À Bure on s’apprête donc à enfouir 80.000 m3 de déchets atomiques, sans jeter un coup d’oeil ni aux arguments pourtant légitimes des opposants ni à l’expérience, un peu plus au Nord, en Finlande, du projet Onkalo (cave en finnois) qui se heurte à bien des difficultés. Onkalo c’est 5 km de tunnels à 500 m sous terre, où seront enterrées 5.500 tonnes de déchets nucléaires pour 100.000 ans.

100.000 ans… Comment peu-on prévoir quoique ce soit à cette échelle, comment va-t-on seulement prévenir les générations à venir que le site est dangereux et les dissuader d’aller voir ce que leurs ancêtres ont bien pu entreposer de si précieux pour l’avoir entouré de tant de précautions, et enfoui si profondément ? C’est d’ailleurs le sujet du film danois Into Eternity sortie en 2010.

Et pourtant, comme les Shadoks, on continue à creuser.

Toujours au Nord, du côté du Spitzberg en Norvège, on stocke aussi des graines : c’est la Réserve mondiale de semences. Stockées là pour l’éternité ou presque : plusieurs dizaines d’années si elles sont bien préservées, l’air doit être à un taux d’humidité inférieur à 5 %. Sinon les graines, eh bien, germent.

On en a parlé dans ma dernière chronique écosocialiste sur Là-bas si j’y suis (en intégralité ici pour les abonnés) dont voici un extrait :

Au départ ça sonne plutôt comme une bonne idée : cette réserve mondiale est une sorte d’archive de secours des banques nationales, qui vient de fêter ses 10 ans.

A 120 mètres de profondeur dans la montagne, ce sont 541 millions de graines de plus de 843.000 espèces différentes qui sont conservées à -18C, à l’abri des guerres, des attaques nucléaires ou encore du dérèglement climatique. Aux Philippines, une banque nationale de semences a été ravagée par un typhon. Pendant les guerres d’Irak et d’Afghanistan, idem : les collections locales de semences ont été détruites. Et la guerre en Syrie a ruiné l’agriculture de ce pays qui était considéré comme le grenier du Moyen Orient. La réserve mondiale de semences a alors servi à reconstituer le patrimoine génétique de l’agriculture syrienne (ses graines ont été plantées au Maroc et au Liban, ont poussé et ont ensuite de nouveau été stockées).

Alors quel est le problème ?

D’abord, on peut s’étonner de l’ironie qui fait qu’il y a plus de semences dans ce caveau polaire que dans les champs, où les grands semenciers ont réussi à breveter les semences et à interdire aux agriculteurs la liberté de semer leurs propres graines, ce qu’ils faisaient depuis 10.000 ans, et ont rendu les variétés stériles avec leurs OGM. Aujourd’hui on estime que 75% des variétés de semences ont disparu en un siècle. Trois variétés sur quatre ! Seules 200 plantes environ sont cultivées à des fins alimentaires. Et trois multinationales, Syngenta, Monsanto et Dupont-Pioneer se partagent 50% du marché.

Or, si la réserve est non lucrative, propriété publique de la Norvège et d’ONG, on retrouve aussi parmi ses donateurs les mêmes Dupont-Pioneer et Syngenta comme nous le révèle La Guerre des graines, un documentaire de Stenka Quillet et Clément Montfort.

Et il y a, tout aussi inexorable que l’appétit du capital : le réchauffement climatique. Et c’est bien là que réside le problème.

La réserve se situe à moins de 1200 km du pole nord, qui vient de connaître des températures supérieures de 30°C à la moyenne ! Le week-end même où Svalbard fêtait son 10e anniversaire, fin février, selon Zack Labe, chercheur de l’université Irvine en Californie, les températures auraient brièvement dépassé, à certains endroits du pôle, + 2°C , jusqu’au point de fonte donc, parce qu’une énorme tempête envoyait une chaleur intense vers la mer du Groenland. Le hic c’est que cette vague de chaleur inédite fait fondre le permafrost qui maintenait les semences au sec et au froid. Avec la fonte et la pluie, de l’humidité s’insinue depuis l’an dernier dans la réserve et pourrit les graines.

Ils vont en avoir pour 10 millions de travaux pour améliorer l’étanchéité. Mais est-ce que ça sera suffisant ? Une étude de l’Institut polaire norvégien, publiée en juillet dernier, a montré que depuis 1980, ces intrusions d’air extrêmement chaud dans l’Arctique, autrefois rares, deviennent de plus en plus habituelles, beaucoup plus fréquentes, plus durables et plus intenses.

Les choses deviennent si instables qu’il paraît très aléatoire de prévoir des dispositifs de stockage aussi stratégiques sur plusieurs dizaines d’années, la preuve : il y a dix ans c’était l’emplacement idéal, aujourd’hui patatras il fond de ce contre quoi il était justement censé protéger ! Ce serait peut-être mieux de les semer en plein champ, ça permettrait de sauvegarder les variétés, tout simplement en les cultivant… mais pour ça il faudrait s’attaquer aux intérêts des grands semenciers.

Mais surtout, là on parle de graines pour quelques décennies, mais quand on parle de milliers de tonnes de déchets hautement radioactifs stockés sous terre pour plusieurs dizaine de milliers d’années : c’est juste de la folie !

Alors certains commencent à évoquer d’envoyer tout ça dans l’espace : un coup on enfouit profond, un coup on envoie plus haut, plus loin. Pour l’instant, les fusées n’étaient pas jugées assez fiables et personne ne veut voir exploser un stock radioactif dans l’atmosphère, mais avec l’accumulation desdits déchets et les prouesses spatiales d’Elon Musk, combien de temps ça va durer ? Un film d’anticipation de 1972, Silent Running, évoquait déjà des forêts conservées dans un vaisseau spatial le temps que la Terre redevienne vivable. Maintenant on imagine balancer nos déchets nucléaires vers les étoiles. Par contre arrêter de les produire, pour commencer ? Ça non, curieusement on n’en entend pas parler.

En vrai ? Ce monde est en train de devenir totalement givré…


Illustrations : jacques Rouxel, créateur des Shadoks