle-ci lui revient cher. Et le tarif de l'énergie est le même qu'il serve à chauffer la piscine ou l'eau des pâtes. C'est ce modèle qu'il faut renverser. Augmenter le coût pour l'usager (ou le client) c'est donner une prime aux usages de confort que peuvent continuer à se payer les plus riches, et réduire encore la part des usages essentiels des plus défavorisés. Les sources d'économie d'énergie les plus importantes ne sont pas chez tout-un-chacun mais dans le mode de vie yacht-jet privé de l'oligarchie, dans le gaspis de certains industriels qui engrangent des profits et pourraient les réinvestir dans des procédés de fabrication plus efficaces, dans les usages inutiles comme le rétroéclairage des écrans de publicité, dans les pertes en ligne et les mauvais rendements.

Nous n'excluons pas la contrainte financière, loin de là. Mais pourquoi dans ce cas ne pas l'axer sur ces mésusages-là, plutôt que sur la vie quotidienne déjà bien empêchée des français ? On en revient toujours là... Taxons là où c'est possible et efficace, lâchons un peu les basques de ceux qui n'en peuvent déjà plus, et défendons la gratuité des premiers litres d'eau et des premiers kWh d'énergie pour garantir une vie décente pour tous.

Ne nous trompons pas de combat.


Pour aller plus loin je vous recommande l'excellent Observatoire des inégalités.

Et pour mémoire, la contre- proposition de loi du PG sur la fiscalité écologique que nous avions déposée à l'automne 2009.

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