dimanche 3 août 2014

Habere otium faciendi. Avoir le temps de faire (ou de ne rien faire).

regarderlesmontagnesnaitredelabrume.jpgUne matinée d'été paisible dans le Diois. Savourer café – clope au soleil, regarder les montagnes naître dans la brume, jeter un œil au Canard Enchainé... Intriguée par le terme Otium, "ce cercle de loisir et de l'oisiveté chez les Anciens, le fondement même de leur sagesse", utilisé dans une critique littéraire - “La grande nageuse” d'Olivier Frebourg - j'ouvre mon moteur de recherche.

"Solitude, retraite. Vie privée par opposition à la vie politique. Paix, calme, tranquillité, bonheur."

Oh chic, un nouveau mot qui va me servir. Dont je vais avoir envie d'user et d'abuser. Après l'aménité de Pablo Neruda, l'Otium des Anciens. Je poursuis mes recherches.

L'Otium est aussi “le temps de la retraite à l'issue d'une carrière publique ou privée, par opposition à la vie active, à la vie publique”. J'envisage un instant de mettre le personnel de l'UMP en retraite otiumesque forcée. A 8500 euros de salaire brut mensuel pour Geoffroy Didier, conseiller de Brice Hortefeux, élu régional et salarié, donc, de l'UMP, ça ferait des économies. D'autant que l'Otium se constitue en opposition au Negotium, les affaires... Je souris. Mais ça ne marcherait pas. Car l'Otium est avant tout un temps “sporadique ou prolongé, de loisir personnel aux implications intellectuelles, vertueuses ou immorales [Quoique...] avec l'idée d'éloignement du quotidien”.

Je sens que je vais adopter ce mot. Car j'apprends également que si l’Otium est une pratique solitaire, elle est toujours “socialement destinée et constituée”. Plus qu'une retraite, une suspension, comme cette pause d'inspiration et de régénération expérimentée au Japon, ou une parenthèse de préparation à la rentrée, ce qu'il n'y a pas si longtemps j'appelais repos fertile de l'été. Car en réalité l'Otium, contrairement à son dérivé Oisiveté, au sens aujourd'hui dévoyé et mis à mal par son corolaire, le célèbre “assisté”, intermittent, chômeur ou immigré... , désigne dans l'Antiquité un "loisir cultivé", le temps durant lequel une personne profite du repos pour s'adonner à la méditation, au loisir studieux et fécond.

D'ailleurs, si la notion d'Otium a donné les dérivés repos et loisir, il a aussi apporté l'école, du terme grec Skhole, équivalent Romain de l'Otium. Ce mot dont la racine étymologique viendrait du Segh indo-européen et du Sego gaulois : maitre de soi, fort, non soumis. Je franchis allègrement le pas mental consistant à y voir un appel à l'éducation et au temps libéré comme les deux outils majeurs de l'émancipation individuelle et collective.

Un des dérivés en latin de l'Otium est le bien-vivre, déjà. Comme un écho aux débats sur l'allocation citoyenne, ou revenu universel, l'Otium n'est pas l'absence de travail, mais le fait d'avoir le temps de s’occuper de l'humain: la vie publique, les sciences, les arts...

gueule5.jpgLas, la distinction entre Otium et Negotium a sombré. Les loisirs sont devenus une industrie, un commerce source de profits comme les autres. Le repos fertile est menacé de toutes parts. Par le travail du dimanche, par les parcs de loisirs, par le foot-business et par la télévision. Panem et circenses, ou quand le bel Otium devient Opium du peuple.

Le “loisir” n'est plus là que comme une courte pause où l'on dépense l'argent durement gagné au travail le reste de l'année, comme une brève échappatoire pour faire accepter le travail – subi et salarié – comme repère central, "ce à quoi [l'homme] doit en même temps sa santé, sa subsistance, sa sérénité, son bon sens et sa vertu peut-être" (selon l'Encyclopédie de Diderot). Ce labeur qui rythme nos temps de vie comme un mal nécessaire, aidé en son entreprise de servitude volontaire par le spectre du chômage.

Et en effet, le résultat de recherche suivant m'amène directement sur la page Internet d'Otium Capital, “holding d'investissement spécialisée dans les modèles de distribution de l'industrie des loisirs”. CQFD.

Je retourne à mes haricots verts.

Otium cum dignitate à vous et bel été.

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