Ravie d’avoir pu donner ce coup de main d’autant qu’en bonus de ma chronique, le même jour que sa publication sur Reporterre, nous avons eu le doublé en Une de la Tribune de Montélimar. Et le débat est lancé. Depuis j’ai reçu beaucoup de réactions sur le solaire, le capitalisme vert, la transition énergétique, les alternatives avec le scénario Negawatt, mais aussi des témoignages de projets aux antipodes de ce chantier, du mouvement Energie Partagée et de centrales villageoises dans le Royans, les Baronnies, ou en Galaure. Et surtout des messages de soutien au comité citoyen pour Reauville… En plus de l’excellent moment passé en reportage sur le terrain. Diable, que ça fait du bien.

(cliquez sur l’image pour lire l’article de La Tribune)

L’énergie solaire n’est pas toujours écologique

Chronique publiée le 13 février sur Reporterre : “L’énergie solaire n’est pas toujours écologique

À Réauville, dans le sud de la Drôme, dix hectares de forêt ont été rasés pour implanter une centrale solaire. Depuis, les regrets nourrissent une envie et une énergie farouches de ne plus répéter les mêmes erreurs.

Corinne Morel Darleux est secrétaire nationale à l’écosocialisme du Parti de gauche et conseillère régionale Auvergne-Rhône-Alpes.

7 janvier. Dans ma boîte mél submergée, je découvre un message comme on reçoit une bouteille à la mer. Sylve m’écrit : « Je te suis depuis des années maintenant, et je vois en toi une personne humaine (ce n’est pas peu dire dans ce monde de fous) qui acte dans le bon sens. Bravo pour tout ce que tu essayes de faire, y’a du boulot, y’a pas ! Alors je me dis que de te contacter pour pareil sujet peut nous aider, nous Réauvillois qui nous retrouvons devant le fait accompli d’un parc photovoltaïque qui va dévaster 10 ha de bois et ses animaux… Tout ça pour de l’énergie verte, quel mauvais humour. »

Quelques échanges plus tard, rendez-vous est pris, et le 29 janvier nous nous retrouvons au village de Réauville, 370 habitants, dans le sud de la Drôme. De là, Sylve nous guide jusqu’à sa maison au fond des bois pour nous expliquer tout ça. Nous, c’est Hélène et Didier, que j’ai embarqués avec moi, deux camarades précieux, militants aguerris qui sont du coin et pourront faire relais. Arrivés chez Sylve, nous sommes accueillis sous un soleil radieux par quatre chiens en fête, un drapeau multicolore de la paix, une baignoire sur terrasse en plein air face à la vallée, un coin de paradis… Et puis, il y a Clément aussi. À 24 ans, maraicher en permaculture et vente directe, Clément a été élu conseiller municipal. C’est un enfant d’ici, son arrière-grand-père a été maire de Réauville, il l’a découvert il y a quelques jours et nous le dit avec un sourire. Avec Sylve, ils sont voisins et se sont trouvés. Une belle rencontre amicale. Lui, discret, un peu en retrait, mais le regard déterminé et assuré. Elle, la saltimbanque multicasquettes ayant vécu en camion, installée à Réauville depuis douze ans, greffée de la colonne vertébrale à qui on avait prédit la paraplégie avant 40 ans, bien vivante et fièrement debout à 52 ans.

Sylve, qui me dit qu’ici aussi on a besoin de moi, me gronde gentiment de ne parler que du Diois dans mes chroniques et me demande de parler aussi d’eux, de leurs projets et de leur volonté d’agir. Alors voilà. Après tout, on est à moins de 80 km à vol d’oiseau, 1 h 20 de petites routes de montagne par le col d’Aleyrac…

Dix hectares de forêt volatilisés en dix jours 

Ce qui s’est passé à Réauville est dramatiquement simple. Une enquête d’utilité publique, des feuilles placardées sur le panneau d’affichage de la mairie que personne ne lit, une procédure respectée dans l’indifférence générale et le résultat : dix hectares de forêt volatilisés en dix jours. Un hectare par jour, dimanche compris. L’efficacité redoutable du capitalisme vert. Ces dix hectares, propriété de la commune, ont été accordés à SolaireDirect, société à 1 € de capital, rachetée depuis juillet 2015 par le géant Engie (ex-GDF Suez), pour installer un parc de panneaux solaires. Les travaux ont été diligemment réalisés par Bouygues Énergie. Voilà.

En France, aujourd’hui, on rase des forêts pour installer du solaire. On promeut des fermes-usines à mille vaches pour en réalité alimenter la vraie source de rentabilité : le méthaniseur. Du renouvelable qui n’a plus rien de vert. Je repense aussi en les écoutant à ce projet absurde que j’avais réussi à bloquer à la région, qui consistait à financer une extension bitumée de parking pour mettre, là aussi, des panneaux sur les toitures du bâtiment. On marche sur la tête. Les énergies renouvelables devenues marché lucratif servent à justifier l’exact inverse d’une transition écologique. Misère.

On pourrait s’arrêter là. Traiter tout le monde d’idiots ou de salauds. Ou alors, on peut prendre appui sur ce qui hérisse localement pour remonter aux racines du mal et essayer de comprendre l’enchaînement. Et de fait, assez rapidement, avec Sylve et Clément, c’est ce qu’il se passe : la discussion sur du local, partie de Réauville, arrive assez vite à des questions d’ordre global. On évoque les communes qui n’ont plus d’argent et se retrouvent asphyxiées par les logiques de réduction des dépenses publiques, l’austérité. Alors oui, quand une grande entreprise comme Engie débarque, les communes se font plumer. Un bail de près de quarante ans, dix hectares privatisés. La location des terres rapportera 40.000 euros par an à la commune. On a vu ça ailleurs, à Roybon pour le Center Parcs où le maire avait outrageusement anticipé son budget. Mais une fois qu’on a dit ça…

Quand même. Sur la communauté de communes, d’autres terrains auraient pu être trouvés. La mairie seule possède 153 hectares et ce coin de la Drôme provençale d’oliviers, de cigales et de rocaille présente de nombreuses surfaces arides, sans arbre et non arable. Alors, pourquoi là ? Alors que la forêt recule partout dans le monde, qu’elle est une ressource inestimable, pourquoi une forêt de chênes qui met des années à se créer, pourquoi avoir rasé cet écosystème où vivaient le lézard des murailles, qui est en voie de régression, et la coronelle lisse, une espèce protégée… Il y a peut-être une bonne raison, mais on ne la connaît pas.

Mais, alors qu’on discute des conséquences environnementales et de perte de biodiversité avec Sylve et Clément, ce qui me frappe surtout, au-delà de ce nouvel exemple des dégâts qui se multiplient au nom de l’argent-roi, c’est de constater que, dans ce cas particulier, je ne retrouve pas le schéma délétère de projet nuisible qui fait naître une mobilisation locale puis voit le jour malgré tout, laissant tout le monde découragé et démobilisé. C’est même l’inverse.

Là où Sylve et Clément s’en veulent, c’est d’avoir laissé passer, sans rien voir. Aujourd’hui, il est en effet trop tard. Hélène, qui a lu les 50 pages du rapport, le confirme : tout a été fait dans les règles, il n’y a pas de faille. La parcelle a été rasée, la procédure respectée. Il y a bien eu à un moment des courriers, quelques grognements, des chasseurs qui voulaient garder ce terrain en l’état, des habitants qui voyaient le nouveau plan local d’urbanisme modifier la constructibilité de leur terrain, un peu de Nimby (Not In My BackYard), mais ce n’est pas allé plus loin. Le commissaire-enquêteur « a pris acte » des problèmes soulevés. Au conseil municipal, les onze élus ont approuvé sans se poser trop de questions et Clément, inexpérimenté et un peu seul sur ce coup, après avoir interpellé sur le bien-fondé du projet, n’a pas osé s’opposer davantage, il s’est abstenu. Mais loin de baisser les bras, ils ont au contraire décidé de faire de cette « erreur » un déclencheur. Leur tout premier tract le crie : « Il est toujours temps de réagir afin que cette erreur ne se répète pas. »

Voir de ses yeux, de l’intérieur, se rendre compte sur place

Alors, aujourd’hui, ils veulent s’organiser. Pour que cette « grosse connerie qu’on a laissé faire » ne se reproduise pas. Monter un comité citoyen pour Réauville, accompagner et soutenir les conseillers municipaux pour que tout ne se décide pas à onze élus, reprendre les choses en main, en citoyens vigilants et informés. Au marché, autour du lavoir, des réseaux se créent, des élus municipaux réalisent ce qui s’est passé sous leur nez, on se rencontre, on discute, on alerte, on essaye de s’organiser. Il y a de la motivation, peu de moyens, mais du cœur et de la volonté. Celle de concrétiser le comité citoyen afin de rassembler les gens. Alors, avec Hélène et Didier, on évoque la lutte contre le supermarché à Saillans, les collectifs anti-Tafta, on parle de réseaux sociaux et de choses toutes simples : créer une adresse de contact mél, faire un communiqué à la presse locale, organiser une réunion publique. Didier explique les commissions extra-municipales, ouvertes aux citoyens, qu’ils peuvent réclamer à la mairie. « Il faut qu’on se renseigne là-dessus aussi. » Les stylos volent sur le papier. Nos carnets de note se noircissent d’idées à creuser pour eux, de pousses de récit pour moi, à grands et petits traits.

Entre la collecte de faits et les pistes d’avenir, autour du repas que nous a préparé Clément, on se raconte aussi un peu. Une rencontre humaine, où on croit déborder du sujet avant de se dire qu’en fait non, que tout est lié. Sylve, qui s’est retirée de Facebook et de la lecture des journaux, choisissant « de ne plus se faire pomper les énergies », saturée d’informations qui alimentent négatif et stress, et ne lit plus que le fruit de ses recherches, Reporterre, Mediapart. Qui a cette phrase sublime : « Les loyers, c’est la zonzon des citoyens. » Clément, qui nous explique qu’il n’a pas besoin du label bio, trop cher et qui ne lui servirait à rien : ses clients sont ses voisins, ici tout le monde sait comment il travaille et ce qu’il produit, « de beaux légumes sans rien du tout de chimique ». Nos échanges dépassent rapidement les limites de Réauville et de son usine photovoltaïque, on évoque le regroupement absurde des communautés de commune de Grignan et de l’Enclave des papes, à cheval sur deux départements et deux régions, un vrai chaos impossible à piloter, où tout le monde est fâché contre tout le monde. On évoque la commune de Salles-sous-Bois, à quelques kilomètres, où le même type de projet a jailli des cartons lors des vœux 2016 du maire.

Assis dehors autour d’une table au soleil en ce mois de janvier, on échange idées et expériences, et ce moment sans calcul ni suspicion, sans distinction schizophrénique entre citoyens, élus et militants, ce pot commun fraternel et désintéressé, nous a fait à tous un immense bien. Se sentir écoutés et un peu moins isolés, se plonger dans de l’action de solidarité concrète, ancrée dans le terrain, sentir renaître l’intérêt général qui part de là, de ces dix hectares qu’on n’a pas su sauver. Et je réalise à ce moment-là que le vrai cœur de ma chronique ne sera pas la forêt, cette fois, mais la naissance d’une prise de conscience et, peut-être, d’une démocratie villageoise.

Ces dix hectares néanmoins j’ai voulu les voir. Comme à Sivens, et même sur un tout autre plan comme en Palestine, en Tunisie, et sur tous les lieux d’exploitation, comme en usine, c’est une chose de lire des articles, de discuter, de croire savoir, c’en est une autre de voir de ses yeux, de l’intérieur, de se rendre compte sur place, de matérialiser ce qu’on pressent. Quand on en revient, aucun discours ne sonne plus comme avant. Témoigner, rendre compte, implique de voir. Alors, nous y sommes allés, rejoints par Jean Luchet, président de l’Apeg, l’Association pour la protection de l’environnement, créée au départ contre une ligne à haute tension et qui, depuis plus de dix ans, enchaîne sur divers projets, de l’enfouissement de déchets en bordure de rivière à un circuit de compétition automobile ou encore un poulailler industriel sur le plateau du Croc, non loin de là, pour… installer des panneaux photovoltaïques sur les bâtiments.

« Habitants de la planète avec le cul entre deux chaises » 

Sur le lieu de la coupe, c’est la consternation. Un paysage lunaire, vaste plaine pas encore dessouchée mais couverte d’un tapis de dix hectares de bois broyé. Des épines de bois sortent du terrain, des échardes jonchent le sol. Un tracteur, au loin, celui d’un fermier du coin, chargé de ramasser le bois qui sera vendu par l’ONF (Office national des forêts), reversé pour 90 % à la mairie. Plus rien, sur une zone qui va rapidement se transformer en croûte de roche et ne sera plus jamais replantée. Sylve nous dit comme elle regrette de ne pas avoir fait une photo avant/après. Elle et Clément se sont rendus plusieurs fois sur le chantier. Ils ont engagé la discussion avec ceux qui conduisaient les travaux, humainement, en tant qu’habitants qui veulent comprendre cette dévastation absurde en prenant soin de ne pas tout mélanger et de ne pas confondre les responsabilités. À chaque fois, la discussion a pu avoir lieu une fois précisé qu’ils ne venaient pas mettre le désordre ni agresser quiconque. Comme le dit Sylve, « conducteur de travaux ou simple bûcheron, tous restent des habitants de la planète avec le cul entre deux chaises : ce qu’ils pourraient ressentir avec leur cœur, mais qui leur ferait perdre leur salaire ». Alors, Clément et Sylve leur ont expliqué qu’ils ne voulaient pas des « compensations », qu’ils voulaient leurs arbres. Ont récupéré comme ça, peu à peu, les infos, fait leur enquête de terrain, croisé les faits, et décidé qu’il fallait se tourner vers l’avenir, mobiliser pour la suite, pour les dégâts pas encore commis. Et qu’on ne les y reprenne plus.

Et cette visite, finalement, c’est le petit déclic qui manquait. Le micro-événement qui provoque l’adresse de contact, le communiqué, l’information aux journaux.

Communiqué envoyé à la presse locale
Corinne Morel Darleux, conseillère régionale Auvergne-Rhône-Alpes, et Jean Luchet, président de l’Apeg, en compagnie de Clément Chevru, conseiller municipal de Réauville et de Sylve Wood, habitante de la commune, sont venus constater ce vendredi 29 janvier la déforestation de 10 ha de forêt pour permettre l’implantation d’une usine photovoltaïque voulue par la mairie de Réauville au bénéfice de la multinationale Engie. Les travaux sont réalisés par Bouygues énergie. 
Suite à ces événements, des habitants de Réauville ont décidé de créer le Comité citoyen pour Réauville. Ce, afin de créer un lien plus concret entre les citoyens et le conseil municipal et qu’il puisse être une source de propositions et d’initiatives pour la commune. Ce comité souhaite également faire bénéficier de son expérience les citoyens d’autres communes qui pourraient être confrontées à un problème identique dans les mois qui viennent. 
Contact : comite.reauville@ntymail.com
Page Facebook

Sylve et Clément ne regardent pas la télé, ils ne sont pas sur Twitter et n’ont pas de carte de membre. Mais ils font de la politique.


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Source : Corinne Morel Darleux pour Reporterre