dimanche 1 avril 2012

Chroniques d'un procès pas comme les autres

Vendredi 30 mars, je comparaissais devant le Tribunal pour avoir publiquement soutenu sur mon blog mon camarade Franck Boissier.

Une audience prévue pour durer 30 minutes qui s'est transformée en 4 heures hors du commun, vives et passionnantes, avec un juge extraordinaire et un duo d'enfer avec mon avocate Irène Terrel... J'en suis sortie affamée et épuisée mais fière. On n'a rien lâché.

Récit d'un procès pas ordinaire et d'une justice, pour cette fois, exemplaire. Ça mérite d'être salué.

Délibéré le 4 mai.


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"Les organisations soussignées ne peuvent tolérer un tel comportement, contraire à toutes les traditions militantes."

10h. Je m'installe en terrasse au café des Deux palais, sur l'île de la Cité, en face du tribunal de Grande Instance de Paris. Il fait beau. Je n'avais pas traversé la Seine depuis des mois et cette ville est toujours aussi belle, vue de ses ponts. Je reçois des textos d'encouragement et découvre le communiqué de soutien signé par Act Up-Paris, Convergence Nationale Services Publics, Coordination Nationale des Comités de Défense des Hôpitaux et Maternités de Proximité, « La Santé n’est pas une marchandise », Les Alternatifs, NPA, Résistance Sociale, PCF, SMG, SUD Protection Sociale, SUD Santé-Sociaux, Union Syndicale Solidaires, USP... Épatant.

10h30. Je vois émerger de la sortie de métro une tête connue. Mon camarade du Diois, Gérard Marin, débarque à Paris. Incroyable. Je ne savais même pas qu'il avait prévu de venir ! Gérard est un ancien cheminot, il a fait l'aller retour. C'est aussi lui qui en fin de campagne des régionales me trimballait d'une assemblée à une autre quand il était devenu trop périlleux pour moi de conduire, vu mon état de fatigue. Ravie de le voir ici. Franck Boissier, cité comme témoin, et Julie del Papa qui a organisé mon comité de soutien arrivent eux aussi. Petite pointe mêlée de chaud et de stress.

11h. Après avoir montré patte blanche et être passés par les portiques, on pénètre enfin dans le dédale du Tribunal et on finit par trouver la bonne salle d'audience. Arrivent les camarades du collectif contre les franchises médicales, des amis, Jef Pellissier, élu régional des Alternatifs, des militants du FDG... On se retrouve vite à une quinzaine. L'avocat contradicteur, Me Jouandon, est là. Seul. M Rupcic, son client qui m'attaque en justice, n'a pas jugé bon de venir. Mon avocate, Irène Terrel, arrive avec sa collègue Émilie. Elle sort de son sac un nouveau paquet d'une quinzaine d'enveloppes d'attestation de soutien arrivés ce matin, et qui s'ajoutent aux 120 déjà versées au dossier. En moins de dix jours et en pleine campagne où on est tous surchargés. Sourires aux lèvres (et frémissement intérieur en pensant à tous les remerciements qui m'attendent ;)


"Cette affaire est regrettable"

11h30. Apparemment il est inhabituel d'avoir tant de monde présent pour une assignation en référé. Ça impressionne. Et du coup on nous ouvre la Chambre d'audience au lieu de la petite salle bureau qui devait nous accueillir. Boiseries, une vraie barre en métal pour les témoins, un peu de solennité... La Justice faite salle ;) Le juge aux référés de la 17e Chambre correctionnelle qui va juger mon procès, M. Bourla, arrive. Première impression d'un magistrat calme et posé, qui témoigne respect et bienveillance aux présents. Il introduit la séance en regrettant l'absence de M. Rupcic et en déplorant que des personnes qui partagent la même cause, animés d'un même but et des mêmes valeurs, se retrouvent devant un tribunal. "Cette affaire est regrettable". Je suis bien d'accord.

Me Jouandon tente le renvoi de l'audience en faisant valoir que les conclusions de Me Terrel lui ont été envoyées à un mauvais numéro de fax. Manque de bol, c'est celui qu'il avait indiqué dans l'assignation ! Le juge Bourla lui accorde dix minutes pour en prendre connaissance, Me Jouandon juge ce délai suffisant. Première suspension, j'en profite pour aller discuter un peu avec les camarades dans la salle. L'intro du juge Bourla a détendu tout le monde (sauf Franck qui le pauvre est enfermé dans une salle attenante en attendant de témoigner ;)

Le juge me donne l'occasion de m'exprimer en une déclaration préliminaire. Je regrette à mon tour l'absence de M. Rupcic d'autant que que j'ai fait moi le déplacement de Rhône Alpes, où je devrais être en session plénière en tant qu'élue régionale. C'est la première que je rate en deux ans de mandat, alors que s'y discute au même moment le Schéma régional climat air énergie, dossier que je suis pour le groupe Front de Gauche depuis des semaines. Je précise aussi que j'ai, par deux fois, publié le droit de réponse que me réclamait M. Rupcic et fais donc part de mon grand étonnement à me retrouver là.

On attaque les vices de procédure qui peuvent entrainer la nullité de l'assignation. Je vous passe les détails juridiques : manque d'infos dans l'assignation pour que je puisse correctement me défendre, délai de prescription... Me Jouandon parle dans sa plaidoirie de "caractère militantiste". Diable ! Je retiens un sourire. 


"Toute la vérité, je le jure"

13h15. Après une courte suspension, le juge Bourla décide de nous laisser plaider et ne se prononce pas de suite sur les motifs de nullité. Tant mieux, avec mon avocate on en venait à se dire que ce serait dommage de ne pas pouvoir en profiter pour faire toute la lumière sur cette affaire. Franck est enfin libéré et s'installe à la barre, déclare je le jure en levant le poing - pardon, la main droite. Et on rentre dans la plaidoirie. Je suis attaquée en diffamation, c'est une première car M. Rupcic a jusqu'ici attaqué tous les précédents camarades en contrefaçon, pour avoir publié la photo sur leurs blogs. Moi non, j'ai juste soutenu Franck et refusé de me rétracter en retirant mon billet de blog, au nom de la liberté d'expression et de la solidarité militante. Du coup, en diffamation, on peut plaider, beaucoup plus qu'en droit de la contrefaçon qui ne prend pas en compte la bonne foi. Ni grand chose d'autre d'ailleurs.

Chaque partie présente sa version des faits. En l'absence de contrat écrit, c'est parole contre parole. Nous produisons l'attestation de Jean Luc Gibelin, responsable santé du PCF, qui n'a pas pu être présent mais tient à affirmer son soutien et à rappeler qu'un contrat oral et moral liait M. Rupcic et le collectif contre les franchises médicales pour une diffusion large du visuel de la campagne.


"N'hésitez pas à occuper la place"

13h30. On doit laisser la chambre d'audience qui est prise pour d'autres affaires. Déménagement dans la bonne humeur et un joyeux bazar dans la petite salle bureau qui nous était réservée. On ramène des chaises, on s'entasse, le juge Bourla invite chaleureusement tout le monde à s'installer confortablement sur les tables, par terre : "N'hésitez pas à occuper la place". Yeux écarquillés, on se regarde tous, on n'en revient pas, sourires aux lèvres.

Me Terrel mentionne une directive européenne qui stipule que les contrefacteurs de bonne foi ne devraient être requis que du montant des éventuels bénéfices réalisés. C'est bien la première fois que je suis aussi contente d'une directive de cette Union européenne ! ;) Elle rappelle aussi que M. Rupcic a l'attaque sélective : il assigne la petite association de malades de la cornée Keratos, sérieusement mise en difficulté de ce fait, mais en revanche laisse sa photo libre de droits militants sur le site FlickR ou sur celui du plus puissant PCF !


"Et en ce moment même, au TGI de Paris, notre camarade Corinne..."

15h. De fil en aiguille, et face à la mauvaise foi qui se dévoile dans cette affaire, je m'échauffe. Surtout quand on réalise que M. Rupcic et son avocat ont "omis" de verser au dossier le billet de mon blog attestant de l'insertion du droit de réponse en bonne et due forme ! En somme, je suis attaquée sur un motif qui est réglé, au moment de l'assignation, depuis trois mois. Et mise en cause en tant qu'élue pour ma "légèreté blâmable". Où est le préjudice ? Qui porte tort à qui dans cette histoire ? Je rappelle que je n'ai jamais traité qui que ce soit d' "escroc" comme le sous entend Me Jouandon, que j'ai moi même animé une galerie d'art contemporain et respecte le travail des artistes photographes, ça n'a rien à voir ! Nous plaidons la "légitimité du but" et l' "absence d'animosité" : mon courrier n'avait aucune intention de nuire à M. Rupcic que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam, mais bien de soutenir mon camarade Franck. Et je me retrouve en procès, en pleine assemblée plénière à la Région, en pleine campagne. Une pensée pour ma camarade Elisa Martin à qui j'ai confié le soin de présenter à ma place notre vœu FDG contre la criminalisation des activités associatives et syndicales, et qui le fera en soulignant que je suis au même moment en procès pour avoir soutenu un camarade... Quelle ironie !

Communiqué de presse FDG plénière Rhone Alpes de mars 2012 (pdf)


"Qu'au moins cette triste affaire serve à d'autres"

Je bous, je prends la parole et rappelle la chronologie exacte des faits sur mon blog. Sur ce point du droit de réponse, Me Jouandon abandonne et "s'en reporte" à la décision du juge. Me Terrel met en avant l'abus de droit qui s'apparente là à du harcèlement de la part de M. Rupcic, d'autant que sa demande d'aide juridictionnelle ne portait que sur ce droit de réponse, et pas sur la diffamation. Aurait elle été rajoutée après coup, voyant que le droit de réponse était conforme ? Permettant du même coup opportunément de suspendre le délai de prescription -de trois mois- sur la diffamation ? Et pourquoi la deuxième mise en demeure, datée du 1er décembre, mentionne t elle des conclusions rendues publiques le 2 décembre, et ne me parvient que le 22 du même mois ?

Dates inexactes, pièces manquantes, accusations infondées et retirées... Ça commence à faire beaucoup. Me Terrel demande 2000 euros de dommages et intérêts. Si on gagne, ils iront aux victimes de M. Rupcic, je m'y engage. Le juge Bourla me donne le mot de la fin. Je conclus sur le souhait que cette pénible affaire serve à d'autres, qu'au nom de l'intérêt général, la solidarité militante puisse continuer à s'exercer librement et qu'on n'ait pas, dans le futur, à dresser des contrats certifiés en trois exemplaires pour monter des campagnes militantes. Verdict le 4 mai.

15h30. On ressort tous de là étourdis et heureux. Heureux d'avoir saisi un moment de justice exceptionnel, de s'être rencontrées avec Émilie et Me Terrel, de s'être tenu chaud entre camarades, de ne pas avoir cédé à l'intimidation, d'avoir enfin, on l'espère, été utiles à d'autres. Et on se donne rendez vous avec cette belle équipe pour des combats futurs. Yalla.

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