Chronique publiée sur Reporterre le 21 juin 2016

Depuis deux ans, le Bocal, café-épicerie associatif autogéré de Menglon, dans la Drôme, réunit les habitants de ce coin isolé dans un espace de vie, d’échanges, de culture et de jeux. Mais le Bocal doit bientôt fermer.

En cette veille de grande fête de fermeture du Bocal qui aura lieu demain (je vous en reparlerai), voici l’épisode 2 sur 3 de mes chroniques dédiées au Bocal, un lieu singulier, pour lire l’épisode 1 c’est là.

“… parce qu’il existe un nouveau lieu qui réunit le meilleur de ces gens-là dans le Haut-Diois, cet univers d’habitat isolé, de microvillages et de ruralité montagnarde que vous sillonnez quand vous prenez la route pour aller vers Glandage, le cirque d’Archiane ou le col de Menée. Ce lieu, c’est le Bocal, et il va fermer. “

Le Bocal, tout juste deux ans, comme ces chroniques, c’est le café-épicerie associatif de Menglon, dans le Haut-Diois. Les anciens d’ici disent qu’il y a cinquante ans, à cet endroit, il y avait déjà un autre Bocal. Parce que de tout temps, celles et ceux qui ont choisi de s’installer ici ont fait le choix d’être loin, certes. Mais ça n’empêche d’avoir des besoins bêtement humains : se nourrir, se divertir, se cultiver, prendre soin de soi… Et puis, comme beaucoup de petits commerces, le Bocal d’antan a fermé, en même temps que les grandes surfaces et les voitures se multipliaient. Alors deux sœurs, Perrine et Lucie, éprises d’une ruralité qui soit calme mais vivante, tolérante mais pas gnangnan, et politique mais pas politicienne, ont décidé de rouvrir le lieu et d’en faire un espace de vie, d’échanges, de culture et de jeux. Aujourd’hui, et pour quelques jours encore, le Bocal est devenu un espace autogéré, avec une association, des administrateurs bénévoles, et un paquet d’adhérents.

Au Bocal, on trouve de chouettes produits locaux à manger, à huiler, à soigner et à boire ; et des produits moins chouettes, mais de première nécessité, qu’on est bien content de trouver là quand on a besoin d’être dépanné. L’achalandage est réfléchi, comme le reste, dans une approche solidaire et de soutien à l’activité du coin : la marge sur les produits locaux est faible, celle sur les produits moches plus élevée. Et puis, c’est aussi une salle qui accueille des spectacles, des concerts, des soirées ludiques qui rassemblent plusieurs générations. C’est les soirées pizza, les apéros en terrasse, à faire des allers-retours pour reprendre de ces délicieux beignets de fleurs d’acacia au triporteur des douceurs. Mais aussi les soirées apéro-tif où, au lieu d’aller la voir, c’est la coiffeuse qui vient à la rencontre de toutes ces têtes de « chevelus », alors que le premier salon est à une quinzaine de kilomètres de là. Comme tout le reste d’ailleurs. C’est un espace de vie, voilà.

Un endroit où tu sais qu’il y aura un sourire pour toi

Y arriver après une journée — moche elle aussi — pour enfin s’installer tranquille, prendre un verre de rosé au soleil finissant, c’est pur bonheur. Et je ne suis visiblement pas la seule à le ressentir, ce vent de bien-être et de chaleur : les gens vont et viennent, ça n’arrête pas. Ils se saluent joyeusement, rentrent et ressortent du Bocal avec leur pain, leur bouquet d’herbes, le truc qui manquait pour finir la tarte, s’arrêtent pour une bière fraiche, repartent avec un grand sourire. On croise Ben, éleveur, qui gare son tracteur le temps de prendre un verre. On accueille avec des sourires amicaux Babasse, qui produit la bière La Bascule, microbrassée là-haut, plus haut, à Chatillon. À la table d’à côté, il y a une retraitée, deux touristes, un salarié de l’Herbier du Diois, une ancienne du Larzac, un bébé. On entend un père plaisanter au téléphone avec sa gamine, qui est en sport-nature sur le Vercors, à l’internat. Et puis arrive Alix, qui vient de passer la journée à faire de la soudure agricole, et avec qui on s’instruit négligemment sur les rambardes, la ferronnerie et les barrières, en se surprenant à rêver d’un jardin d’hiver. Devant nous, les gamins ressemblent à des moineaux joyeux qui s’éparpillent, on voit passer un skate, un ado, un vélo.

Et puis le Bocal brasse, parce que celles et ceux qui ont fait revivre ce lieu ont une hantise, celle de l’entre-soi ou de quoi que ce soit qui pourrait ressembler à un repaire de trentenaires néoruraux. Alors, il y a aussi le troc de plantes et les cafés paysans, où les agriculteurs du coin viennent mettre en commun pratiques, difficultés et coups de main. Et puis le « Bocal des Grands Jours » avec un projet d’intervillageoise de tricot et de concours de ravioles, des concerts hors-les-murs pour essaimer le long des chemins, la fête des microbrasseurs locaux et la Saint-Rodrigue, des projections-débats de films et documentaires qui inspirent et font réfléchir. Et ça marche. Les gens qui viennent au Bocal ont tous une raison d’y aller, qui pour combattre sa solitude, qui pour se faire coiffer, pour s’amuser, sortir un peu le nez, ou juste aller boire un café dans un endroit où tu sais qu’il y aura un sourire pour toi.

Je vais être honnête : j’écris cette chronique dans une chambre d’hôtel à Lyon, entre deux journées de commission à la région. J’ai, à main gauche, une barquette en plastique pleine de tomates — en plastique elles aussi — et une Desperados à main droite. Quand je fais une pause cigarette à la fenêtre, j’ai vue sur un parking, et je confirme : de près comme de loin, le Bocal, c’est le paradis.

 A suivre : La suite (et fin) de ce récit d’une fermeture annoncée dans la prochaine chronique sur Reporterre.