dimanche 27 juin 2010

"Que ferons-nous des réfugiés climatiques ?"

... Voilà la question sur laquelle le journal de la Décroissance m'a invitée à débattre. Question complexe, et j'avoue que j'ai galéré pour savoir par quel bout la prendre...Du coup j'en ai fait 7000 signes au lieu des 4000 demandés ^^

En attendant de lire les réponses de Pierre Henry, président de France Terre d'asile et de Jean-Luc Coudray, candidat du parti pour la décroissance aux législatives en 2007, voici les éléments de réflexion que j'ai soumis au débat (in extenso) et qui seront publiés (en version coupée) dans le prochain numéro de La Décroissance...

La Décroissance : Le tiers de la population mondiale vit sur les côtes. La montée du niveau des océans risque de provoquer de gigantesques mouvements de populations. Comment accueillir ces millions de réfugiés climatiques ? Comment les pays riches qui ont provoqué le réchauffement climatique assumeront-ils leurs responsabilités ? Devons-nous nous préparer à accueillir des millions d'habitants du Sud victimes de nos modes de vie ?


Merci de votre invitation à débattre, mais que voilà une question difficile ! Il était tentant d'y répondre par une poignée de bons sentiments, 2-3 incantations et quelques généralités : le grand méchant Nord contre le gentil Sud, un statut international de réfugié climatique et le tour est joué. Cela n'aurait guère fait progresser le débat. Au risque de provoquer quelques grincements, et sans prétendre apporter de réponse définitive, je vais donc tenter autre chose.


D'abord, j’imagine que la question posée ne concerne pas seulement les conséquences de la montée du niveau des océans, mais aussi de toutes les autres catastrophes liées au dérèglement climatique et notamment inondations et sécheresses1. Ensuite, il me paraît difficile d'affirmer aujourd'hui que des millions de réfugiés climatiques vont affluer du Sud vers les pays dits « riches ». Un, parce que les simulations sont extrêmement complexes quant aux conséquences du réchauffement climatique global, leur ampleur et leur échéance. Deux, parce qu’aujourd’hui la plupart des flux migratoires se font en réalité dans un axe Sud-Sud, et que l’immense majorité des réfugiés victimes du climat restent à l’intérieur de leur propre pays (même si je n’oublie pas le cas particulier des îliens).


Une fois ces réserves posées, je veux souligner l'importance du terme même de « réfugié » et non de « migrant » climatique, pour ce qu'il induit de responsabilité politique. Les réfugiés ne partent pas dans l’espoir d’une vie meilleure mais parce qu’ils ont perdu leurs moyens de subsistance. L’emploi de ce terme revient donc à reconnaitre qu'une minorité, aujourd'hui, par son mode de vie et au nom de la défense de ses privilèges, condamne le reste des habitants de la planète à la domination, à la destruction des écosystèmes et au dénuement le plus total. C'est la nature même du capitalisme, qui privilégie la rentabilité du capital sur toute notion de bien commun ou d'intérêt général. C'est la logique productiviste, qui consiste à produire toujours plus pour répondre à la pression actionnariale. C'est enfin le consumérisme, qui consiste à prôner l'accumulation matérielle pour écouler cette marchandise, à grands coups de publicité et de surendettement. Ces trois rouages du système conduisent aux inégalités, à la destruction du monde tel que nous le connaissons aujourd'hui et in fine, pour en revenir à notre sujet, aux réfugiés climatiques.


Évitons l’angélisme ! Ces rouages sont aussi à l'œuvre dans les pays du Sud. Il y a du Nord dans le Sud, et vice versa. Il suffit pour s'en convaincre de voir la puissance des lobbies économiques et des médias de la droite libérale en Amérique Latine, et a contrario les situations de grande pauvreté qui s'étendent au sein de nos pays « riches ». C'est pourquoi, à la notion Nord-Sud, je préfère substituer celles d'oligarchie mondiale et de logique de classes : il n’y a pas de déterminisme géographique, c’est le système de production et de répartition des richesses qui est à reconsidérer de fond en comble. Et cela me conduit à une première réponse : notre devoir fondamental vis-à-vis des réfugiés climatiques, c’est de lutter contre le capitalisme chez nous et de pratiquer résolument la solidarité élémentaire consistant à les aider à en faire autant chez eux !

Toutefois, quels que soient la sincérité de notre internationalisme et l’ampleur de nos efforts en ce sens, ils ne suffiront évidemment pas à nous exonérer de notre dette climatique, qui donne à la distinction Nord-Sud un sens bien particulier. La Banque mondiale elle même indique que les pays en développement vont supporter 80% des dégâts occasionnés par le changement climatique alors qu’ils ne sont à l’origine que de 30% des émissions de gaz à effet de serre. Et ce sont bien les pays du Nord qui ont, depuis des décennies, pris l'habitude de piller les ressources naturelles des pays du Sud riches en matières premières. Ils n'ont pas hésité, pour cela, à exproprier et exploiter les populations locales. Pour alimenter la croissance industrielle et satisfaire l’appétit des actionnaires, ils ont instauré à l'échelle mondiale un système d'échanges dérégulé, pollueur et destructeur. Par leur modèle de développement économique, les pays du Nord portent bien une responsabilité historique quant à la crise écologique et au dérèglement climatique qui implique que soit clairement affirmée la solidarité Nord-Sud, notamment en termes d'aide financière.


Souvenons nous aussi que cette dette climatique n'est que le prolongement de dettes économique et politique héritées du colonialisme et qu'aggravent aujourd'hui les politiques de l'OMC, du FMI et de la Banque Mondiale, avec la complicité croissante des Etats et de l'Union européenne. En conditionnant les prêts accordés aux pays en développement à la casse de leurs systèmes sociaux et à la mise à mort de leur paysannerie, en soutenant des régimes dictatoriaux à la botte des intérêts des puissants, ils ont poussé les migrants sur la route et sont responsables d'une large part des migrations forcées.


Dès lors, faut-il un statut particulier du réfugié climatique ? Ou plus globalement une révision en profondeur de l'accueil de tous les migrants ? Que l'on soit réfugié climatique ou politique, économique ou alimentaire, étranger ayant fait le choix de venir étudier dans nos pays ou migrant volontaire, ne doit-on pas bénéficier des mêmes droits universels de liberté de circulation et d'installation ?


Quelle que soit la réponse à cette question, soyons honnêtes. Un statut n'y suffira pas. Si nous voulons éviter la multiplication des conflits pour la terre ou pour l’eau entre réfugiés et populations locales, si nous refusons de voir se pérenniser un système de camps où s’entasseraient des communautés entières, alors nous devons penser aménagement du territoire, tant d’un point de vue social qu’environnemental, densification urbaine et relocalisation des activités, développement de l'agriculture paysanne et vivrière, revoir nos modes de production et de consommation. C'est seulement à cette condition que nous pourrons dégager des espaces de vie collective où chacun pourra trouver sa place. L'écologie politique et l'objection de croissance nous fournissent des pistes pour repenser la société. Elles peuvent devenir de puissants leviers pour l'émancipation et le progrès humain. Pour que tous puissent vivre bien, du Nord au Sud. Même sur une planète aux contours réduits.

1 Selon le secrétaire de la Convention de l’ONU sur la lutte contre la désertification, près de 70% de la Terre pourrait être frappée par la sécheresse en 2025 contre 41% aujourd’hui !

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