lundi 7 juillet 2014

Transition énergétique : Le gouvernement en sobre état d'ébriété nucléaire

Flamanville2MBriegel032014.JPGTRANSITION ÉNERGÉTIQUE : Le gouvernement en sobre état d'ébriété nucléaire

Par Didier Thévenieau et Corinne Morel Darleux, publié dans l'hebdo A Gauche du 4 juillet 2014

(Voir aussi sur ce sujet la tribune "La trahison énergétique" rédigée par Didier Thévenieau, Julie del Papa et David Gau sur le blog A Brule PourpoinG)

L'impasse écologique actuelle impacte durablement la crise économique et sociale. Dérèglement climatique, épuisement des ressources, crise énergétique, raréfaction de l'eau potable, extinction de la biodiversité, production de déchets nucléaires, la dette écologique s’accroît dangereusement. Il est urgent d'agir.

Dans ce contexte, le débat entamé depuis 2012 sur la transition énergétique (DNTE) devait aboutir à un projet de loi d'envergure. Mais depuis le début, le processus est faussé par la main-mise des lobbies sur l'espace politique, et en premier lieu celui du nucléaire. Le document présenté par la Ministre Ségolène Royal le 18 juin est un exercice de funambule dans lequel se côtoient indistinctement les concepts de « planification cohérente de l’énergie », d' « économie sobre », de « croissance verte » et de « compétitivité ». Après la « tendance baissière de la hausse », dans un bel exercice de novlangue, ce gouvernement en état d'ébriété énergétique invente la « croissance sobre ».

Deux grands axes du texte sont les économies d’énergies et le développement des énergies renouvelables, et parmi les objectifs annoncés on trouve la réduction de 40 % de nos émissions de gaz à effet de serre en 2030, la baisse de moitié de la consommation d’énergie à l’horizon 2050 par rapport à 2012. Le projet affiche également un objectif de rénovation thermique de 500 000 logements par an d’ici 2017, et un nouveau mix énergétique avec une part du nucléaire dans la production d’électricité ramenée à 50 % à l’horizon 2025, quand la part des énergies renouvelables serait elle portée à 20% de la consommation totale à horizon 2020.

A première vue, de quoi réjouir la gauche écologiste puisque ces propositions, même si elles sont limitées quant au nucléaire, respectent les engagements de campagne du président de la République et semblent aller dans le bon sens.

Mais les apparences sont trompeuses.

Ecarté du Grenelle, escamoté pendant le DNTE, le débat sur le nucléaire est cette fois enterré pour de bon.

Premier absent de taille : la fermeture de Fessenheim. Cette promesse du candidat Hollande a été volontairement écartée pour satisfaire l'industrie nucléaire qui s'en trouve renforcée. C'est également dans cet esprit que le projet CIGEO d'enfouissement des déchets radioactifs à Bure, d'abord absent du texte initial, s'y est vu ajouté dans la nuit du 18 à 19 juin puis retiré le 20 sous la pression des ONG ! Ahurissant pour un projet qui engage la France sur des milliers d'années.

L'engagement de réduire la part du nucléaire dans la production d'électricité n'a par ailleurs de sens que si l'on sait quelle sera la part d'électricité consommée en 2050. Avec une croissance permanente de notre consommation, ou dans le meilleur des scénarios avec une part en augmentation des énergies renouvelables, réduire la part du nucléaire revient à conserver la puissance produite aujourd'hui donc à maintenir le parc en l'état. C'est d'ailleurs pour cela qu'apparaît le plafonnement de la capacité du parc nucléaire à 63,2 MW, soit sa puissance actuelle. Il n'y aura donc pas de diminution du nucléaire en France, au contraire, il faudra prolonger les centrales au-delà de leur date de péremption, jusqu'à ce qu'on les remplace par d'incertains et coûteux EPR .

Un des points phares du projet de loi, le développement de la voiture électrique, confirme cette volonté et le scénario d'augmentation de la consommation. Comme cela a été le cas pour le chauffage, Ségolène Royal engage le tout électrique en matière de mobilité, comme si la voiture électrique était écologiquement propre1. L'illusion du nucléaire, en laissant croire que nous disposons d'une source infinie d'électricité, a déjà, dans le logement, largement contribué à la précarité énergétique2. Elle s'apprête à faire de même dans les transports : en raison des sous-investissements et des sous-évaluations des risques et conséquences qu'a entretenus cette industrie pour masquer son coût réel exorbitant, le « mur d'investissement » auquel elle va devoir faire face va impacter sensiblement et durablement les tarifs de l'électricité. Après l'augmentation de 5% en 2013 le premier Ministre a confirmé une seconde augmentation à l'automne 2014. Et ce n'est qu'un début d'autant que ce projet de loi ne respecte aucune des recommandations du rapport parlementaire ni de la Cour des comptes sur le coût du nucléaire.

Plutôt que de créer un marché artificiel avec une voiture sur-consommatrice d'électricité3, il aurait fallu développer une politique des transports en lien avec une fiscalité environnementale et sociale cohérente, avec un aménagement du territoire repensé, se fixant pour objectif de limiter les trajets entre les zones d'activités, de raccourcir les distances maison travail, de développer le réseau et la gratuité et surtout de refuser de privatiser le rail. On ne peut pas en même temps prétendre engager une transition énergétique et privatiser les concessions hydroélectriques, vendre Alstom, voter pour le 4ème paquet ferroviaire à Bruxelles et démanteler la SNCF en France comme le font les députés PS et EELV.

Une fois encore la transition énergétique, pour peu qu'on creuse un peu, démontre que l'écologie ne peut être que de gauche et que la gauche de demain ne peut être qu'écologiste. C'est l'apport essentiel de l'écosocialisme. Une transition énergétique ne peut se faire sans une planification écologique qui tienne compte du temps long des écosystèmes et de la dimension sociale du problème. Parler de « croissance sobre » c'est ni plus ni moins que plagier le « capitalisme vert ». C'est feindre d'ignorer que le marché ne peut assumer la transformation en profondeur des modes de production, d'échange et de consommation d'énergie. Tant que le pouvoir politique restera dans cette logique capitaliste et dans une politique de l'offre, on restera hélas bien loin de la règle verte et de la bifurcation écosocialiste pourtant si nécessaire.

                                                                          ***

Photo : Flamanville MBriegel

1L'observatoire du nucléaire vient d'obtenir, devant la justice, le retrait des mentions "véhicule propre", "voiture verte", "automobile écologique" sur les publicités du groupe Bolloré. Voir dossier sur le site : http://observ.nucleaire.free.fr/obs-contraint-bluecub.htm

3si aujourd'hui en France la totalité du parc automobile (environ 36 millions début 2012) était électrique, il faudrait l'équivalent de 16 centrales nucléaires pour l'alimenter. Sans compter l'énergie grise pour la construction de ces voitures, la fabrication et le recyclage des batteries, les pollutions produites et l'emprise toujours croissante des routes sur les terres...

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