mercredi 30 avril 2014

Entretien sur l’écosocialisme à Bruxelles avec l’Association Culturelle Joseph Jacquemotte

Tenter d’élaborer une alternative concrète, sociale et antiproductiviste au capitalisme dans un contexte de consommation de masse et de toute-puissance du pouvoir financier semble relever du baroud d’honneur. C’est néanmoins le pari engagé par les tenants de l’écosocialisme, un projet qui entend faire la synthèse entre le marxisme et l’écologie politique. C’est dans cet esprit que s’est tenue le 5 mars 2014 la seconde rencontre du Réseau écosocialiste européen, qui a réuni une soixantaine de participants issus d’une dizaine de pays.

En marge de cette journée de travail, l’Association culturelle Joseph Jacquemotte (ACJJ) a pu s’entretenir avec Corinne Morel Darleux, qui a notamment coordonné la rédaction des « 18 thèses pour l’écosocialisme», fruit d’un long travail de dialogue ouvert par les « Assises pour l’écosocialisme » initiées par le Parti de Gauche français. La femme politique revient sur les fondements de l’écosocialisme, sur sa place dans le débat politique français et international, ainsi que sur les possibilités de mise en pratique de cet ambitieux projet de transition écologique et sociale.

ACJJ : Quels sont les principaux points qui font de l’écosocialisme le « paradigme majeur du XXIe siècle », selon les mots de Jean-Luc Mélenchon ?

20120915_fetehumanite_0518soudais.jpgCorinne Morel Darleux : C’est d’abord un constat d’impasses : celles de la social-démocratie et de l’écologie telles qu’elles existent actuellement. On peut voir aujourd’hui que les politiques d’austérité, souvent mises en place par des gouvernements sociaux-démocrates en Europe, sont inopérantes d’un point de vue socio-économique, car elles ne résorbent ni la crise, ni le chômage, et qu’elles conduisent à une régression sociale sans précédent. Par ailleurs, ni le socialisme « réalisé » ni la social-démocratie n’ont réussi à intégrer pleinement toutes les implications de la contrainte écologique : dans un monde aux ressources finies, on ne peut continuer la course à la croissance à tout prix.

L’écologie est, quant à elle, confrontée à d’autres écueils. D’abord parce qu’une série de thématiques écologiques ont été intégrées par le système sous la forme du « capitalisme vert », qui consiste à s’en remettre aux producteurs responsables de la dégradation environnementale pour faire face à l’urgence écologique, leur permettant d’engranger des profits à chaque étape du cycle pollution/dépollution.

Un certain courant de l’écologie, l’environnementalisme, s’est par ailleurs constitué sans élaborer de critique du capitalisme. Cette idéologie, en laissant croire que l’écologie ne se posait qu’en termes de protection de la nature, sans dimension économique et sociale, a ouvert la voie à une récupération politique par le système. Elle participe dès lors à légitimer les fausses bonnes solutions techniques que sont les mécanismes financiers de quotas CO2, la compensation carbone, les échanges de droits d’émissions de gaz à effet de serre… Sans s’attaquer le moins du monde aux racines du problème, à savoir le système économique capitaliste qui vise à une rentabilité maximale du capital dans un minimum de temps.

De ces constats découlent plusieurs fondements de notre réflexion écosocialiste. D’abord que l’écologie doit être fondamentalement anticapitaliste, et être systématiquement combinée avec un volet social. Notre projet s’inspire à la fois du marxisme et de l’écologie politique, en tenant compte des erreurs du passé et des nouveaux enjeux qui viennent les percuter. Si on veut vraiment défendre l’environnement, faire face au changement climatique, engager la bifurcation énergétique, etc., on doit absolument s’attaquer aux fondements du système. On ne peut donc pas avoir d’écologie digne de ce nom sans s’attaquer aux causes, à savoir le système de production et de consommation. Ceux qui se disent écologistes, mais ni de gauche ni de droite sont à cet égard les idiots utiles du capitalisme vert.

Peut-on réellement parler d’un nouveau paradigme ? Les textes fondateurs de l’écologie politique semblent s’inscrire dans l’esprit des 18 thèses de l’écosocialisme…

Il y a une filiation très claire avec certains fondateurs de l’écologie politique des années 1970 (notamment André Gorz), mais également avec la déclaration internationale de Belem sur l’écosocialisme de 2009. Comme nous le précisons dans le manifeste, on n’est pas en train de réinventer l’eau chaude ! Par contre c’est la première fois qu’on redéfinit cette pensée politique à l’aune des nouveaux défis écologiques du XXIe siècle, notamment la question du réchauffement climatique, dont on avait encore peu conscience quand fut théorisée l’écologie politique. C’est surtout la première fois qu’on donne à l’écosocialisme une ambition majoritaire et gouvernementale. Il était jusqu’ici porté par d’éminents penseurs, mais pas par des partis politiques qui ont vocation à exercer le pouvoir. Notre principal apport est donc d’essayer de donner une visibilité et un impact politique à ce projet qu’il n’a jamais eu jusqu’ici.

Quelles sont, d’autre part, les principales différences avec le mouvement de la décroissance ?

Il y a d’abord pas mal de points communs, notamment du fait qu’une partie du Parti de Gauche (dont moi-même) est issue de l’écologie radicale et de l’objection de croissance. Même si on préfère parler de critique de la croissance à tout prix, nous avons beaucoup emprunté à cette mouvance, notamment l’idée qu’on ne doit pas attendre le retour de la croissance pour partager les richesses. Il y a aussi la critique du choix du produit intérieur brut (PIB) comme indicateur de référence : on sait aujourd’hui qu’il n’est pas synonyme de bien-être, de meilleures conditions de travail, etc.

Notre divergence fondamentale tient surtout à notre rapport aux travailleurs et aux syndicats, ainsi qu’à notre manière de nous adresser au monde du travail. L’industrie n’est pas l’ennemi de l’écologie. Il faut relocaliser plutôt que de délocaliser à l’étranger dans des conditions de production insoutenables d’un point de vue humain et écologique. On aura besoin d’une réindustrialisation en Europe, avec une autre industrie qui pose la question de savoir ce qu’on produit, pourquoi et comment. Dès le début, on a donc eu une approche de l’écologie en lien avec les mouvements sociaux et les syndicats. Ce sont les travailleurs qui mettront en place la bifurcation écologique dans nos sociétés.

Je crois que c’est une grande nouveauté dans la démarche écologique, car, pendant longtemps, il faut bien dire qu’une partie de l’écologie radicale n’a pas franchement œuvré dans le sens d’un rapprochement avec le monde ouvrier. Ils ont même parfois participé d’une crispation, avec d’un côté les méchants salariés de l’industrie qui défendraient leur emploi sans se soucier de la nature, et de l’autre côté les gentils écolos « baba cool » qui défendaient les oiseaux sans se préoccuper des travailleurs. Une de nos réussites est d’avoir remis autour de la table des milieux écologistes et syndicaux qui ne se parlaient plus, et qui sont pourtant réunis par une lutte contre les mêmes oligarques. On le doit en partie au fait que l’on s’est fondé sur le socle social et historique de la Gauche traditionnelle, du mouvement ouvrier.

Quelle est justement la place qu’occupent les syndicats dans votre vision de la transition écologique ? Ne suscite-t-elle pas des réticences de la part d’associations de travailleurs des industries polluantes ?

Il y a encore des résistances, après c’est très divers selon les organisations, les branches et les régions. On peut au minimum se réjouir que le débat soit engagé. Le fait d’avoir cette approche liant écologie et socialisme a permis de lever beaucoup de barrières, et de bien faire comprendre qu’aujourd’hui se battre pour la transition écologique, c’est en réalité aussi proposer de nouvelles formes d’emplois plus pérennes, non délocalisables. Il s’agit notamment d’anticiper de futures suppressions de postes liées au fait que les matières premières ne sont pas inépuisables.

Il faut noter qu’il ne s’agit pas de considérations uniquement écologiques, mais pragmatiques : le pic de pétrole est passé, donc soit on laisse faire le marché, ce qui conduira à des centaines de milliers de suppressions d’emplois dans l’aéronautique, la pétrochimie, l’industrie automobile, etc., soit on anticipe, par la planification écologique. Il faut assurer des formations adéquates, restructurer les filières industrielles, organiser l’accompagnement de la reconversion pour ne pas laisser les travailleurs sur le carreau. Tout cela va dans le sens des intérêts à long terme des travailleurs et de l’emploi.

D’autre part, l’écosocialisme pose la question de la propriété des moyens de production, de l’autogestion, des coopératives, bref, de l’organisation du travail au sein des entreprises. Les travailleurs sont capables de s’organiser pour assurer la production, ils n’ont pas besoin des fonds de pension ni d’actionnaires qui ne servent qu’à ponctionner une part des profits. L’écosocialisme, c’est aussi être favorable à un rapport de production plus favorable aux travailleurs dans le conflit Capital-Travail. Nos idées sont dès lors appréhendées de façon beaucoup plus favorable par le monde du travail que si on était arrivé avec un discours culpabilisateur, assimilant les salariés de l’industrie avec les dégâts causés par cette même industrie.

Les 18 thèses de l’écosocialisme accordent une place importante à la démocratie. En quoi est-ce une spécificité écosocialiste ? On peut en effet imaginer que des débats démocratiques conduisent les citoyens à opter pour un modèle productiviste…

On fait le pari de l’intelligence collective. Si les travailleurs prennent ensemble les décisions du mode de production de l’entreprise, on a plus de chance que cette production aille dans le sens de l’utilité sociale que vers des produits qui vont être vendus uniquement aux plus riches. S’ils avaient le choix, ils préféreraient sans doute produire des outils utiles à la vie courante plutôt que des Rolex, des 4×4, des Yachts, dont ils n’auraient pas eux-mêmes l’usage.

Notre vision de la planification écologique implique par ailleurs la mise en place d’assemblées citoyennes au niveau local qui puissent justement discuter des choix de consommation et de production1. En France, la constitution de comités de bassins, pour la gestion des rivières, qui associent riverains, agriculteurs, représentants industriels, pêcheurs, et autres usagers est à cet égard concluante : par le dialogue, ces comités parviennent à établir un intérêt général, qui n’est pas la somme des intérêts particuliers. Résultat : on a en France un des meilleurs systèmes de gestion des eaux de rivières.

Dans le cadre de la planification écologique, on souhaiterait généraliser ce type d’expérience à une échelle plus large. D’une part parce que c’est un système qui permet de mettre en mouvement la bifurcation écologique, qui ne peut être imposée autoritairement par une poignée de décideurs. D’autre part parce que la démocratie est la condition de la définition de l’intérêt général.

Mais peut-on réellement établir un intérêt général commun en se contentant de donner davantage de pouvoir de décision aux salariés des entreprises capitalistes ? Même si le profit n’est pas capté directement par les actionnaires, les travailleurs pourraient être tentés de poursuivre la logique productiviste…

Il n’a jamais été question pour nous de supprimer l’initiative privée ! Le profit généré par une entreprise qui respecte les travailleurs, l’environnement, et qui revêt une utilité sociale, ne nous pose pas de souci, d’autant moins si elle investit dans l’outil de travail. Mais donner le pouvoir aux salariés de déterminer leurs choix de production et de gestion change la donne : des travailleurs exposés à des produits chimiques dangereux ne continueraient pas à produire de la même manière si on leur laissait le choix. On l’a vu avec l’amiante, on le voit aujourd’hui avec l’agriculture chimique, où les personnes exposées aux produits phytosanitaires développent des cancers…

Ne faudrait-il pas alors définir l’intérêt général au niveau le plus élevé possible, qu’il soit national, européen ou mondial ?

La planification écologique implique bien sûr un cadre précis et des orientations nationales. Prenons par exemple la question du revenu maximum autorisé, qui a fait l’objet d’une proposition de loi des élus Front de Gauche en 2009. À partir du moment où on limite le revenu maximum, un certain nombre de produits de luxe perdent leur sens. Avec un partage des richesses plus important et une fiscalité plus juste, on revient à une consommation qui correspond aux besoins humains, et sur laquelle la production est amenée à s’aligner. Il ne s’agit pas de dire qu’on n’a plus le droit à la beauté et à la futilité, sauf quand c’est sur le dos des travailleurs et des ressources naturelles.

 « Un projet politique positif »

Les travaux menés notamment par le PG autour de la question de l’écosocialisme ont-ils révélé un clivage au sein de la Gauche, opposant les partisans du développement durable aux partisans de l’idéologie du progrès?

Il y a certes des divergences au sein de la Gauche sur base du rapport au productivisme, mais le mouvement écosocialiste est lui-même loin d’être homogène. Il importe de noter le ralliement progressif de segments croissants de la Gauche à l’impératif de transition écologique. Aucun des débats organisés sur l’écosocialisme ne l’a été par le seul PG. Plusieurs forces du Front de Gauche y ont joué un rôle moteur, notamment le mouvement Ensemble, la Gauche anticapitaliste, les Alternatifs ou encore la Fédération pour une alternative sociale et écologique (FASE). On travaille aussi avec une partie de la Gauche d’Europe Ecologie Les Verts (EELV), voire avec certains militants du PS. Des collectifs citoyens et syndicaux sont aussi impliqués. Je crois que l’écosocialisme est davantage facteur de rassemblement que de divergence.

Un des grands absents des débats sur l’écosocialisme n’est-il pas le Parti communiste français (PCF), dont les divergences avec le PG sont patentes sur certaines questions écologiques ?

Comme tous les partenaires du Front de Gauche, le PCF était présent aux Assises. À la dernière fête de l’humanité [NDLR : fête annuelle organisée par l’Humanité, organe de presse historique du PCF] j’ai participé à un grand débat sur le sujet. Si le PCF ne se reconnaît pas dans l’écosocialisme, on se retrouve sur pas mal des « 18 thèses » du manifeste. En réalité, au-delà des querelles de chapelle et des clivages de partis, il n’y a pas de réelles divergences de fond. Nous avons de nombreux points de convergence, que ça soit sur la défense de l’environnement, la réappropriation des moyens de production, ou encore l’autogestion. Il existe toutefois de vrais désaccords politiques qu’on n’a pas encore réussi à dépasser, notamment sur le nucléaire. Cela dit la question fait débat au PCF, où beaucoup de militants aimeraient que le parti évolue sur cette question.

Ces querelles de partis que vous évoquiez n’ont-elles pas pour effet de « pourrir » le débat sur l’écosocialisme ?

Je n’en ai pas l’impression. Depuis un an et demi qu’on travaille sur ce projet, on a présenté le manifeste dans une dizaine de pays différents, on l’a traduit en 8 langues et tenu une cinquantaine d’assemblées citoyennes partout en France sur ce projet. Le vote majoritaire de la motion écosocialiste présentée à Madrid lors du quatrième congrès du Parti de la Gauche européenne (PGE) montre qu’il existe également une dynamique européenne… Les éventuelles dissensions partisanes n’empêchent donc pas la dynamique que l’on ressent. Le fait que le Réseau écosocialiste européen que nous avons lancé à Paris en janvier intègre à la fois des membres du PGE et d’autres partis, dont certains membres des Verts européens, montre aussi que l’audience n’est pas limitée sur le plan partisan. On ne cherche pas à avoir raison dans notre coin, mais à travailler sur un projet politique positif, sur une base large.

Justement, ce vote intervenu à Madrid n’a obtenu qu’une majorité relative. Certaines délégations, pourtant sensibles aux thématiques écologiques, ont précisément rejeté la motion car ils y voyaient la main du Parti de Gauche, et la volonté sous-jacente de renforcer une tendance politique plutôt qu’une autre…

Les considérations partisanes ne sont jamais absentes, mais il faut noter que la motion a été soutenue par des partis comme Syriza (Grèce), Die Linke (Allemagne), le Bloco portugais, l’alliance rouge-verte (Danemark), qui présentent la particularité d’être de jeunes partis et porteurs d’une dynamique dans leurs pays respectifs. Je suis assez confiante sur le fait de pouvoir entraîner progressivement tout le monde. Il faut laisser du temps aux partis historiques d’obédience communiste, qui ont probablement encore des questions internes à résoudre sur le productivisme. Nous respectons ce temps de débat, mais cela ne nous empêche pas de continuer à avancer avec les partenaires qui le souhaitent.

«  La relocalisation, condition majeure pour une réelle solidarité internationale» 

Quittons l’Europe pour adopter une perspective globale. Comment l’écosocialisme tel que vous le concevez concilie-t-il le droit au développement des pays du Sud et l’impératif d’un développement soutenable ?

Ces deux questions ne sont pas contradictoires, mais au contraire intimement liées. Les pays du sud se sont vu imposer un mode de développement au service de notre propre consommation. Dans le domaine agricole, le FMI et l’OMC ont obligé les pays en développement à passer d’une agriculture vivrière à des monocultures intensives destinées à l’export. De même, dans l’industrie extractive, on continue à exploiter les ressources naturelles à notre profit de façon scandaleuse. L’exploitation de l’uranium au Niger pour alimenter l’industrie nucléaire française en offre un triste exemple. La réflexion sur la relocalisation de l’activité et la sortie de la dépendance aux énergies fossiles doit donc être une étape dans la reprise en main par les pays dits du sud de leur destin, afin qu’ils puissent produire selon leurs propres besoins.

Cela implique également une remise en cause des réseaux de production industrielle, rendus possible par une mondialisation libérale qui a fait de certains pays les ateliers du monde. Les ouvriers y travaillent dans des conditions abjectes, comme l’a rappelé l’effondrement d’une usine de textile au Bangladesh l’année dernière. Quand on se dit de Gauche, on ne peut pas continuer à supporter que des produits de notre vie quotidienne continuent d’être produits dans ces conditions épouvantables. La question de la relocalisation est une condition majeure pour une réelle solidarité internationale.

Il faut toutefois pousser le raisonnement jusqu’au bout : pour qu’il y ait relocalisation de l’activité chez nous et dans le sud, il faut un certain nombre de mesures. Le protectionnisme social et solidaire n’a rien d’un repli national : c’est au contraire un outil de coopération et de solidarité. Tant qu’on n’aura pas le courage de désobéir à l’Union Européenne et aux institutions internationales de libre échange, on continuera à cautionner et alimenter cette mondialisation qui fait tant de désastres au niveau social et environnemental.

Sur quelles alliances politiques pensez-vous pouvoir vous appuyer pour porter ce projet ?

Il faut avancer sur nos deux jambes : les urnes et la rue. S’il n’y a pas dans la rue une mobilisation citoyenne et des mouvements sociaux qui soutiennent ces propositions, on ne pourra atteindre nos objectifs en les décrétant d’en haut. C’est pourquoi on prend tant de soin à associer à nos réflexions les associations, les syndicats et les collectifs citoyens. Au niveau électoral, on essaye d’élargir par la base, en partant du Front de Gauche et des organisations qui en font partie. Le programme L’humain d’abord porté par Jean-Luc Mélenchon lors de la présidentielle de 2012 recelait de nombreux points d’inspiration écosocialiste. Nous souhaitons l’élargir vers d’autres groupes, à la Gauche de la Gauche (NPA et décroissants notamment), mais aussi à la Gauche d’EELV et du Parti socialiste, avec lesquels on continue d’avoir des échanges pour leur faire comprendre qu’on est plus fort unis, surtout si on a l’ambition d’incarner une alternative à la social-démocratie pour les prochaines échéances électorales.

Dans cette optique de rassemblement, le terme « socialiste » ne risque-t-il pas de gêner une série d’acteurs ancrés dans les valeurs de Gauche qui ne partagent pas un certain nombre de référents marxistes ?

L’intérêt de l’écosocialisme est justement d’associer l’écologie et le socialisme, et de permettre à des militants, qu’ils proviennent du marxisme ou des combats pour la défense de l’environnement, de s’y retrouver. Il ne s’agit pas de doser les deux composantes pour faire plaisir aux uns et aux autres, mais d’avoir un ensemble cohérent susceptible de fédérer. Durant les nombreuses assemblées auxquelles j’ai participé, j’ai été frappée par la capacité de ce projet à unir des gens d’horizons très divers. Cette dynamique fédératrice est selon moi l’une de nos plus belles réussites politiques.

« Le pouvoir par les urnes, la rue, mais pas par les armes» 

Comment voyez-vous concrètement se dérouler la transition écologique et avec quels acteurs ? On a parlé, tout à l’heure, de la place déterminante des syndicats et des travailleurs dans le projet écosocialiste. Les détenteurs des moyens de production doivent-ils être expropriés, ou peut-on imaginer une forme de compromis de classe ?

La question de la nationalisation est essentielle, mais il ne faut pas confondre étatisation et socialisation. Certains secteurs stratégiques doivent faire l’objet d’une coordination étatique. C’est par exemple le cas de l’énergie ou des banques, pour lesquels doit exister un pôle public. La seule nationalisation est toutefois insuffisante : le fait qu’EDF ait longtemps été un monopole d’État n’a pas empêché l’entreprise de mettre en place le nucléaire de façon totalement antidémocratique. Un déchet radioactif public n’en reste pas moins toxique ! Le contrôle étatique des moyens de production stratégiques est nécessaire, mais pas suffisant. Il faut dès lors une articulation entre le niveau national, garantie de cohérence et d’égalité républicaine, les collectivités territoriales et les conférences de participation populaire au niveau local, qui permettent d’assurer le contrôle citoyen.

Pour la plupart des autres secteurs, on privilégie la socialisation, c’est-à-dire la réappropriation sociale des moyens de production. Il s’agit des Société coopérative et participative (SCOP), des coopératives autogérées, des Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), dans lesquelles les salariés et usagers remplacent les actionnaires. Tant que ces derniers imposeront des taux de rentabilité du capital allant jusqu’à des 15%, on ne pourra avoir de réflexion sérieuse sur l’utilité sociale de la production, sur les réinvestissements nécessaires dans l’outil productif, etc.

La confrontation avec le Capital semble inévitable dans ce contexte…

On est conscients qu’on ne nous déroulera pas le tapis rouge, et que nous serons de fait dans une confrontation de classe. Les premiers mois d’un gouvernement écosocialiste devront être utilisés pour mettre en place le cadre dans lequel cette bifurcation sera possible : la répartition des richesses par une vraie révolution fiscale. La constitution d’un pôle public de l’énergie, qui implique la nationalisation d’EDF, GDF-Suez, Total et Areva, qui était dans le programme du FDG a été minutieusement préparée. On ne planifie pas d’expropriation sans indemnité ni de coup d’état économique et financier. En revendant des filiales étrangères et en réinvestissant cet argent au niveau français, on peut, avec quelques autres astuces boursières, faire en sorte que l’État en devienne 100% actionnaire. C’est possible. L’argent est là ! Il est tout simplement mal réparti et mal utilisé.

Réforme plutôt que révolution, donc ?

Tout dépend de ce que l’on entend par les deux termes. On n’est pas pour une révolte violente et imposée. Nous prônons une révolution citoyenne, comme elles ont pu intervenir par exemple en Amérique latine, où le peuple a repris le pouvoir, par les urnes, par les rues, parfois aussi c’est vrai par les armes. Mais nous croyons avant tout à la force de la loi républicaine, celle qui est déterminée par l’intérêt général et s’impose à tous : la liberté d’entreprendre ne sera évidemment pas remise en cause, mais les entreprises privées devront se conformer à la loi.

Le projet écosocialiste porté par le PG à travers ses 18 thèses insiste sur la volonté de sortir d’une écologie culpabilisante, qui éluderait la responsabilité du productivisme effréné. Ne risque-t-on pas de tomber dans l’extrême inverse, qui consiste à disculper les individus de leur participation à la consommation de masse ?

On part du principe qu’il est plus motivant pour les gens de leur parler de l’importance pour tous de préserver les ressources écosystémiques que de leur dire qu’il faut couper l’eau du robinet quand ils se lavent les dents… Les mini-injonctions culpabilisantes ne font pas changer d’attitude. Beaucoup de comportements polluants sont des comportements contraints : la surutilisation des voitures est liée aux déficiences des transports publics, les incitations à la consommation de masse, mode et publicité, sont présentes partout dans la société. En réalité, la plupart des gens se rendent bien compte que la majorité de la dégradation de l’environnement n’est pas de leur ressort. Si on veut que les gens comprennent que les gestes quotidiens sont utiles, cela doit s’inscrire dans un projet politique plus large. Notre responsabilité de politiques est de mettre en place le cadre, les conditions qui rendent le changement de comportement possible.

1 Voir la proposition de loi sur la planification écologique déposée par le Front de Gauche à l’Assemblée Nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion1991.asp

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