lundi 25 novembre 2013

Vinci, SNCM : le double jeu de la Commission européenne (Tribune Mediapart)

pave_mediapart.jpgVinci, SNCM : le double jeu de la Commission européenne

Publiée le 23 novembre 2013 | Par Les invités de Mediapart

A lire également ici avec les commentaires sur le site de Mediapart

Marie Batoux et Corinne Morel Darleux, du Parti de gauche, soulignent l'incohérence, selon elles, des décisions prises à Bruxelles, qui autorise l'Etat français à aider la filiale du groupe Vinci en charge de Notre-Dame-des Landes, mais pas la SNCM, qui assure le service public de transport entre la Corse et le continent.

                                        ***

A Bruxelles, la concurrence est libre et non faussée... Enfin, ça dépend des fois. C'est ainsi qu'on apprend que la Commission européenne vient d'autoriser l’État français à verser 150 millions d'euros à la filiale de Vinci en charge de la réalisation de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, et dans le même temps qu'elle réclame en tout 440 millions d'euros à la SNCM pour remboursement d'aides du même État.

Voilà qui a de quoi étonner. D'un côté, le groupe Vinci, qui en 2011 affichait 1,9 milliard de résultat net. De l'autre, la SNCM, compagnie d’utilité publique, dont le chiffre d'affaires annuel n'atteint pas le seuil des 440 millions que lui réclame aujourd'hui la Commission européenne !

Pour que la SNCM redevienne un service public, il faut désobéir à l'Union européenne

Celle-ci s'appuie, pour réclamer cette somme à la SNCM, sur la requalification en aides d’État de la recapitalisation au moment de la vente. La Commission européenne justifie ainsi la décision : « Les interventions des pouvoirs publics en faveur d'entreprises peuvent être considérées comme ne constituant pas des aides d’État au sens des règles de l’UE dès lors qu’elles sont effectuées à des conditions qu’un opérateur privé guidé par les critères du marché aurait acceptées (principe dit de l’investisseur en économie de marché) ». Mais quel opérateur privé dans un système capitaliste privilégie la continuité de service public plutôt que ses profits ? Les salariés en lutte, qui se font traiter de « mafieux » pour vouloir maintenir les traversées et l’emploi, le savent : la Corse n’est pas qu’une destination touristique ! 300 000 personnes y vivent, et plus du quart des natifs corses vivent sur le continent. Tous se déplacent toute l'année entre PACA et la Corse. Toutes et tous sont nos concitoyens et vivent sur le territoire de la République française. Ils ont droit à la mobilité et à la continuité d'un service public des transports ! Seulement voilà, en période « basse », cela est bien moins lucratif. Alors qui va prendre en charge des traversées nécessaires mais peu, voire pas rentables ? Pas le concurrent direct Corsica ferries, c’est certain. Il serait plus que temps de revenir à un véritable service public de transport entre la Corse et le continent.

Ce qui de fait n'est pas tout à fait le cas : l'attaque de la Commission européenne s'inscrit en réalité dans un contexte de délégation de service public attribuée en septembre à la SNCM. Rappelons que le capital de la SNCM a été ouvert au privé par le gouvernement de Villepin, permettant ainsi à Veolia, numéro un mondial de l'eau et des déchets de devenir actionnaire indirect de la SNCM par l'intermédiaire de Transdev, sa co-entreprise avec la Caisse des Dépôts, qui détient 66 % du capital. On est donc loin d'un monopole de service public. Pourtant, la Commission européenne se montre beaucoup moins sourcilleuse quand il s’agit des 150 millions d’euros perçus par Corsica ferries de la part de l’Etat français par le biais de l’aide au passager. C'est d'ailleurs ce groupe, écarté de la délégation de service public, qui avait déjà saisi la justice européenne en 2007.

Corsica Ferries bénéficie pourtant déjà d'un « avantage concurrentiel » grâce à la mise en concurrence entre travailleurs organisée par l’Union européenne, qui permet aux compagnies low-cost de faire du dumping social. Quand une compagnie maritime peut choisir le registre de son pavillon, la Commission lui permet en réalité de respecter ou non le droit du travail français. Démarche singulière qui permet à des opérateurs privés de contourner les lois françaises pour assurer une traversée d’un port français à un autre port français. En choisissant un pavillon de régime international, une compagnie peut ainsi recruter un personnel qui ne parle pas la même langue, ne pas respecter le salaire minimum défini par la loi française et les droits des travailleurs.

Il faut donc changer ces règles européennes, ou leur désobéir. Le ministre Cuvillier l’avait promis à sa dernière visite à Marseille, il ne laisserait pas couler la SNCM. Il est temps de passer du double discours aux actes clairs.

Coup de pouce pour Vinci à Notre-Dame-des-Landes, en remerciement des bons et loyaux services de M. Ayrault ?

Au-delà du cas de la SNCM, la Commission européenne joue un double jeu, mis spectaculairement en lumière avec le cas Vinci. Elle a beau jeu d'écrire que « sans l'existence de ces règles communes, la concurrence au sein du marché unique de l'UE serait faussée par une “course aux subventions” entre les États Membres au profit d'entreprises particulières ». N'est-ce pas précisément ce qu'elle fait en autorisant l’État français à octroyer 150 millions d’euros à Vinci ? Pour un aéroport dont la pertinence économique est largement contestée, sans parler de son caractère anachronique à l'heure de l'urgence à réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Est-ce vraiment aujourd’hui la priorité pour l’État français que d'aider Vinci, un groupe déjà à la limite du monopole ? Parkings privés, tunnels, autoroutes, transport ferroviaire de personnes : tous les partenariats publics-privés tombent déjà dans son escarcelle. Cela rapporte beaucoup aux actionnaires de Vinci et coûte en revanche cher à l'État et aux citoyens qui payent pour alimenter leurs profits deux fois, par l’impôt et par les péages !

L'explication des inconséquences de la Commission européenne est peut-être à chercher du côté des bons et loyaux services rendus par le gouvernement Ayrault à la Commission européenne : ratification du TSCG, application minutieuse de la règle d'or et des budgets d'austérité, annonce en pleine conférence environnementale de la privatisation accrue d'EDF et GDF, poursuite de l'ouverture du rail à la concurrence et plus largement organisation de la libéralisation à marche forcée de ces dangereux monopoles que représentent les services publics face à la “ concurrence libre et non faussée ”...

Sans vergogne, la Commission européenne affirme que ce cadeau à Vinci de 150 millions est « compatible avec les règles européennes relatives aux aides de l’État ». En pleine cure d'austérité imposée par la même Commission européenne, en pleine annonce de hausse de la TVA pour financer le crédit d'impôt emploi compétitivité, cette double décision est une véritable provocation et un bras d'honneur fait par les oligarques de Bruxelles et le gouvernement Ayrault à toutes celles et ceux qui sont attachés à un usage juste et républicain des deniers publics, à la notion de service public et à l'écologie.

La conséquence de ces politiques libérales du gouvernement et de l'Union europénne est toujours la même : le privé s'enrichit sur fonds publics et le service public pâtit de l'austérité. Ça suffit. Ce sont pour toutes ces raisons que nous serons nombreux à marcher le 1er décembre sur le portique de Bercy pour une vraie révolution fiscale !

Aider ce projet d'aéroport est un non sens, couler la SNCM est une aberration. Tant d'un point de vue économique, social qu'environnemental, c'est un signe de plus du fonctionnement oligarchique de la Commission européenne et une motivation supplémentaire pour dire que nous ne voulons plus de cette Europe-là.


Corinne Morel Darleux, secrétaire nationale à l'écosocialisme du Parti de gauche et conseillère régionale FDG (Rhône Alpes), candidate aux élections européennes 2014

Marie Batoux, membre du Bureau national du Parti de gauche (PACA), candidate aux municipales dans le 13-14e arrondissement de Marseille

Haut de page