lundi 14 novembre 2011

Où il est question d'énergie, mais aussi de réappropriation citoyenne, de transition et de planification écologique

Voici la retranscription (merci Virginie !) de mon intervention à la formation organisée par le groupe des élu-e-s du Front de gauche de la Région Rhône Alpes. C'était à Portes les Valence, dans la Drôme, le 5 novembre dernier. Sur... l'énergie. Beaucoup de militants et élus communistes de syndicalistes de la CGT Mines Énergie. Un vrai débat, quoi ;)

Les débats sur l’énergie se multiplient depuis quelques temps avec l’actualité : Fukushima, l’exploration des gaz de schistes… La question de la politique énergétique est dans le débat public d’aujourd’hui. Pour avoir un débat sérieux et argumenté sur ces questions, il y a un certain nombre de logiques de débat qu’il faut qu’on arrive à dépasser et à inverser. Nous devons par exemple inverser la tendance un petit peu stérile et mouvementée, qui consiste à vouloir simplement opposer les pour et les contre sur certains sujets, que ce soit le nucléaire, les éoliennes, les gaz de schistes, on a que l’embarras du choix… Nous devons plutôt nous appuyer sur le socle important de propositions politiques que fabrique le Front de Gauche et ne pas parler que de l’offre, c’est-à-dire de la production d’énergie mais aussi de la demande en matière d’énergie. Il y a là une inversion de logique qui me parait intéressante. Les échanges que nous avons régulièrement, comme aujourd’hui, au niveau local, national, avec tous les acteurs du secteur sont essentielles pour enrichir le débat.

Je vais aborder 3 points fondamentaux :

  • La question des services publics et du pôle public de l’énergie

  • La transition énergétique

  • La démocratisation et l’appropriation citoyenne


Services publics et pôle public de l’énergie

On ne peut pas laisser un sujet aussi important que l’énergie entre les mains d’intérêts privés capitalistes dont la seule logique, telle qu’elle apparaît dans le système économique d’aujourd’hui, est une logique de profit et de rentabilité. On a vu ce que cela donnait dans certains endroits du monde malheureusement : la marrée noire provoquée par BP dans le golf du Mexique l’année dernière ; On a su après coup que TEPCO, l’opérateur privé de la centrale de Fukushima, avait masqué certaines informations de sécurité afin de préserver son cours en bourse.

Et plus près de chez nous on voit bien que la logique de privatisation d’EDF en application des directives européennes de libéralisation du marché de l’électricité provoque de plus en plus l’inquiétude des travailleurs et des syndicats sur les questions de sécurité. On observe notamment la diminution des durées d’arrêts des réacteurs pour des opérations de maintenance puisque cela coûte cher et la direction d'EDF est aujourd’hui davantage dans une logique de rentabilité et non de service public. Il y a beaucoup de témoignages des travailleurs du nucléaire là-dessus.

Cela pose les questions de sous-traitance, de conditions de travail et de formation qui sont au cœur de ces enjeux.

Pour toutes ces raisons nous sommes attachés à un service public de l’énergie et à la création d’un pôle public de l’énergie qui puisse voir le retour à 100% public d’EDF, mais également de Gaz de France et de Total, de manière à redonner les moyens à la collectivité de mener une politique énergétique qui soit guidée par l’intérêt général et non par la logique de profit financier.

C’est un point très important que nous avons résumé sous le terme de planification écologique.

Il y a deux ans, ce terme faisait bondir certains, croyant qu’il s’agissait d’un retour au Gosplan ! Aujourd’hui tout le monde le reprend dans les partis politiques, comme quoi l’idéologie dominante commence à se fissurer c’est une bonne chose…

Donc la planification écologique, c’est cela, on retire de la financiarisation, de la marchandisation, du système privé capitaliste, un certain nombre de sujets stratégiques majeurs pour l’intérêt général dont l’énergie au premier chef. Ensuite, ce qui est intégré dans la planification, c’est la notion de long terme. On sait qu’en matière de politiques et de transition énergétique, les choses ne se feront pas d’un claquement de doigt, elles ne se feront pas du jour au lendemain, ni forcément dans le moyen terme, on a besoin d’un temps long de recherche et de réflexions. C’est le cas sur les questions de climat et de réductions des gaz à effets de serre, on a besoin d’une politique volontariste qui puisse être menée sur le long terme. Or le long terme n’est pas l’horizon de la sphère privée capitaliste…

Pas plus que la lutte contre la précarité énergétique qui doit devenir une priorité (plus de 8 millions d’individus et 3,7 millions de foyers, 150 000 coupures par an). C’est un sujet malheureusement peu abordé dans les débats sur l’énergie alors qu’il est au cœur du problème de nos concitoyens et qu’il rejoint les questions de service public notamment sur le tarif et l’accès égalitaire sur l’ensemble du territoire.

Il est évidemment hors de question d’aller vers une régionalisation totale du service public de l'énergie car il serait inacceptable que selon l’endroit où vous habitez vous n’ayez pas les mêmes possibilités d’accès à ce droit fondamental qu’est l’énergie. Cela va avec notre attachement à un service public national de l’énergie. La production d’énergie peut être locale, c’est une chose, le service de distribution lui ne peut être évidemment qu’assuré au niveau national pour assurer cette péréquation tarifaire et cette égalité d’accès sur l’ensemble du territoire.

Sur la tarification, je suis personnellement militante d’une gratuité des premières tranches de consommation d’énergie pour assurer les besoins de base de tout le monde, financée par une surfacturation progressive des tranches supérieures de consommation. Ce pourrait être à la fois une mesure sociale en garantissant à tous cet accès là, et en même temps environnementale en dissuadant le gaspillage et le mésusage de l’énergie. C’est un débat qui est ouvert.

Transition énergétique

Sur les enjeux du dérèglement climatique qui sont potentiellement dramatiques et qui commencent déjà à l’être, notamment pour les plus pauvres une fois de plus, dans les pays du sud et les pays insulaires. Sur les questions de réduction d’émissions de gaz à effets de serre, sur le fait d’envisager potentiellement à terme une sortie progressive du nucléaire, sur le refus d’exploitation des gaz et huiles de schiste, toutes ces démarches de la transition énergétique, nous ne pourrons pas le faire si l’on ne modifie pas de manière radicale et profonde nos modes de production et de consommation.

C’est là qu’on parle de demande et pas seulement de production d’énergie, car il y a des mesures à prendre à la fois en matière de sobriété et d'efficacité énergétique. C’est-à-dire qu’en matière de sobriété et de réduction de nos consommations, il y a des usages aujourd’hui qui ne peuvent pas être considérés comme indispensables et allant dans le sens de l’intérêt général et de l’utilité sociale. Par exemple l’énergie consommée par les écrans de publicité lumineux mais il y en a bien d’autres…

Ensuite sur l’efficacité énergétique, nous portons la volonté de la rénovation thermique des bâtiments. Il faudrait mettre en place un véritable plan de rénovation thermique qui serait une mesure environnementale et sociale puisque nombre de ces bâtiments sont des logements sociaux qui sont équipés aujourd’hui en chauffage électrique et qui pèsent de façon considérable sur le budget des ménages. Voilà des mesures qui ne signifient pas un recul en terme de bien-être et de confort de vie, bien au contraire, et qui permettent d’allier social et environnemental.

Il y a bien sûr le développement des énergies renouvelables. Mais pas n’importe comment. Contrairement à ce que pensent certains partis qui se réclament de l’écologie, les mesures environnementales doivent s’accompagner de préoccupations sociales et démocratiques. Quand on voit comment s’engouffrent dans les énergies renouvelables tous les grands groupes capitalistiques de type VEOLIA et SUEZ, en faisant de l’éolien de manière purement industrielle, avec un aménagement du territoire totalement aberrant avec des surfaces entières utilisées uniquement pour la production pour aller vers des zones uniquement de consommation, cela est problématique.

De la même manière si l’on fait des énergies renouvelables sans changer les conditions de travail, la manière dont les décisions sont prises au sein de ces entreprises et la logique « actionnariale » qui prévaut sur les salaires, cela est aberrant. Nous ne sommes pas pour faire n’importe quoi au nom des énergies vertes. C’est ce qu’on appelle le capitalisme vert et c’est à rebours de ce que nous envisageons.

Si l’on reste dans la même logique de production et de consommation, on pourra avoir toutes les actions de résistance sur le terrain, tant qu’il y aura un système capitaliste et de la demande croissante d’énergie, il y aura en face des intérêts privés et des multinationales qui seront prêtes à prendre des risques à la fois pour les populations et pour l’environnement, pour fournir de l’électricité en augmentant son prix et les inégalités d’accès à l’énergie.

D’autres secteurs comme le rail et les transports sont importants et directement en lien avec la question de l’énergie. Là aussi nous nous heurtons à des directives européennes de libéralisation et d’ouverture à la concurrence qui font que le premier train privé de Veolia va partir au mois de décembre avec l’ouverture concrète du transport de voyageurs à la concurrence du privé. On a vu le démantèlement et la scission de l’entreprise publique SNCF en plusieurs branches dont certaines sont de fait maintenues dans un état déficitaire. Comment pourrait-on faire autrement puisque quand on a d’un côté des branches d’investissement sur des infrastructures et qu’elles sont dissociées des branches rentables de vente et de déplacement ? Comme on le voit à chaque fois dans le démantèlement du service public, on arrive à un saucissonnage de l’activité qui rend déficitaire certaines branches. C’est un des facteurs qui a freiné le développement du ferroutage et du fret de marchandises en France. Le retour à un véritable service public du rail avec la SNCF réunifiée permettrait d’avoir une politique de ferroutage et de fret ferroviaire beaucoup plus volontariste avec le retour par exemple au wagon isolé et l’exploitation de plates-formes multimodales, comme ici à Portes les Valence. Tout cela représenterait des gains en matière d’énergie et d’émissions de CO2 non négligeables.

Un axe important de ce que nous proposons est la relocalisation avec les « 3R » : relocalisation, reconversion, réindustrialisation. Sur ce dernier aspect, il est encore une fois peu porté par les militants écologistes, pourtant nous devons désenfumer un certains nombres de clichés : l’industrie et l’environnement ne sont pas ennemis, bien au contraire.

Je suis atterrée d’entendre des personnes qui se revendiquent de l’écologie dire qu’en France on pourrait avoir une économie purement de services à haute valeur ajoutée. Cela veut donc dire qu’on continuerait à avoir des ateliers du monde dans des « sweatshops » en Chine ou ailleurs, dans des conditions de travail désastreuses et avec le dumping social et environnemental qu’on connaît. Marchandises qu’on va refaire venir par des transports qui sont eux-mêmes sources de pollution incroyable. Soyons cohérents ! La relocalisation passe par le fait de produire localement ce que l’on va consommer localement. Cela passe par une politique de réindustrialisation de la France, avec bien sûr une nouvelle logique industrielle qui interroge l’utilité sociale de la production, l’impact environnemental et la démocratie sociale, c’est-à-dire la manière dont les décisions sont prises dans les entreprises.

La démocratisation et l’appropriation citoyenne

Comment peut-on s’extasier sur le mouvement des indignés un peu partout en Europe et ailleurs, hurler à la démocratie en disant que nous n’avons pas été consultés sur les gaz de schiste, se dire solidaires du peuple grec et demander un audit citoyen de la dette... Et pour autant sur un sujet aussi majeur que la politique énergétique ne pas voir en quoi un référendum populaire et citoyen sur cette question est nécessaire. C’est un sujet de société qui nous engage toutes et tous sur les années et les générations à venir. Nous ne pouvons pas faire l’économie de la démocratie directe et ceux qui pensent que cela peut se régler sur un coin de table entre appareils dans le cadre de négociations de postes se heurtent à leurs propres contradictions.

Nous portons au Front de Gauche la revendication d'un grand débat national car c’est une question de démocratie citoyenne. Partout où nous sommes élus nous essayons de travailler en ce sens. A la Région nous avons un certains nombres d’actions comme notre forte implication dans le débat et le combat contre les gaz de schiste, un vœu adopté par la majorité régionale sur la question de la sécurité nucléaire et l’audit des centrales en Rhône-Alpes, les débats que nous amenons sur les questions que soulèvent par exemple la création d’un opérateur régional de l’énergie, sur les questions que posent l’adhésion de la Région à Enercoop, sur l’implication de la Région dans des mécanismes financiers tels que les certificats d’énergie, mécanisme qui s’apparente à une bourse carbone…

Nous mettons tout cela en débat à la Région, car bien souvent ces questions là ne seraient pas soulevées sinon, c'est une de nos contributions concrètes au débat public. C'est notre manière de faire de la politique de manière sérieuse argumentée et constructive.

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