Le dernier Paris-Nice est parti.

Depuis la fin du 19e siècle, ce train reliait Paris à la Cote d’azur. Le 9 décembre, le dernier train de nuit Paris-Nice a quitté la capitale à 21h19 pour son tout dernier voyage, avec une arrivée à Nice à 8h32 (vidéo reportage France 3).

Il ne reste plus que 2 lignes de trains de nuit sur 8 aujourd’hui.

Hommage à la poésie et au rêve de ces rails au long cours, sacrifiés sur l’autel à courte vue de la rentabilité : des munitions pour combattre les faux discours. Chronique vidéo, à voir en intégralité sur Là-bas si j’y suis

Extrait :

La décision a été prise en juillet 2016 par Alain Vidalies, alors Secrétaire d’État aux Transports, de démanteler la plupart des trains de nuit au 1er octobre 2016 si aucun opérateur privé ne voulait les reprendre et que les régions concernées ne les finançaient pas. Seule la région Occitanie a pour l’instant fait des propositions qui, alliées à une forte mobilisation des usagers, permet de rouvrir le Paris-Port Bou (Reportage vidéo sur le retour en fanfare du Paris-Port Bou (Cerbere) en juillet).

Les négociations continuent également pour le retour de la Palombe Bleue (Paris-Tarbes-Irun), mais la SNCF demande une somme très importante à la Région Occitanie, que la Région Aquitaine refuse de cofinancer.

Le retour du Paris-Saint Gervais quant à lui est toujours sur les rails, mais la convention TER de la Région Auvergne Rhône Alpes qui devait servir au rapport de forces dans les négociations avec la direction de la SNCF a été signée…

Enfin, le Paris-Briançon existe toujours, mais il va être fragilisé par la disparition du Paris-Nice auquel il était lié jusqu’à Valence…

“Cette décision vise à résorber les pertes financières des trains de nuit, qui ne transportent que 3% des voyageurs mais représentent un quart du déficit des Intercités (au moins 400 millions d’euros prévus cette année), soit “plus de 100 euros de subvention publique” par billet vendu”

Voilà les raisons invoquées par Monsieur Vidalies pour supprimer les trains de nuit en France.

Des affirmations à nuancer…

Le collectif « Oui au train de nuit » a réalisé un rapport dense et complet qui permet de contester ou relativiser pas mal des motifs invoqués :

Sur la rentabilité d’abord, pour Elisabeth Borne, actuelle Ministre des Transports, « la SNCF nous dit également que 70% des dessertes TGV ne sont pas rentables ». Et pour la Cour des Comptes, « l’activité des Intercités (TET) reste l’activité conventionnée la moins subventionnée. Globalement déficitaire à hauteur d’environ 25%, elle se situe dans une situation beaucoup plus avantageuse que les activités des TER (65%) et du Transilien (62%) ».

D’ailleurs, vous avez remarqué ? Pour les trains on parle de « déficit », mais pour les routes on parle de « financement ». Les routes coûtent pourtant à la collectivité 1,5 à 3 fois plus cher si on prend en compte les coûts externes, sans parler des exemptions de taxes carburant de l’avion, une dérogation qui coûte cher à 2,8 milliards !

Et puis, quand Monsieur Vidalies parle du déficit supposé des trains de nuit de 75 millions par an, il oublie de comparer cette somme aux 150 à 200 millions prévus pour la ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux ! Le financement des trains de nuit pendant un siècle coûterait en réalité moins cher, selon le collectif « Oui au train de nuit », que le projet Bordeaux Toulouse Dax chiffré à 9 milliards !

Le secrétaire d’État a également évoqué la « fréquentation en baisse de 25% depuis 2011 » : mais forcément, 3 lignes de trains de nuit ont été supprimées entre 2011 et 2015, et pour ceux qui circulent la SNCF a réduit le nombre de voitures ! En réalité quand les trains de nuit roulent, ils sont bien remplis : en 2016, le Paris Tarbes Irun a atteint 72% de remplissage (à titre de comparaison, la moyenne des TGV est de 65%).

En fait tout ça s’apparente surtout à une véritable stratégie de découragement.

En 2017, sur 223 circulations prévues du Paris Tarbes Irun, un tiers a été annulé ou n’est pas arrivé à destination. Et alors que les réservations pour les TGV ouvrent d’ordinaire 2 à 3 mois à l’avance, les trains de nuit sont souvent invisibles jusqu’à 2 semaines avant  ! Au 3 novembre, Paris-Rodez (et Paris-Briançon) n’étaient toujours pas sortis à la réservation au-delà du 10 décembre. Et ce, alors que les voyageurs des trains de nuit sont ceux qui réservent le plus à l’avance.

Côté confort et modernité ce n’est pas mieux : afin de soutenir Alstom, l’État a contraint la SNCF d’acheter trop de rames TGV, mais n’a pas commandé de nouveaux trains couchettes depuis les années 1980 ! Et enfin, les horaires sont mal adaptées (même François Bayrou le dit).

Résultat, les voyageurs se reportent sur d’autres modes de déplacement. Notamment sur le TGV. Qui coûte pourtant beaucoup plus cher. CQFD.

Il n’y a pourtant pas de fatalité.

Après tout, le tramway a lui-aussi disparu des villes entre 1920 et 1960, de ringard il est redevenu moderne et désormais c’est le nec plus ultra, toutes les villes en rêvent. Pourquoi ne serait-ce pas pareil pour le train de nuit ?

D’autant qu’ailleurs ça marche : en Suède, en Russie ou en Autriche, les trains de nuit font le plein. L’autrichien ÖBB a non seulement relancé les trains de nuit, mais a même repris les lignes abandonnées par les suisses et les allemands. Ils ont revu entièrement la stratégie commerciale, repensé l’aménagement des couchettes (un rêve), proposé plusieurs niveaux de confort et de tarifs, les réservations sont ouvertes à la vente un an avant, et ça marche du feu de Dieu. Fin avril 2017, plus de 800 000 personnes avaient utilisé le nouveau « Nightjet » sur les six premiers mois seulement d’exploitation ! La liaison Hambourg-Berlin-Zürich affichait complet au cours des vacances de Noël, et d’ici à 2020, les ÖBB visent les 5 millions de voyageurs annuels.

C’est donc possible, et c’est souhaitable.

Car le train de nuit consomme moins d’énergie (5,8 grammes équivalent pétrole par kilomètre voyageur) que le car (6,4), la voiture (27,1) ou l’avion (39,4) – selon l’Ademe en 2013. C’est plus sûr que la route, et ça provoque moins de pollution. C’est moins cher que le TGV, plus écolo que l’avion et plus confortable que le car. Enfin c’est un gain de temps et d’argent : vous économisez une nuit d’hôtel et en une heure vous êtes à destination : une demie-heure pour s’endormir, une demie-heure pour se réveiller… Enfin, les transversales permettent d’éviter Paris et de désengorger certaines lignes de TGV qui elles imposent toujours le détour par la capitale.

… Et puis, le train de nuit c’est un tissu de poésie, de charme suranné et de frissons romanesques.

Voilà ce que j’écrivais sur Reporterre :

”Embarquer un soir d’hiver gare d’Austerlitz, griller une dernière clope sur le quai, frigorifiée, se glisser dans une couchette en se contorsionnant et là, savourer, les yeux entrouverts, de contempler à travers la vitre rayée les néons du quai, pelotonnée dans trois grammes de couverture SNCF. Un dedans-dehors qui rejoint presque, un instant, le frisson des bivouacs et le plaisir un peu subversif de dormir à la belle étoile les nuits d’été. Une demie-heure pour s’endormir, une demie-heure pour se réveiller, et en une heure quel que soit le trajet, vous vous retrouvez à destination, juste à temps pour le premier café… Voilà pourquoi on aime les trains de nuit. De manière irréfléchie, spontanée, affective et sensuelle. Voilà pourquoi on rêve encore, au fond de soi, de destins de cheminots au long cours, comme de marins sur un cargo.”

… Et toujours, en ode au train, un écho de cette grande brute d’Apollinaire :

Ô mon amie hâte toi. Crains qu’un jour un train ne t’émeuve plus !

Regarde le plus vite pour toi / Ces chemins de fer qui circulent

Sortiront bientôt de la vie / Ils seront beaux et ridicules