“Grenoble : reprendre le fil d’un récit lucide et apaisé”

par Corinne Morel Darleux, Didier Thévenieau, Benoit Schneckenburger, Secrétaires nationaux en Auvergne Rhône Alpes ; Danielle Simonnet et Eric Coquerel, Coordinateurs politiques du Parti de Gauche.

Tribune également disponible sur le site du PG ici

On entend beaucoup de choses en ce moment sur Grenoble. Du vrai et du faux, des rumeurs, de la propagande, divers échos, une fois de la part des fans, une autre de la part des antis. Difficile de s’y retrouver.

Nous nous sommes donc lancés dans une tâche à nos yeux essentielle : démêler les fils de ces différents récits et jeter les bases d’un point de vue lucide et apaisé, celui de celles et ceux qui se sont réjouis de cette victoire en 2014 et continuent de fonder un espoir dans cette ville et ses habitants. Des citoyens qui se sont rebiffés contre les pratiques éculées des sociaux-libéraux et de la droite, et ont gagné contre les deux, à la surprise générale, en portant aux manettes une alliance de gauche, écolo et citoyenne, construite autour du projet « Grenoble, une ville pour tous ».

Parce que Grenoble ne concerne pas que Grenoble, mais le pays tout entier. Et parce que quand on croit en l’avenir et que de surcroit on est laïque, la messe n’est jamais dite.

Quand nos camarades sont arrivés à la Mairie de Grenoble, ils y ont récupéré une situation dantesque. La gestion « socialiste » avait tout bonnement fait l’impasse sur 6 millions de salaires non provisionnés, oublié de comptabiliser les cérémonies des 60 ans de la Libération – étonnant pour une ville « compagnon de la Libération », englouti 12 millions pour une halle exclusivement dédiée au tennis pour le seul bénéfice des 300 licenciés grenoblois, et « omis » d’aller réclamer les recettes des privatisations de l’espace public aux organisateurs d’événements dans la ville, par exemple. A quoi est venue s’ajouter une nouvelle annonce de baisse par le gouvernement de 17 millions de dotations de l’Etat d’ici 2017, et un passage en métropole coûteux (merci la loi « MAPTAM »). Le tout en guise de cadeau d’arrivée, pour une ville qui était déjà la deuxième la plus endettée de France et dont la taxe foncière était, à 38%, la plus haute de sa strate.

Le truc, c’est qu’aucun d’entre eux n’avait promis de faire plus avec moins, « juste » de faire mieux. Là il fallait donc faire plus, mieux, avec beaucoup moins. Ce qui est en fait impossible. On a beau les soutenir, on n’en fait pas des super-héros (et nous avons dit que nous allions rester lucides). Ils ont donc décidé de faire autrement, il a fallu opter et faire des choix. Certains ont été difficiles, peut-être même y en a-t-il parfois eu de malheureux. Mais une chose est sûre : pour la première fois d’une longue tradition d’opacité dans les prises de décisions, de M. Carignon à M. Destot, les choses se sont faites en transparence. Formation en deux temps aux habitants sur les budgets publics, pétition pour dénoncer l’austérité, adresse au congrès des Maires de France, journée de sensibilisation et d’alerte avec la fermeture de l’ensemble des services publics le 25 novembre 2015, débats avec les agents de la mairie, journée spéciale gestion publique des déchets avec « la belle saison », conférences de presse et tribunes à répétition… Personne ne peut dire qu’il n’a pas été alerté depuis des mois sur la situation.

Restait un budget à boucler dans ce contexte d’ardoises laissées par les précédentes équipes, et la cure d’austérité imposée par la soumission du gouvernement à la « règle d’or » de Bruxelles. Un budget à boucler, oui : certes, ils auraient pu choisir la facilité et refuser dans ces conditions de boucler ce fichu budget. Mais s’ils l’avaient fait, pour aller jusqu’au bout d’une certaine radicalité, que se serait-il passé ? La mise sous tutelle de la Ville, ce qui très concrètement veut dire que c’est le Préfet, et non l’équipe élue, qui aurait repris la main. Cela signifierait le gel de toutes dépenses publiques qui n’apparaissent pas obligatoires : donc en priorité des fermetures d’équipements et des baisses salariales des employés municipaux, des bouleversements d’une toute autre ampleur. Qui peut croire un seul instant que les habitants y auraient gagné ? Or quand on est élu, ce n’est pas pour démissionner face aux difficultés, mais pour y faire face. Et c’est donc ce qu’ils ont fait.

Les élu-e-s de Grenoble ont commencé par faire ce qu’ils avaient dit pendant la campagne : baisse des indemnités de 25%, vente de véhicules de fonction, baisse du nombre de postes de direction (3 postes payés environ 8.000 euros par mois par exemple, c’est parlant), traque des niches fiscales sur les résidences secondaires, budget communication divisé par deux : en bref, de l’éthique et de la justice sociale. Jusqu’ici, donc, rien que de très normal. Mais tout ça mis bout à bout ne faisait « que » 6 millions d’euros. Or il leur fallait en trouver 14, sur trois ans. Sachant que les banques ont refusé de leur prêter, et qu’ils avaient fait le choix de ne pas toucher aux impôts locaux, ni à la masse salariale des 3.000 agents de la Ville, ni des 1.400 agents du centre communal d’action sociale (CCAS), ni à la subvention globale de ce CCAS. Et tout en investissant 60 millions dans les écoles de la ville, laissées dans un triste état par M. Destot.

Les choses se compliquent, hein… D’autant qu’en face, au même moment, c’est une vaste coalition qui se met en place, de tous bords, pour leur mettre des bâtons dans les roues, saper le travail, et appuyer là où ça fait mal. Pensez, qu’une ville de la taille de Grenoble puisse être dirigée par des élus qui ne sont issus d’aucun des rangs du bipartisme et de l’alternance, ça ne plaît pas au pouvoir. Ni à ceux qui étaient à leur place, ni à ceux qui s’y verraient bien. Quand en plus l’équipe refuse d’armer la police municipale, se retire du financement du projet véreux du Lyon-Turin, ou dénonce la publicité et le contrat avec JC Decaux, vous imaginez bien qu’elle ne se fait pas que des amis du côté de l’oligarchie, de l’argent et des lobbies.

Mais arrivés à ce point du récit, l’équipe continue vaillamment. Avec l’épuisement qui guette, des tensions naturellement, des yeux qui ont l’air d’être passés à la Javel, mais ils tiennent bon. Il faut encore trouver des économies, plusieurs millions. Le préfet alerte l’équipe municipale par un courrier officiel en mai 2016, pointant les risques lourds pour les finances municipales. Là, ils auraient pu refuser d’endosser la responsabilité des choix cornéliens à trancher, et laisser ce soin au préfet ou à la population : quartier contre quartier, équipement contre équipement. Des sortes de « primaires du budget » pour reprendre la mode du moment. Cela aurait été une sale compétition et un gros risque de pyromane de monter les habitants les uns contre les autres. Certains aiment bien ça, et y sont assez bons. Eux, ce n’est pas vraiment leur vision. Alors avec les cadres de la ville ils ont passé six mois à étudier différents scenari, étudié des pages et des pages de tableaux, gratté des fonds de tiroir, tout épluché, tout envisagé. Et pris leurs responsabilités.

Un plan de cent deux mesures a été présenté à Grenoble. Parmi celles-ci, certaines mesures ont meurtri. Pas seulement leurs responsables, pas seulement leurs usagers, mais aussi les élus en charge. Oui, soyons clairs : fermer 3 bibliothèques sur 14 fait mal. Même s’il s’agit des plus petites, même si leurs plages d’ouverture au public sont de 10 à 18 heures par semaine, même si des solutions de repli existent sur des bibliothèques jumelles situées à 500 mètres et que des projets de lectures publiques sont en discussion avec les habitants pour garder les lieux opérationnels. Et même si les moyens ainsi dégagés sont fléchés pour faire évoluer tout le réseau vers de nouveaux besoins sociaux, le numérique, développer un meilleur accueil en gardant Grenoble au top de la lecture publique en France (1 bibliothèque pour 14.000 habitants en 2017 contre 12.500 en 2016, alors que des villes comme Nantes ou Lyon sont à 1 bibliothèque pour 30.000 habitants).

Oui. Personne ne prétendait que ce serait facile. Nous savions dès le début que rien ne leur serait épargné. Mais le pire a été évité. Aucun bâtiment majeur ne sera fermé. Aucun service ne sera privatisé. Des alternatives sont déjà en train de se mettre en place dans chaque secteur, des logements sociaux vont être construits, l’extension de la tarification sociale à l’eau est en cours, après la régie métropolitaine de l’eau qui concerne 440.000 habitants en gestion publique. Un nouveau système inédit de concertation citoyenne, couplant pétition et référendum, est mis en place. Il permet aux citoyens qui se mobilisent de faire entendre leur voix quand ils estiment que la mairie prend une mauvaise décision. En ce moment par exemple, un vote est en cours sur la hausse des tarifs de stationnement en centre ville, même si une grille au quotient familial a été créée pour les résidents, qui permet déjà à 40 % des automobilistes de payer moins cher.

Et les investissements vont continuer. Parce qu’un budget ce n’est pas que des chiffres, ce sont des choix éminemment politiques, avec des impacts sur la vie des gens, et que personne n’en est plus conscient.

En l’absence d’alternative nationale, des choix ont été faits de manière à maintenir la souveraineté des Grenoblois et de leur élus, celles et ceux qu’ils se sont choisis, face au risque de mise sous tutelle de l’Etat. Des choix faits de manière à pouvoir revenir à des politiques de développement, sans ruptures irrémédiables. De manière à préserver l’essentiel, insuffler de la justice sociale, rétablir éthique et transparence dans la gestion (ce qui on le voit aujourd’hui est une sacrée prise de risque, le faire en catimini comme dans d’autres collectivités aurait sans doute était plus aisé à gérer). Tenir bon contre les vents mauvais, tout en continuant à remplir les engagements d’une ville apaisée, résister en attendant que le cadre national change enfin (vous savez, « mon ennemi c’est la finance »).

Parce que si on veut être honnêtes jusqu’au bout, il faut aussi dire une chose clairement : Grenoble n’est pas la Grèce. Une ville n’est pas un Etat et ne peut pas quitter l’Union européenne, ni battre monnaie. Pas de Grexit possible ici !

Le plan B, à l’échelon municipal, c’était eux. Et ça reste eux. Mais maintenant, le plan B pour que ce système qui asphyxie les collectivités et nos services publics change, c’est nous tous, et ce que nous allons, collectivement, décider à l’échelle du pays en 2017 : l’austérité, la règle d’or de Bruxelles, le clientélisme et la soumission aux lobbies, les hauts salaires, les privatisations… Stop ou encore ?

Eux ont dit stop, et ils en payent le prix fort. A notre tour de les aider, à nous de nous y mettre, pour changer les règles du jeu et que reviennent les Jours Heureux. 2017, c’est demain. Réfléchissez…

Corinne Morel Darleux, Didier Thévenieau, Benoit Schneckenburger,
Secrétaires nationaux en Auvergne Rhône Alpes

Danielle Simonnet et Eric Coquerel,
Coordinateurs politiques du Parti de Gauche

(Mais je précise, le choix des illustrations est de mon entière responsabilité)