« Comment les forêts sont devenues des sujets politiques ». La semaine dernière dans le TER, alors que j’étais en pleine réflexion sur nos amendements budgétaires pour une forêt jardin face à la vision champ coupé de Laurent Wauquiez… Je me suis enfin offert le temps de l’écoute de cette émission qui m’avait attiré l’œil sur Mediapart. Un bonheur.

Et du bonheur, on en a besoin… La moitié des animaux sauvages ont disparu en 40 ans, en Europe ce sont 420 millions d’oiseaux de moins qu’il y a 30 ans. Comme l’impression d’être la génération de l’accélération. La prochaine sera-t-elle celle des enfants du désert ?

Alors j’ai eu furieusement envie d’un titre comme celui-là… : Dernière forêt primaire en Europe : vers le début d’un retour ?

La forêt de Bialowieza en Pologne, ancienne de 10.000 ans, est la dernière forêt primaire d’Europe. Elle est classée en zone Natura 2000 et patrimoine mondial de l’UNESCO. Au lieu de la laisser se régénérer suite à des attaques d’insectes xylophages, comme le préconisaient les experts, le gouvernement polonais a décidé d’exploiter cette réserve boisée plus de 140.000 hectares. La Pologne est poursuivi par la Commission européenne suite à cette décision devant la Cour européenne de justice qui a décidé le 20 novembre d’une amende « d’au moins 100.000 euros par jour » tant que les opérations de déforestation continueront.

A la Région Auvergne Rhône Alpes, je siège dans la commission « Agriculture et forêt » qui dépend de l’action économique, et non de l’environnement. Résultat d’une vision productiviste, la forêt n’a jusqu’ici fait l’objet de délibérations régionales que dans sa dimension de filière économique. Comme je l’avais fait remarquer lors de la dernière session en septembre dernier, il ne faut pourtant pas oublier les autres services écosystémiques rendus par les forêts : captage de carbone (en moyenne 6 tonnes de CO2 par hectare et par an), biodiversité, réduction de la salinisation et les inondations, lutte contre l’érosion et le ruissellement, ou encore absorption de la pollution des nappes en “pompant” les surplus d’azote des engrais agricoles.

Et surtout, toujours, ne pas oublier la verticalité des arbres.

Alors pour le débat sur le budget de la Région j’ai eu une idée. Concilier ces deux constats : le besoin, au-delà de la coupe du bois, de laisser les arbres debout et droits, et la disparition de la forêt de Bialowieza.

Je défends donc ce 29 novembre à Lyon un amendement consistant en une contribution pour compenser la disparition en cours de la dernière forêt primaire d’Europe, en augmentant dans notre Région le nombre d’hectares de forêts classés en réserve biologique intégrale (RBI). Il en existe déjà 3 en Auvergne et 12 en Rhône-Alpes, pour un total de 4772 hectares, soit à peine plus de 3 % de la forêt de Bialowieza. L’objectif proposé est de parvenir à 7.000 hectares, symboliquement 5 % de la forêt de Bialowieza, par l’acquisition par la Région de parcelles à hauteur de 2.228 hectares, placées en statut RBI. Ce projet s’inscrirait dans le cadre du « Challenge de Bonn », sous l’égide de l’UICN.

Cette idée a fini d’éclore avec la lecture de « La vie secrète des arbres ». Elle avait été semée lors de ma découverte de l’Amazonie et de l’aventure Yasuni ITT en Equateur, puis avait germé lors d’une discussion que j’avais eue avec Francis Hallé lors des assises écosocialistes pour la forêt que nous avions organisées à Céret dans les Pyrénées Orientales en 2015. Le botaniste m’avait alors confié qu’il caressait le projet de sanctuarisation en Europe d’une forêt secondaire pour la laisser redevenir primaire.

Il faut de 7 à 10 siècles pour reconstituer une forêt primaire comme celle de Bialowieza. Une forêt secondaire doit pour cela être protégée des activités humaines perturbant ses processus écologiques. C’est précisément l’objet des réserves biologiques intégrales, un statut spécifique aux forêts domaniales de l’État et des collectivités (communes, départements, régions), à ce titre gérées par l’ONF. Ces espaces-témoins voués à la libre évolution des forêts existent depuis plus de 60 ans. En dehors des études et observations scientifiques qui s’y déroulent, la présence humaine n’y est pas interdite mais réglementée : oui aux sentiers de randonnée balisés, non aux opérations sylvicoles et à la chasse au petit gibier.

Aujourd’hui, les accords de Paris sur le climat en 2015, ceux de New York sur les forêts en 2015, d’Aichi sur la conservation de la diversité biologique en 2010, et le Challenge de Bonn sur la restauration des forêts dégradées en 2011, tous ont intégré l’objectif vital de restaurer significativement les forêts mondiales. Le Challenge de Bonn s’inscrit dans le cadre de l’UICN, l’union internationale pour la conservation de la nature. Il marque un engagement mondial de restaurer 150 millions d’hectares d’ici à 2020 et 350 millions d’hectares à l’horizon 2030. Cela correspond respectivement à 10 et 23 ans de déforestation. Déjà 160 millions d’hectares d’engagements ont été recueillis. Près de 50 États, régions et entreprises à travers le monde se sont inscrits dans le Challenge de Bonn. Aucun en Europe.

Nous serions la première région d’Europe à nous inscrire dans cet engagement. Laurent Wauquiez qui aime tant être le premier en tout saisira-t-il cette opportunité ?

Télécharger ici l’amendement “Vers une nouvelle forêt primaire” en pdf