mardi 16 septembre 2014

Il était un maraîchage bio... sauvé par la solidarité - Chronique Reporterre - Saison 1 Episode 1

CHRONIQUE - Il était un maraîchage bio... sauvé par la solidarité

Publiée sur Reporterre le 10 septembre

Parce que le discours politique doit être irrigué de parcours singuliers et d’expériences vécues, sous peine de se transformer en formules vides de sens, cette chronique se veut le reflet du local et de l’humain, et se fera l’écho d’un lieu où se vit l’écologie concrète.

Voici l’histoire du village de Saint Roman, dans la Drôme, où un mouvement de solidarité local et spontané s’est lancé cet été pour aider un maraîcher bio à bout de souffle...



- Corinne Morel Darleux -

Le « terrain », c’est un hectare et demi de maraîchage bio à Saint Roman dans le Diois, autour duquel gravite un petit groupe d’amis qui concentre à lui seul pas mal d’expériences, de tranches de vie, et d’écologie concrète. Alors quand Reporterre m’a proposé de tenir une chronique mensuelle, j’ai eu envie de raconter leur histoire.

Parce que ce sont ces parcours, ces singularités et leurs anecdotes qui doivent irriguer le discours politique. Parce que quand on parle des difficultés du monde paysan, de la pollution des rivières ou du bétonnage des terres, ce ne sont pas juste des formules : il y a des vies derrière. Et parce que des communiqués, analyses plus ou moins brillantes et commentaires de l’actualité il y en a déjà plein partout et ce n’est pas toujours très réjouissant.

Alors cette fois j’ai eu envie de montrer cette face du quotidien, du local, de l’humain. Des chroniques du Diois, en mode local, qui illustrent et incarnent les problématiques globales.

Die, Drôme. Ce n’est pas tout à fait le Paradis ici, mais pas loin. Avec une pincée d’écosocialisme ça pourrait le devenir rapidement. La vallée, au pied du Vercors, possède tout ce qu’il faut de terres agricoles, de forêts et d’eau : la Drôme, une des dernières rivières sauvages d’Europe. Avec un zeste d’esprit de résistance hérité du maquis, qui fait de Die, selon la rumeur, un des lieux témoins de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure) pour prendre la température du pays.

Depuis six ans que j’y suis installée, je n’ai cessé de parcourir la France entière sans avoir vraiment le temps de m’y poser. Notre arrivée ici n’a précédé que de quelques semaines la création du Parti de Gauche, en novembre 2008. J’étais partie cultiver mon jardin, je me suis retrouvée à courir de train en train.

Solidarité locale

Mais cet été j’ai fait un pas de côté, et des tribunes politiques je me suis retrouvée à quatre pattes dans les champs, à la cueillette des haricots verts, des cœur-de-bœuf et des poivrons, à discuter humus et révolution. Parce que cet été le grand Guillaume, notre maraîcher, a été obligé de faire une pause vitale et de suspendre l’activité. Stoppé net.

Trop de soucis financiers, de pression accumulée, plus assez de cette envie engloutie dans les pannes de matériel et dans cette terre lourde et ardue. Alors on s’y est tous mis. Pour faire mentir les statistiques, parce qu’il fallait assurer la saison, pour Guillaume, pour l’exploitation.

Parce que la plupart d’entre nous n’étant pas agriculteurs, mettre les mains dans la terre quelques heures par semaine ça nous faisait marrer. Parce que quand tu n’es pas seul à creuser le sol, quand ce n’est pas le métier dont dépend ta survie, quand tu peux t’arrêter au bout de trois heures, le dos déjà cassé, ça peut rester du bonheur.

Du jour au lendemain, un Doodle a été créé et des motivés se sont inscrits de partout, naturellement, pour venir prêter la main. Le fermier voisin, une doctoresse, un retraité engagé, une jeune avocate de droit de l’environnement, un loueur de bicyclettes, un groupe de squatteurs, une infirmière, un créateur de bijoux...

Tôt le matin pour ceux qui enchaînaient ensuite avec leur propre activité, par demi-journées, chacun selon ses possibilités. A plein temps, Martin, en stage de projet de reprise chez Guillaume avec un an d’activité avant de se décider. Il s’est retrouvé à superviser le tout, donnant ses indications, envoyant les uns arracher les mauvaises herbes, les autres laver les légumes.

Damien, mi-graphiste mi-ouvrier agricole bénévole avec Guillaume depuis trois ans, a continué de raconter ses blagues entre deux planches de tomates tout en améliorant la plateforme de lavage. Dans les travées ça discutait politique, kolkhoze et solidarité. On a fait une belle saison en refaisant le monde.

Repenser la place des paysans dans la société

Et Guillaume est rentré. En forme. J’ai discuté avec lui ce matin sur le marché. Il a décidé d’arrêter. Cette saison de toute manière c’était la dernière pour lui, celle lui permettant de ne pas avoir la DJA (Dotation Jeunes Agriculteurs, aide financière à l’installation versée par l’État) à rembourser. Elle a failli être la saison de trop. Et finalement, par la magie combinée d’un petit Doodle et d’une grande solidarité, aujourd’hui le terrain est nickel.

Des gens se sont rencontrés, Martin a fait sa formation en accéléré et songe à s’installer. Guillaume de son côté a des pistes pour faire profiter d’autres jeunes agriculteurs de son expérience dans une pépinière, plus bas dans la vallée.

Et moi j’affûte mes idées, et je m’interroge sur les critères de bonification qu’on défend à la Région pour motiver des jeunes à aller s’installer dans les coins les plus durs et les plus reculés. Je m’interroge sur le prix des légumes sur le marché, où on vend une misère les haricots verts qu’on a mis des heures à faire pousser et à récolter.

Je m’interroge sur la chute de la part des dépenses des foyers consacrées à l’alimentation alors que les dépenses de santé ne cessent de s’envoler. Je m’interroge sur la place des paysans dans la société.

Dans un documentaire sur la « révolution verte » forcée à Cuba, il est dit que là-bas ils sont parmi les travailleurs les mieux payés, et socialement les plus valorisés. Ici dans les villages on vend les fermes que plus personne ne veut reprendre. Elles deviennent des résidences pour vacanciers, des lieux qui ne sont habités qu’un mois dans l’année. Et ceux qui nous nourrissent ressemblent de plus en plus à des supermarchés. Heureusement il y a des Guillaume et des Martin. Mais il va falloir les aider...

À suivre...


Source : Corinne Morel Darleux pour Reporterre

Corinne Morel Darleux est coordinatrice des assises pour l’écosocialisme, membre du Parti de Gauche, et conseillère régionale Rhône Alpes. Son blog : Les petits pois sont rouges.

Photos : Corinne Morel Darleux

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