vendredi 13 juin 2014

Réconcilier emploi et environnement, sortir des débats d'un autre temps (Ecorev)

Ecorev41.jpgAprès lui avoir laissé le temps de vivre sa vie de papier en kiosque et via internet, je publie avec un petit décalage dans le temps cette contribution que m'avait demandé l'équipe de la revue Ecorev, parue dans le n°41 au Printemps 2014.

Réconcilier emploi et environnement, sortir des débats d'un autre temps.

Trop longtemps l'écologie a été opposée à l'industrie, et l'emploi à la préservation de l'environnement. Il est temps d'en finir avec ce clivage d'un autre temps pour passer à la suite, la construction du projet écosocialiste.

Industrie : ne pas se tromper de combat.

Dès lors que l'on prend le temps d'aller au-delà de l'analyse superficielle sur le désastre environnemental, il apparaît clairement que l'industrialisation forcenée, puis la pression actionnariale et la mondialisation des échanges, portent une large part de responsabilité dans le dérèglement climatique et la catastrophe écologique. De ces trois facteurs, il serait absurde de ne garder que l'industrie comme ennemi. Bien sûr elle est à repenser, mais elle est au contraire la seule des trois à conserver : quelle que soit la bifurcation écologique de la société on aura toujours besoin de produits manufacturés, de vélos, de fourchettes et de s'habiller. Les deux autres leviers de saccage de l'environnement en revanche - pression actionnariale et mondialisation libérale – sont eux dépourvus de toute utilité sociale, alimentent la division du travail et le dumping social, et génèrent des pollutions à la fois par les modes de production et par les transports de marchandises induits. Ils doivent être combattus puis éliminés.

Ce qui nous amène tout naturellement à repenser en profondeur (le « produire autrement ») une industrie fondée sur la relocalisation de l'activité, sur une empreinte écologique tendant vers la neutralité et des modes de décision coopératifs intégrant de nouveaux droits pour les salariés. Comme nous le disons souvent, si c'est pour passer d'une usine de camions à de la production d'éoliennes tout en gardant les mêmes processus de décision dominés par les intérêts à court terme de rentabilité et avec des modes de gestion soumis aux diktats des fonds de pension, ce n'est plus notre projet.

Il nous faut enfin, et de manière simultanée, imaginer des mécanismes de protectionnisme solidaire, basé sur des critères sociaux et environnementaux, comme une taxe kilométrique aux frontières, qui bénéficieraient à tous les pays en favorisant leur développement endogène et en contribuant à rétablir la souveraineté des peuples à décider de leur avenir. Cela implique naturellement de mener bataille sans hésiter contre les directives libérales de l'Union européenne en assumant d'y désobéir, et de combattre fermement les accords de libre échange comme le « grand marché transatlantique » sur lequel la Commission européenne vient d'ouvrir les négociations avec les États Unis.


Militer pour l'écologie aujourd'hui, c'est défendre les emplois de demain.

Car le dérèglement climatique n'est pas une vision de l'esprit ni un sujet de discussion de salon pour citadins issus de la petite bourgeoisie. Il a des conséquences sérieuses sur l'économie. L'apparition nouvelle de maladies tropicales dans des régions du Nord qui en étaient jusqu'ici préservées, les phénomènes de migration végétale et leurs impacts sur la viticulture par exemple, la multiplication des épisodes climatiques extrêmes..., ont un impact sur l'agriculture, le tourisme, et de manière plus générale, sur le développement économique de nos territoires. De même pour la raréfaction de certaines ressources naturelles : un baril de pétrole installé durablement à un prix de 150 dollars produirait une destruction massive de 100.000 emplois dans l'industrie automobile d'ici 5 ans. Voilà qui devrait nous convaincre de la nocivité du laisser faire, de l'aveuglement et du déni.

A l'inverse, de nombreux besoins en termes d'activité ne sont pas couverts aujourd'hui, notamment en matière de bifurcation écologique : recherche publique sur l'efficacité énergétique, formation qualifiante dans les métiers de l'éco-construction, expertise de démantèlement des centrales et gestion des déchets nucléaires, structuration de filières industrielles dans les énergies renouvelables, infrastructures de frêt ferroviaire et fluvial, amélioration de la qualité sanitaire et gustative de l'alimentation... Ces besoins représenteraient, selon les estimations les plus courantes, de l'ordre d'un million d'emplois potentiels d'ici 2020. Rien que dans le développement de l'agriculture paysanne, les besoins ont été chiffrés à 400.000 emplois. Pour la transition énergétique, sur la base du scénario développé par Negawatt, ce sont 630.000 emplois qui seraient créés d'ici 2030.

Voilà qui devrait nous convaincre de l'importance de planifier la conversion de l'outil industriel, d'accompagner la requalification des salariés, de réorienter les aides dites de compétitivité vers la recherche publique, la formation professionnelle, de garantir maîtrise publique et contrôle citoyen sur les filières industrielles stratégiques, de planifier la transition écologique, et enfin de sauver ce qui peut encore l'être en matière d'environnement et de climat afin d'en limiter les dégâts.


L'écosocialisme, un projet pour « réconcilier biodiversité et société » (selon le titre de l'ouvrage de Cynthia Fleury).

Loin d'établir une hiérarchie entre la Nature et l'Humain, entre l'environnement et le social, l'écosocialisme considère au contraire leur inter-dépendance et propose un projet de société qui concilie à la fois progrès en matière de réponse aux besoins humains - émancipés de l'aliénation publicitaire - et défense de la biosphère dans laquelle ces besoins peuvent s'accomplir. Il y parvient en combinant le meilleur de la tradition socialiste d'émancipation et de répartition des richesses, l'internationalisme dans sa vision égalitaire des droits des peuples et de leur souveraineté, et enfin l'écologie politique comme grille d'analyse du système productif et de son rapport à l'environnement. Pour conjuguer justice sociale et arrêt de la destruction méthodique et systématique de nos écosystèmes, il inverse la logique de l'offre et du productivisme en repartant de la question des besoins fondamentaux, et permet de redonner toute leur place aux nouvelles théories économiques hétérodoxes des atterrés du libéralisme. Ce faisant, il permet de répondre à l'ensemble des injonctions de justice sociale et de sauvegarde des écosystèmes, non pas contradictoires en définitive, mais en revanche de plus en plus pressantes.

Ce projet écosocialiste a de quoi prendre racine et croître sur le terreau des alternatives concrètes déjà existantes en matière de démocratie directe, d'économie sociale, d'agriculture biologique et locale, de développement des communs et des savoirs libres. Il peut bénéficier de l'appui des réseaux de lutte et de résistances qui se sont développés tout autour de la planète contre la marchandisation de la vie et le comportement prédateur de l'oligarchie économico-financière. C'est un projet partagé dans de nombreux pays, susceptible de fédérer une nouvelle Internationale pour se libérer de l'emprise des marchés et inventer de nouveaux espaces de coopération qui ne soient plus fondés sur l'oppression et le pillage des peuples du Sud via l'extractivisme et les délocalisations, mais sur le respect mutuel et la conscience partagée d'un intérêt général humain. Enfin, c'est un programme réaliste et chiffré, comme nous l'avons démontré par notre contre-budget qui permet, dès la première année, de dégager 130 milliards d'euros d'investissements et ainsi de financer une politique volontariste de rupture.

Nous avons le projet, nous avons le programme avec la planification écologique, nous savons où trouver l'argent, nous avons la volonté. Reste à mener la bataille culturelle pour décoloniser l'imaginaire et finir d'enterrer le « TINA » (There is no alternative) de l'austérité avec ses instigateurs, Ronald Reagan et Margareth Thatcher. Qu'ils reposent en paix.

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