vendredi 20 avril 2012

Debout, les damnés de la Terre. C'est l'An 01 !

Voilà, ce soir minuit, rideau pour quelques heures, code électoral oblige.

Alors, en guise de dernier encouragement pour dimanche, je vous livre ce petit brin d'utopie.

Il est à vous... Faites le fleurir :)



Illustration
Miss Tic

corinne morel darleux sarkophage on change tout (pdf)


Debout, les damnés de la Terre. C'est l'An 01 !

par Corinne Morel Darleux, publié dans « On change tout ! » - Hors Série du Sarkophage - avril 2012
Secrétaire nationale à l'écologie du Parti de Gauche, Conseillère régionale Rhône Alpes
Dernier livre : « Nos colères fleuriront », en deux tomes aux éditions Bruno Leprince (mars 2012)


La colère monte. On en a suffisamment démonté les ressorts dans la gauchosphère radicale. Le consumérisme élevant l'accumulation matérielle au rang de loi à grands coups de publicité, générant des besoins jamais rassasiés. Le creusement des inégalités sociales produisant souffrance et frustrations. Le productivisme exploitant les ressources naturelles jusqu'à plus soif. La mondialisation à l 'œuvre, libérale et liberticide. Le besoin de baisser les coûts de main d’œuvre pour répondre à la pression actionnariale, le dumping social et la délocalisation des émissions de gaz à effet de serre. La planète est essorée. Les peuples grondent. Contre l'oligarchie, les puissants, la finance, l'Europe libérale. Parfois le climat, la pollution, le nucléaire, les gaz de schiste. Partout contre les conditions de travail, le chômage, les fins de mois qui arrivent de plus en plus tôt. La difficulté à se loger. Une certaine « classe politique » qui les méprise. Ceux qui nous expliquent à longueur de colonnes et d'ondes radios qu'il n'y a pas le choix. Qu'il va falloir se serrer la ceinture, que chacun fasse des efforts. Acheter français, prendre le tram, se chauffer moins, manger des fruits et légumes (bio), mettre de côté pour la retraite, travailler plus, prendre moins de médicaments, couper le robinet en se lavant les dents. Allez les français, que Diable ! Puisqu'on vous dit qu'il n'y a pas d'alternative... Ben si. Des alternatives il y en a. Pour relancer l'activité en sortant du mythe de la croissance économique à tout prix, redistribuer les richesses sans attendre, et préserver l'écosystème. Ça s'appelle L'humain d'abord. Ses outils : la révolution citoyenne et la planification écologique.

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En 1970, Gébé lançait un formidable projet d'utopie collective : L'An 01. On arrête tout, on réfléchit et c'est pas triste. En 2012, à nous. Jouons aux gamins, à « on aurait dit que... ». Que les outils de production seraient maintenus en l'état et ne fonctionneraient que pour produire ce dont on a besoin, ou envie. Mais une vraie envie, pas celle dictée par les magazines de mode. On dirait que chacun serait invité à jeter sa clef par la fenêtre. Tout serait à tous, de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins. On réapprendrait à prendre le temps de lire et de sourire à son voisin. Juste en faisant un pas de côté et en redécouvrant que la vie est belle. Nous avons tout pour vivre bien. Et le bonheur est contagieux. Il nous manque un déclic, un brise cadenas, une étincelle qui redonne espoir et fasse germer l'idée que oui, après tout, c'est peut être possible. Pas facile, pas immédiat, certes. Mais possible, déjà. L'utopie devient réelle lorsqu'elle est tentée. Alors cherchons les prémisses du futur dans le présent. Essayons.

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Pendant les dix huit mois qu'a duré l'assemblée constituante, après que le nouveau Président a jeté les clefs de l’Élysée dans la Seine, on a beaucoup débattu d'une nouvelle politique industrielle, pour produire au plus près de là où on consomme. Garder un droit de regard citoyen sur l'impact environnemental et l'utilité sociale de la production. Se demander de quoi on a besoin - ou vraiment envie - et comment on le produit. Yachts, Rolex et écrans plats ? Wagons, livres et huile d'olive ? Et redonner une voix à chacun sur les décisions qui l'engagent en développant les formes coopératives. Au fil des débats les citoyens se sont repassionnés pour la mécanique et le bricolage, ils ont voté la fin du tout jetable et instauré le droit à réparer. Dans certaines villes sont nés des ateliers communaux où l'on trouve désormais outils et conseils d'artisans. Certains sont même munis de ces nouvelles imprimantes 3D dont on commence à parler de plus en plus, les « fab-labs »...

Nous sommes sortis de l'ère des chasseurs – cueilleurs, et de celle qui avait suivi du producteur – consommateur. En redisant que nos partisans, ouvriers et paysans étaient beaucoup plus que cela. Pour peu qu'on leur laisse le temps de s'en apercevoir et de laisser s'épanouir talents, rêves et envies. On est repartis du principe que les conditions matérielles d'existence déterminaient la capacité de chacun à s'engager dans la collectivité et à s'émanciper. Comme le disait une députée de la Constituante : « Allez demander à quelqu'un de militer en plus de ses heures de boulot, de prendre le temps de savourer une symphonie ou de se lancer dans un pavé de Duong Thu Huong quand il a trimé 8 heures au boulot. Ou même 7. Et que la seule question qui le taraude n'est pas de savoir si il enfile un pull pour baisser le chauffage mais quand on va le lui couper pour impayés ! ». Alors on a instauré un droit universel de tirage sur les services publics et les 20 heures de travail hebdomadaires. On a régularisé les sans papiers et assoupli la législation pour que chacun puisse avoir plusieurs activités. Ouvrier le matin, journaliste l'après midi. Écrivain la nuit, paysan le jour. Médecin et poète. Citoyen toujours.

La Constituante ayant acté que chacun devait pouvoir accéder au minimum pour une vie décente, l'eau et l'énergie sont devenues gratuites pour les besoins de base : prendre une douche, faire cuire des ravioles, dormir au chaud. On a nationalisé les multinationales de l'énergie et de l'eau et voté par référendum à 72% la sortie du nucléaire. Les travailleurs sont maintenant à pied d’œuvre pour organiser le démantèlement des centrales, les chercheurs en ébullition sur la gestion des déchets. Tout le monde s'y est mis et décline le grand Plan National Énergie 2020 sous la houlette des comités Negawatt qui se sont mis en place un peu partout, couplés aux assemblées citoyennes. Et ça marche. Déjà moins 20% de consommation d'énergie au niveau national. On tient les objectifs de division par 4 de nos émissions carbone et la presse annonce de nouveaux progrès sur le stockage des énergies alternatives.

Chaque année des entreprises fermaient, délocalisées vers des pays où la misère et l'absence de droit du travail et de législation sur l'environnement rendaient la production moins chère. On a trouvé dans les files de Pôle Emploi des hectogrammes de cerveaux, de bras, de tripes de motivation, de savoirs et de qualifications. Des travailleurs, chercheurs, ingénieurs, ouvriers qui étaient prêts à reprendre ces entreprises, à les faire tourner. Pas pour un actionnaire qu'ils n'avaient jamais vu et ne verraient jamais. Mais pour eux, pour leur famille, pour les collègues, le pays. Au service de l'intérêt général. Sans se tuer au travail, sans perdre sa vie à la gagner. En étant fiers de ce qu'ils produisent et des conditions dans lesquelles ils le font. On est allés les voir et on leur a dit que l'écologie n'était pas l'ennemi de l'industrie, bien au contraire. Et qu'on avait besoin d'eux. Parce qu'on aurait toujours besoin de vélos, de fourchettes et de pantalons. Et que les fabriquer à l'autre bout du monde dans les sweatshops des pays où les enfants travaillent et où on n'a pas le droit de se syndiquer, pour leur faire parcourir le tour du monde avant de finir dans nos placards et nos frigos n'avait aucun sens. Ni socialement, ni environnementalement. Ni ici, ni là bas. Ils savaient déjà tout ça, ils se sont retroussé les manches.

Chaque année, des jeunes qui voulaient devenir médecins étaient recalés. Nous avons décidé d'augmenter le numerus clausus avec une forte incitation à exercer en territoire rural les premières années. A peine cinq ans après, on voit revenir l'idée de médecins de famille. Certains ont même pris goût à la vie à la campagne. Ils y ont eu des enfants qui vont à l'école publique du village. Plus tard ils auront envie de monter un club de Go ou d'organiser des bals rock. L'un s'engagera comme pompier volontaire, l'autre ira plonger ses mains dans la terre. Ils auront envie de se retrouver autour d'un verre en fin de journée, et qui sait ? Peut être même de monter une liste d'alternative citoyenne aux municipales...

Nous avons relancé un service public unifié du rail, comme on l'avait déjà fait après guerre, après avoir décidé d'envoyer au Diable l'ouverture à la concurrence que nous demandait l'Union Européenne. Réouverture de gares, de haltes voyageurs, et les remorques de camions sur les wagons. Avec la nouvelle planification urbaine, ça nous a permis de commencer à redynamiser les territoires ruraux, de rééquilibrer la taille des villes en stoppant la monstruosité des mégapôles urbains et en peuplant les déserts. Grâce aux sommes débloquées par l'abolition des privilèges fiscaux et le revenu maximum autorisé, on a pu redévelopper les services publics de proximité. Écoles, antennes de préfecture, petits tribunaux de justice, théâtres municipaux, bureaux de poste, dispensaires publics ont refleuri un peu partout. Et les citoyens ont suivi. Tous ceux qui en avaient assez de la grande ville sont venus grossir les rangs des néo ruraux. Ceux des villes ont pu repenser l'urbain et se réapproprier l'espace public. Ils se sont réunis, partout, en assemblées citoyennes de quartier, de village, d'usine. A 1.000, on peut se réunir et débattre. A un million, non.

Chaque année des jeunes qui voulaient devenir paysans ne trouvaient pas de terres abordables. Avec la préemption publique des terres, le redécoupage et les nouvelles aides, ils sont devenus fermiers de famille et partagent leur temps entre les ceintures vivrières qu'ils cultivent et les jardins communaux où ils conseillent tous ceux qui ont envie de s'y mettre. On n'a plus à importer ce qu'on mange. Et on sait ce qu'on mange.

Depuis quelques mois, le changement devient concret et visible. La « new French revolution », comme on l'appelle désormais intrigue et commence à se propager. Selon le nouvel indicateur qui a remplacé le PIB, l'Indice de Progrès Humain et Écologique, il n'a jamais fait aussi bon vivre au pays. Et partout dans le monde d'autres peuples reprennent espoir et suivent le même élan. Fiers, libres et heureux.


" Je veux que l'immense majorité, la seule majorité : tout le monde,
puisse parler, lire, écouter, s'épanouir.
    Je n'ai jamais compris la lutte autrement
que comme un moyen d'en finir avec la rigueur.
J'ai pris un chemin car je crois que ce chemin nous conduit tous
à cette aménité permanente.
    Je combats pour cette bonté générale, multipliée, inépuisable. “

Pablo Neruda, poète chilien
(J'avoue que j'ai vécu, 1974)

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