vendredi 26 juin 2015

« On ne se laissera pas faire » : les jeunes tracent leur chemin - Chronique du Diois n°11 (Reporterre)

Publiée sur Reporterre le 20 juin. « Et nous préparerons des jours et des saisons, à la mesure de nos rêves. » A l’instar de la phrase de Paul Eluard, les jeunes du Diois se préparent, dans le rapport à l’autre et à la nature, à être les adultes de demain. Pour devenir, espérons, des femmes et des hommes désireux de construire une autre société.

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« On ne se laissera pas faire », c’est le titre du spectacle de théâtre monté par la troupe amateur des adolescents de Die. Une heure de textes et saynètes disant toute la révolte d’une jeunesse sur un ton grinçant, caustique, loin des habituelles guirlandes et autres tutus roses de fin d’année. Une vraie gifle salutaire pour nous parents qui avons parfois tendance à les contenir dans un rôle d’apprentis bacheliers sans les voir grandir.

C’est ainsi que je me suis retrouvée recroquevillée au fond de mon siège face à un long monologue de mon fils, seul sur scène, endossant le rôle d’un jeune psychopathe qui s’adresse à sa mère avant de partir « faire l’homme » à l’armée. J’en ai encore des sueurs froides. Et une grande fierté de l’avoir vu capable de jouer. Un vrai rôle de composition, qu’il a assumé avec un professionalisme dont je ne me serais jamais doutée. Méconnaissable. Mon tout-petit...

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Rapport à l’autre et à la nature

Mais nos tout-petits ont grandi, au bon air de Die. Vivre au pied du Vercors, dans une ville de 4.400 habitants, c’est aussi une opportunité incroyable de gagner en autonomie. Soyons honnêtes, jamais je n’aurais accepté de laisser ainsi mon fils vagabonder en liberté à Paris. Ce matin il vient de partir à l’assaut de la Croix de Justin en randonnée sac à dos avec deux amies. A 12 ans, il partait tout seul à vélo chercher ses mangas à la médiathèque départementale. A 13, il passait ses fins d’après-midi après le collège à la piscine du camping. A 14, il allait à la Vogue avec ses copains, billet en poche pour ses tours de manège et permission de minuit.

Mais si l’apprentissage de l’autonomie passe par cette liberté de mouvement, cette fluidité à passer de maison en maison pour faire la tournée des copains, c’est aussi un rapport à l’autre et à la nature qui s’apprend. Dans des activités collectives, dans les coups de main qui se nouent entre eux. C’est cette gamine qui vient se faire réexpliquer les cours de maths et finit première de sa classe, et le copain qui l’y a aidée, déclassé du coup, qui s’en réjouit sans en prendre ombrage.

C’est la chorale du collège, qui fonctionne avec de jeunes chanteurs de quatre autres collèges du département qui se retrouvent tous pour une mini-tournée à la fin de l’année, le sourire éclatant. Chaque année j’y prends une grosse dose de bonheur simple, ressortant les yeux un peu éblouis de la salle sombre, le sourire aux lèvres et avec un recul incroyable sur ce qui me semblait insurmontable une heure plus tôt...

Et puis c’est la meute des louveteaux et la troupe des « éclés » du Diois, éclaireurs et éclaireuses depuis que les filles s’y sont mises aussi. Nourris de scoutisme laïque, de chants de chevaliers au coin du feu et de réfection de ponts en bois, ils apprennent à se repérer en pleine nature, à être responsables de leurs outils, à faire preuve de solidarité, et à subir trois jours de pluie discontinue sous une tente aussi.

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Le week end dernier, ils ont rejoint les pompiers de Die à la caserne pour se former aux soins de premiers secours. Dans un mois, ils partiront en camp d’été. Trois semaines en pleine forêt, à apprendre à s’orienter, se faire à manger, se débrouiller avec peu, prendre sa tâche et s’entraider. Les jours de trop grande lucidité, quand je jette un oeil à la couverture de ce livre que je n’ose ouvrir, Comment tout peut s’effondrer, je me dis que c’est pas idiot comme apprentissage. Ça peut se révéler utile, hélas. Selon la manière dont la course du monde va tourner...

Bien sur à Die, il y a des riches et des moins riches, des néo-ruraux et d’anciens protestants, des viticulteurs et des saisonniers, des jeunes et des retraités, mais reconnaissons-le, la mixité n’est pas comparable à celle de Paris. Alors ouvrir les esprits à la différence passe aussi par les voyages, la confrontation avec la grande ville, les airs d’ailleurs qui deviennent essentiels pour ne pas perdre pied avec la réalité qui a cours au-delà de la vallée. Et chaque année, les latinistes partent visiter un lieu de l’Antiquité. Des échanges s’organisent avec des lycéens espagnols. Il y a cinq ans, ce sont des enfants du Ladak qui avaient été accueillis et hébergés par les familles de Die dans le cadre d’une association de solidarité internationale. Et dans ce coin rural de la Drôme, malgré tout, le brassage se fait.

Les adultes de demain

Et au fil des jours chacun de ces gamins qu’on voit grandir se prépare des saisons à la mesure de ses rêves... Comme cet adolescent, qui aide au restaurant de ses parents en rêvant de devenir militaire quand il sera grand. Le petit voisin qui a décidé en sixième de partir en internat sur le plateau du Vercors pour se consacrer aux activités de sport-nature et devenir guide de montagne. Celui de la rue d’après, skate à la main et casquette à l’envers, qui dépérissait au collège et semble avoir enfin trouvé sa voie au lycée professionnel de Crest.

Ces gamins, ce sont les adultes de demain. Et chacun de nous, parents, enseignants, pions, animateurs, voisins, familles d’accueil, associatifs, tous nous contribuons à en faire des citoyens qui auront ou non l’envie de faire ensemble. Qui auront, ou non, la capacité de survivre dans un monde qui risque fort de ne plus ressembler à cet âge d’or insouciant où ils peuvent encore partir en balade le long de la Drôme sans s’inquiéter d’y plonger les pieds, de ramasser des baies, de respirer à pleins poumons. Et qui auront, ou non, l’esprit critique qui leur premettra de remettre en cause ce qu’on leur présentera comme inéluctable, les savoir-faire pour inventer une autre manière de produire les biens, les savoirs pour inventer de nouvelles économies de matière, les savoir-être qui détermineront leur désir, ou non, de filer un coup de main à leur frêre, ami, voisin... A l’inconnu qui passe sur le chemin.

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En sciences économiques et sociales, les lycéens de seconde ont eu des discussions sur l’engagement, le militantisme. La fin d’année, juste avant les examens du Bac, étant plus légère, ils ont fait des tests sur Internet pour déterminer leur orientation politique. Résultat : 2 jeunes que les réponses plaçaient plutôt à droite, 6 au centre et 19 à gauche. Mon fils a pouffé de rire en voyant qu’il était proche d’EELV, du PCF et du PG. Et quand le prof leur a demandé comment ils expliquaient un tel résultat, les gamins ont répondu en rigolant : parce qu’à Die, on est de gauche !

De gauche, je ne sais pas. C’est un terme qui a tant perdu de son sens à force d’être maltraité. Je ne suis pas sûre qu’eux-mêmes sachent exactement ce qui se niche encore sous ce vocable là. Mais ce n’est pas le plus important. L’essentiel c’est que ces jeunes adultes soient en train de devenir des femmes et des hommes qui savent ce que la nature peut leur apporter, qui apprennent un métier qui leur permettra de construire, de nourrir ou de soigner, l’essentiel est qu’ils aiguisent leur esprit critique, goutent au plaisir d’être ensemble et soient capables un jour, je l’espère, de construire une autre société.

« Et nous préparerons des jours et des saisons, à la mesure de nos rêves. » Paul Eluard

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