Le Danube m’attira avec une force irrésistible… écrivait Panaït Istrati. E et de fait, comme il y a quatre ans, j’ai passé chaque instant de liberté à Budapest littéralement collée au fleuve. Je suis partie en Hongrie à l’invitation de la fondation Rosa-Luxemburg-Stiftung et de la Gauche européenne. Avant de m’enfermer pour deux jours je me suis autorisé le premier soir de mon arrivée une promenade nocturne dans les rues désertes d’un ancien quartier industriel, ambiance post-apocalypse. Un sentiment imposant à la fois de liberté et d’écrasement.

Il y a quatre ans, j’étais déjà venue présenter notre Manifeste pour l’écosocialisme à l’université d’été des Verts d’Europe centrale et de l’Est. Depuis les choses ne se sont pas vraiment améliorées en Hongrie, et naturellement la question de l’extrême droite et de la xénophobie a été omniprésente dans nos débats. Or l’internationalisme, l’implication populaire, la justice sociale et climatique en sont les meilleurs antidotes, universels. Et c’est ce que j’ai défendu lors de ces journées d’été avec l’ecosocialisme.

Auparavant, nous avons reçu – avec ma camarade du Parti de Gauche Laurence Pache également présente, le salut de Jeremy Corbyn via son émissaire, très intéressé d’en savoir plus sur la dynamique de la France Insoumise et qui nous a longuement questionné sur la situation politique en France. De manière générale, tous les participants européens présents à Budapest se sont révélés étonnamment attentifs à ce qui se passe en France, et très durs avec Emmanuel Macron. Le député Pabel Muñoz Asambleísta d’Equateur a quant à lui rappelé – et ça fait du bien – le recul de la pauvreté réalisé sous les gouvernements bolivariens en Amérique du Sud sans oublier de souligner le problème de l’extractivisme (et ça fait du bien aussi). En insistant sur l’écosocialisme et le buen vivir, il m’a offert un très joli tremplin pour mon intervention. La Ministre du travail et de la solidarité sociale en Grèce était également présente, à la fois mal à l’aise et déterminée. Comme elle parlait elle-même d’établir un rapport de forces plus agressif sur l’Union européenne, j’en ai profité pour interpeller une nouvelle fois tout le monde sur notre Sommet du Plan B dont le prochain se tiendra à Lisbonne du 20 au 22 octobre.

Et puis je suis intervenue sur l’écosocialisme donc, et la nécessité, comme je l’ai formulée, d'”allier le rouge, le vert, et le bleu de travail“, après le “compromis inédit entre bleus de travail et souci de la planète” de Jade Lindgaard dans son papier en 2012 sur la planification écologique et le très joli “le changement climatique peut être considéré comme la traduction atmosphérique de la lutte des classes” de Naomi Klein.

Tout comme je l’avais fait quelques jours plus tôt auprès des coordinateurs de Bizi en formation au pays basque, j’ai commencé par insister sur le caractère insoutenable du système capitaliste d’organisation de la production qui exerce une pression multiple : à la fois sur les matières premières, sur l’énergie – et notamment les énergies fossiles qui ne sont pas inépuisables comme on le sait, mais aussi sur la force de travail en cherchant inlassablement à réduire ses coûts afin d’augmenter la rentabilité de l’euro de capital investi – ce qui reste la définition même du capitalisme. Et non content d’exercer cette pression à la fois sur les travailleurs et sur les écosystèmes, le capitalisme exerce une ultime pression sur les esprits, à grands coups de marketing et de publicité, afin d’écouler et de vendre toute cette production. Voilà le cycle vicieux : travailler plus pour produire plus pour consommer plus… mais à quel prix ! C’est ce que l’économiste grec Yannis Eusthatopoulos appelle le modèle de “croissance économique par dégradation“.

À partir de cette analyse et au vu du dérèglement climatique, mais aussi de la crise sociale, de la délocalisation, du chômage et de la précarité, j’ai insisté sur le fait que les gauches européennes ne pouvaient pas se contenter de continuer à résister : nous avons besoin de mettre sur la table un autre projet, celui d’une société post-capitaliste : l’écosocialisme. J’ai rapidement présenté le manifeste et les 18 thèses, en insistant particulièrement sur le fait que pour rendre ce projet majoritaire nous avions besoin, en plus de son caractère d’urgence, de le rendre également possible et désirable. Pour ça nous avons deux outils à notre disposition : pour combattre le fameux Tina de Margareth Thatcher et de Ronald Reagan, nous disposons de tout le travail que nous avons effectué sur le financement. Il faut rappeler encore et encore que l’argent existe, qu’il est simplement très mal réparti – ou devrais-je dire accaparé – et qu’avec une autre fiscalité notamment, nous aurions les moyens de mener cette politique écosocialiste. Dire également l’importance d’allier non seulement le rouge et le vert mais aussi le bleu de travail, et d’accélérer cette convergence entre les associations de défense de l’environnement, les syndicats et les mouvements climat, tout en s’adressant à un public plus large.

Or pour cela il ne faut pas se voiler la face : la situation étant ce qu’elle est, et que ça nous plaise ou non, nous ne convaincrons personne en parlant de long terme, d’intérêt général ou d’avenir de la planète. Le souci des gens aujourd’hui c’est de savoir comment ils vont faire à la fin du mois pour payer leur loyer, la facture d’électricité ou la cantine des mômes. Nous devons donc commencer par les sécuriser et leur répondre sur leur place dans tout ça, sur les aspects sociaux, sur un minimum de sécurité matérielle et sur la question de l’emploi. Or il se trouve que les initiatives “un million d’emplois pour le climat” nées en Angleterre se multiplient désormais un peu partout en Europe. En France, un rapport vient de sortir issu d’une plateforme d’ONG, d’associations et de syndicats qui en s’appuyant sur des sources sérieuses font la démonstration qu’un million d’emplois pourraient être créés si on s’engageait résolument dans cette transition écosocialiste.

Dans le débat qui a suivi j’ai eu l’occasion également de préciser notre rapport à l’Union européenne et les cas dans lesquels nous n’hésiterons pas à y désobéir, notamment dans la mise en place de critères sociaux et environnementaux à l’importation de marchandises. A une question sur quelle serait notre premiere mesure si nous étions au pouvoir, j’ai répondu gratuité des premières tranches d’eau et d’énergie, financée par la sur-facturation des usages excessifs : une mesure écosocialiste par excellence de dignité humaine, de justice sociale et de lutte contre le gaspillage. 

Nous avons beaucoup débattu et je dois dire que je suis ravie d’avoir vu beaucoup de jeunes dans le public prendre des notes, poser des questions, demander des références, et au final désireux de se procurer le manifeste dans leur langue maternelle afin de pouvoir le diffuser dans leur pays. Et un peu fière aussi j’avoue d’avoir vu le député d’Équateur assister à l’ensemble de ma présentation… Nous avons enchainé avec de choue

ttes retrouvailles en déjeunant dans une échoppe de marché populaire avec Vincent Liegey qui construit quelque chose de très intéressant ici, dans une dynamique de faire et d’autonomie qui tient tout à la fois de la résistance, de la non coopération avec le système, et de l’alternative.

Et puis, parce que la politique ne doit pas être coupée de la vie et de ses beautés, le séjour s’est prolongé en mode plus personnel avec une belle échappée buissonnière du côté des collines de Buda, des verres de rosé le regard rivé au Parlement avec une pensée pour nos députés en train de batailler, une virée en ville dans le quartier juif et surtout la visite ô combien réconfortante et enchanteresse pour les sens des Thermes de Budapest…

L’écosocialisme poursuit son chemin donc, parsemé de graines qui fleurissent, parfois d’épines aussi. Une traduction du Manifeste – la quatorzième – est en cours en Perse, en lien avec une maison d’édition en Iran, des ateliers débats sont prévus aux journées d’été de la France Insoumise à Marseille fin aout, et le Manifeste voyagera peut-être même jusqu’au Caire cet hiver. Le réseau s’étend, essaime, conquit des coeurs et des esprits, et c’est tout ce qu’il fallait pour savourer l’esprit serein enfin quelques jours de repos d’été. 

Le Manifeste et ses traductions sont disponibles en téléchargement gratuit sur ce blog ou sur celui de Jean-Luc Melenchon.