dimanche 2 mars 2014

Sayonara... Et retour. L'emprise des sens • Ecosocialisme au Japon, épisode 10 et fin • #エコソシアリズム

HanamiDiois.jpgJe suis rentrée.

... Comme c'est bon d'écrire ces mots de ma vallée au soleil, face au Vercors.

Partie au Japon il y a un mois avec l'idée de me retirer du monde, finalement je me rends compte que la politique a été présente tout au long de mon séjour. Au-delà du suivi indispensable de certains dossiers pour ne pas rentrer trop décalée, elle a profondément orienté ma manière d'aborder le Japon, de décrypter ce que j'y découvrais. Elle a imprégné mon action, mes rencontres et mes récits d'écosocialisme au Japon. De la politique sensible, qui se nourrit aussi de vie et de poésie... Je reviens avec le sentiment de m'être rincée du superflu et d'avoir renoué avec cette vision de la politique, celle qui m'a amenée à m'engager il y a cinq ans, d'avoir reposé mon esprit et rafraîchi mon regard.

Je désirais me réinspirer, raviver mes sens émoussés. Il me fallait attendre d'être de retour pour savoir, ressentir et guetter comment ils réagiraient au retour du familier. Et finalement ce sentiment de complétude je l'ai éprouvé fort au petit matin, oui. Retrouver Paris, voir la place de la Nation s'éveiller du comptoir d'un café... Se dire qu'on est à l'Ouest, et sourire de se sentir décalée. J'ai failli me faire écraser. Il faut que je me réhabitue à regarder du bon côté de la rue. Mais j'ai pris ça comme le signe d'un pas de côté réussi.

Je repensais à ce message twitté la veille de mon départ, suite à une bousculade dans le métro et à l'impatience qui m'avait saisie de vérifier la courtoisie légendaire des japonais. De confronter le fantasme à la réalité... Voir si le calme, le beau, l'élégance de la vie, l'attention portée à chaque chose, la propreté et la civilité étaient des qualités partagées au pays du soleil levant ou un mythe surfait. J'ai été comblée.

L'aménité, ce terme que j'affectionne tant, prend tout son sens au Japon, quand toute chose est imprégnée d'attention et d'élégance. Le thé vert offert dans chaque lieu, le fait de se déchausser, les coussins sur les bancs des quais de métro, les jeunes femmes en kimono en plein Kyoto, les plats présentant de tout, en petites quantités et joliment agencé... Wabi et Mono no aware, oui. Le Japon dégage ça, au-delà des clichés. Un dépouillement pensé, une intention esthétique, un sens de l'attention porté aux détails qui reposent le regard et l'esprit.

Du coup j'appréhendais le retour à Paris, effrayée à l'idée d'y retrouver une certaine grossièreté. Pour tenir le coup et surmonter la phase de transition j'ai ramené dans mes bagages de quoi prolonger un peu mon Japon... De l'huile de beauté DHC, des mikados au matcha à picorer, une boîte de Bento en guise de coffret et ma cape de kimono pour m'envelopper en fumant des Seven Stars comme Miyasaki. Un Totoro noir pour me surveiller.

Et en effet au retour la lumière m'a semblé trop crue, les bruits heurtés. Comme si tous mes sens étaient sur-aiguisés. Un univers où tout me semblait bien trop familier... Mais j'avais oublié le regard caressant des hommes ici, le parfum du café au zinc le matin et ce je ne sais quoi d'un peu âpre dans les rues de Paris qui en réalité me plaît bien aussi. Parce qu'au Japon j'ai expérimenté kawai, zen et wabi, mais coté rock´n roll on ne peut pas dire que j'aie été servie ;)

Après avoir tant redouté le retour j'ai été surprise de l'immense bonheur qui m'a envahie à me sentir rentrée. A éprouver l'étrangeté du familier, les sens affûtés et le regard reposé. Charmée d'être accueillie d'une délicate branche de Ume drômois en fleurs... De redécouvrir la poésie qui vibre ici aussi, pour peu qu'on prenne le temps de l'apprécier.

Arrivée le jour de Setsubun, le dernier de l'hiver selon le calendrier lunaire japonais, sous une tempête de neige, je suis repartie de Tokyo sous un ciel printanier. Et Diable comme le temps a filé, à une allure que je n'avais jamais expérimentée. Comme si les heures n'avaient pas la même valeur de l'autre côté du monde. J'ai du m'arracher au Japon avec l'impression tenace de ne pas avoir eu assez de temps, de devoir partir quand le voyage commençait à m'imprégner. J'aurais voulu avoir quelques semaines de plus pour finir de traiter mes notes, compléter mes compte-rendus de rencontres politiques, approfondir certaines idées, écrire sérieusement.

Et pourtant... J'ai contemplé la mer intérieure du Japon et des paysages dévastés à Fukushima, pleuré sur un banc à Hiroshima près du Dôme de la Bombe A. Me suis énervée contre Areva dans un hangar de coopérative agricole de la zone sinistrée, visité une centrale photovoltaïque et soutenu des projets citoyens. J'ai été reçue à l'Ambassade de France, j'ai rencontré des parlementaires communistes antinucléaires, discuté Traité transpacifique et GMT, Abenomics et féminisme suivi les élections à Tokyo, présenté le Manifeste pour l'écosocialisme à l'Université Meiji Gakuin et pris la parole pour dénoncer l'attitude du gouvernement français devant l'Assemblée.

J'ai testé mille choses inconnues, mangé des fleurs et des huîtres grillées, pris mon bento dans le Shinkansen et escaladé un mont sacré. Marché des journées entières sous la neige, de temple en temple et dans des bambouseraies, ressenti un vrai choc en découvrant les jardins japonais. Une villa d'Arashiyama en particulier restera dans mon cœur à jamais... J'ai fait mes courses dans les supermarchés, suis allée chez le coiffeur et voir le dimanche les pandas du parc Ueno. Pris le métro de Tokyo à l'heure de pointe, avalé des cafés dans des gares à côté d'hommes d'affaire pressés, déambulé dans des centres commerciaux.

Je me suis inclinée devant la déesse renard Inari, j'ai souri aux daims sauvages et visité des cimetières. J'ai dormi dans des temples de montagne, assisté à une cérémonie du feu par moins dix degrés, pris des bains collectifs, dormi dans des futons sur des tatamis. Je me suis mise à genoux pour boire du thé, j'ai vu le soleil se lever et faire sa révolution vers l'Ouest, j'ai écrit de demain comme j'en avais rêvé.

Visionné des films japonais, pouffé de rire devant Lost in Translation, lu avec émotion le magnifique Mitsuba et écouté les symphonies de Joe Hisaishi. J'ai rêvé de Laputa et visité le musée Ghibli, des sourires de gamine plein les yeux.

J'ai fait le plein de beauté et d'images. Photographié des temples rouges enchâssés de neige, et senti mon regard se noyer devant des fleurs d'Ume. J'ai succombé au charme du Hanami et souri sous les flocons. Je me suis perdue et retrouvée... Et je suis rentrée.

Un ami m'a demandé ce que je retiendrais de ce mois passé au Japon. Si je devais l'exprimer en deux phrases, je voudrais ancrer celles-ci : la mise en harmonie d'un être par son environnement et la citation de Kobayashi Issa, Tous en ce monde sur la crête d'un enfer à contempler les fleurs... Il est rare que la réalité soit à la hauteur du fantasme. Là-bas, ce mois de février, pour la première fois de ma vie ça a été le cas, à chaque pas. Et il est singulièrement réconfortant de savoir qu'il existe un endroit où le quotidien en met plein la vue. Où pouvoir déambuler des jours entiers sans fatalement finir par être déçue.

Merci à vous qui m'avez lue, écrit et témoigné de la sympathie... A mes hôtes Japonais, aux rencontres de passage, à tous ceux qui m'ont guidé, ont pris le temps de m'accueillir et de m'éclairer. A vous dont les messages m'ont accompagnée au cours de ce séjour au Japon. Pardon si je n'ai pas répondu à tout. J'ai tout lu, et en ai été touchée.

Au final je ne suis pas sûre d'être parvenue à m'imprégner de zen et d'élégance autant que je l'aurais voulu, mais le retour du sensible en politique devrait quand même y gagner. Je vais m'y employer. Le temps de retrouver mon Diois, de récupérer du décalage et des 20 heures de voyage et c'est reparti. Municipales, européennes, région et écosocialisme... Mon agenda de rentrée est déjà bien chargé et se remplit, retour en mode guerrière zen comme promis.

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