Le soleil est revenu ce matin, radieux. Après avoir fait le tour
du cadran j'ai pu m'attaquer doucement aux rues de Tokyo en quête
d'un petit-déjeuner.
Déjà hier soir, ressortie pour dîner, j'ai fait l'expérience d'être affamée dans une ville sans aucun repère ni de où, ni de quoi manger. Je suis partie au hasard des rues, guettant les devantures à lampion. Suis entrée dans un lieu qui ressemblait, au hasard. Et au hasard, j'ai commandé. Mal... Rattrapé in extremis par une charmante japonaise qui parlant un peu anglais m'a conseillée. J'avais pris un plat d'accompagnement, sans nouilles, dans un restaurant de nouilles. Notez, elle m'a recommandé un plat de riz. Mais c'était délicieux. Pour le dessert, j'ai choisi le mode épicerie et suis allée me faire un échantillonnage personnel. Au hasard toujours, guidée par les rayons, les couleurs. On ne retrouve pas les codes alimentaires auxquels on est habitué ici, et j'aurais aussi bien pu me retrouver à mâcher du savon. Mais non. Le premier petit paquet renfermait une sorte de perle coco, bingo.
Dans le hall de l'hôtel m'attendaient en
rentrant un charmant fax manuscrit de bienvenue de Makoto-san, mon
hôte pour la conférence de samedi au PRIME, ainsi qu'un chaleureux
message de bienvenue du Parti communiste japonais (PCJ) désolé du
mauvais temps par lequel j'étais arrivée. Des attentions
appréciables quand on débarque en terre inconnue. Et de nouvelles
propositions de rencontres : un déjeuner avec Makoto-san et ses
collègues, un rendez-vous avec Akira Kasai, parlementaire du Parti
communiste japonais (PCJ) qui m'accompagnera ensuite au rassemblement
anti-nucléaire devant l'Assemblée nationale qui a lieu chaque
vendredi. Enfin, une autre rencontre lundi au siège du PCJ avec la
"Policy commission" pour discuter des Abenomics,
ces mesures très libérales et
liberticides prises par le gouvernement de M. Abe. Mon agenda se
remplit, d'autant plus heureuse de cette journée libre dans
Tokyo, que je m'étais conservée en prévision du décalage horaire.
J'ai bien fait, mes neurones ne sont pas tous totalement remis.
Petit déjeuner, donc. J'ai fini par me
résigner, la faim au ventre, à entrer dans un bistrot et à prendre
un bol de nouilles avec un tempura de légume. Foin de chouquettes,
puisque nous sommes au Japon ce sera à la japonaise. Tout de même,
au réveil c'est un peu rude. Mais ça tient au corps, et avec la
marche et le froid c'est un atout non négligeable. Cela m'a permis,
pour commencer cette longue journée de marche à pied dans des rues glacées malgré le soleil, de longer les rails jusqu'à la gare de Tokyo. Sous la
voie ferrée, des échoppes, bistrots et vide-greniers côtoient les
gratte-ciels surgis de l'autre côté de la rue. C'est un lieu
commun, mais de fait c'est vrai. Le Japon, au carrefour de la
modernité et de la tradition...
Une pause de temps en temps dans une
Smoking area, puisqu'à Tokyo on n'a pas le droit de fumer dans la
rue en marchant. En revanche, à l'intérieur on peut. La plupart des
chambres d'hôtel sont fumeurs, et c'est pareil dans les cafés et
restaurants où je me suis réfugiée régulièrement pour consulter
mes plans. Une précision tout de même, pour éviter de passer pour une déboussolée : à Tokyo les rues n'ont pas de noms. Elles sont désignées
en sinogrammes, suivies de numéros indiquant les blocs et le nombre
de croisements. En gros. Autant dire que pour se guider c'est assez
peu pratique. Alors je me suis consolée en voyant que les japonais
avaient l'air aussi perplexe que moi devant les plans dans le métro,
et ai décidé de partir le nez au vent.
Rien de plus facile à dire
Et de plus difficile à faire
Que de lâcher prise
L'écosocialisme est aussi fait de buen vivir... mais Diable, comme il est à la fois dur et bon
d'accepter de perdre ses repères et de lâcher prise, de ne pas
essayer de déchiffrer un plan à tout prix, de choisir un plat au
feeling sans savoir ce qu'on va manger. Finalement c'est aussi ça
qui est beau, ce décadrage où l'on s'en remet au hasard. Où l'on cesse de résister, où l'on renonce à prendre l'initiative, pour se laisser porter par les événements... Et puis, à la fin de la journée, se rendre compte qu'on a déjà
intégré deux-trois codes, de quoi prendre le métro, faire quelques
courses et rentrer sans se perdre. Et en être toute fière.
L'accueil que l'on rencontre partout ici aide beaucoup. Même sans se comprendre d'un mot, il y a une bienveillance et une hospitalité qui mettent instantanément à l'aise la touriste la plus empêchée. Dans un café où je traînais, mon café depuis longtemps avalé, au lieu de me regarder de travers on m'a apporté un thé. Et ce midi, victoire, j'ai trouvé un restaurant de sushis, où j'ai reconnu près de la moitié des aliments servis. Me suis juste fait avoir par la crème au œufs, que je me gardais pour le dessert, et qui renfermait de surprenants mais délicieux champignons.
Après m'être perdue dans la gare de
Tokyo - qui constitue probablement le plus grand centre commercial
qu'on puisse imaginer, sur plusieurs niveaux, avec une rue intérieure
entièrement dédiée à mille sortes de chocolats – je suis allée au Palais
impérial. Un parc en réalité, puisque du Palais il ne reste que
des pierres et des douves... Entouré d'immeubles géants. Puis
direction le Meiji-Jingu, mon premier temple au Japon. Après avoir longé une allée bordée de barils de saké, offerts en hommage au couple impérial, à l'entrée on se rince
les mains et la bouche à l'eau – gelée à cette période de
l'année – avant d'arriver dans un lieu vaste et à l'ambiance
joyeuse et familiale qui évite de se sentir intimidé.
Ici les
rituels sont simples et conviviaux. De petites échoppes permettent
d'acheter des offrandes en tissu, chacun peut laisser un message sur
un petit support en bois qui va ensuite s'accrocher à ceux déjà
laissés. On tire sa bonne chance et des poèmes, écrits par
l'Empereur Meiji ou l'Impératrice Shoken, qui ont pour but
d'inspirer un sens particulier à sa journée. Le mien me
recommandait de laisser mon cœur large et ouvert comme le ciel bleu...
Après ce joli moment de spiritualité j'ai fait le grand écart dans le coin bruyant et animé de Shibuya. Le quartier Tokyo-like, celui auquel on pense quand on imagine cette ville.
Néons, écrans géants, love hotels, musiques à fond,
jeunesse débridée et stylée. J'en ai profité pour m'acheter les
fameuses crèmes dévolues au layering japonais. Oui. L'acculturation
passe aussi par les soins de beauté.
... Et donc là je me rends compte en levant les yeux que ça fait une heure que j'écoute une émission télévisée sur la paille et la corde tressée. Je trouvais ça bien calme, aussi.
La prochaine fois je regarderai Lost in translation différemment je crois, avec un regard joliment éclairé.