mardi 14 janvier 2014

Pour un revenu de base subversif et révolutionnaire, relancer le débat

arceencielenitalie.jpgDe retour après avoir expérimenté un peu de buen vivir loin des écrans en cette fin d'année, mais cette fois pas de doute, c'est la rentrée. Même si j'espère bien tenir le zen du ralentissement de la dolce vita quelques temps...

Voilà un peu plus de cinq ans que je tourne autour du sujet. En septembre 2008, avant la création du PG, j'avais animé un débat Utopia / Aternatives Economiques sur le revenu universel avec Yoland Bresson, Denis Baupin et Baptiste Mylondo. En janvier 2011, je répondais aux questions du blogueur Seb Musset sur le même sujet (voir également son billet de blog ici). Puis il s'est passé du temps jusqu'à ma dernière interview pour la plateforme "revenudebase.fr", et j'avais envie de revenir sur cette idée. L'occasion m'en est enfin fournie avec cette tribune commune publiée sur Bastamag que j'ai été invitée à co-signer aux côtés d'universitaires et d'élus. C'est aujourd'hui le dernier jour pour signer l'initiative citoyenne européenne, mais le débat en France ne fait que commencer.

Le débat se poursuit aussi au sein du PG. Et ma propre position ne cesse d'évoluer, de se fissurer d'un questionnement salutaire et de s'enrichir du dialogue argumenté. Nous avons organisé un débat avec Paul Ariès et Bernard Friot à nos rencontres "remue-méninges" cet été et des camarades de la commission économie ont développé leur propre proposition de "caisse de solidarité productive". Certes, le revenu de base est loin de faire l'unanimité, certains ayant d'ailleurs de très bons arguments allant plutôt vers une forte réduction du temps de travail, d'autres - dont je suis - penchant pour la DIA (dotation inconditionnelle d'autonomie, qui mixe un apport monétaire et un droit de tirage sur les services publics, écouter par exemple Vincent Liegey ici), ou encore le salaire socialisé que défend le Réseau Salariat. D'autres enfin, c'est clair, ne veulent pas en entendre parler. Mais précisément, quelle que soit l'opinion de chacun, je continue de penser qu'il est essentiel d'en débattre. Parce que, articulé avec un projet politique écosocialiste, c'est un concept révolutionnaire au sens premier.

Raison pour laquelle j'ai diffusé la vidéo d'Arrêts sur images, dont l'émission sur le sujet avec Baptiste Mylondo, Bernard Friot et Michel Husson brosse bien les différents aspects de la question. J'ai déjà eu l'occasion d'échanger avec Baptiste au sein d'Utopia sur le sujet et je me sens assez proche de ce qu'il en dit. Sur le salaire à vie tel que le définit Bernard Friot notamment dans cette émission d'@si, je tique en revanche sur l'idée de 4 niveaux de qualification avec 4 niveaux de salaire, et son explication - si je caricature un peu, beaucoup, trop ? - "tous fonctionnaires". Et quitte à être dans l'utopie provocatrice, plutôt que de lier la rémunération à un niveau de qualification ou à un poste de travail tel que c'est le cas actuellement, pourquoi ne pourrions-nous pas considérer qu'une heure de la vie d'un individu vaut autant qu'une heure de vie d'un autre individu ? Et pour les études et la formation pro, on les rémunère et on les compte dans les droits à la retraite. Par exemple.

Raison également pour laquelle, donc, j'ai signé cette tribune, même si je regrette qu'elle ne se place pas dans un cadre clairement anticapitaliste : sur ce sujet on peut vite aboutir à une toute autre conception du revenu de base selon qu'on le fait dans un cadre libéral ou pas.

On a là de quoi mener un débat riche et essentiel, qui a été mis au cœur de l'écologie politique par André Gorz notamment, et qui mériterait d'être boosté tant il entraine en réalité vers toutes les idées les plus subversives à l'époque de productivisme forcené dans laquelle nous vivons, où le citoyen est réduit à un producteur - consommateur : redéfinition des richesses et remise en cause de l'accumulation matérielle, revenu maximum autorisé, droit au temps libéré et rapport au travail, différence entre emploi et activité, lien entre qualification et rémunération, revalorisation des taches pénibles, abolition du chômage et du salariat, socialisation et usage collectif des gains de productivité, fin du précariat et émancipation des travailleurs qui ne seraient plus obligés d'accepter les conditions imposées par le patronat - à ce titre, quand Michel Husson rappelle que le chômage est un facteur du rapport de forces, je ne peux que l'approuver, même si je suis moins en phase avec lui sur l'indépassable horizon du salariat.  

Bref, le débat est vaste, il se situe en lien étroit avec l'écosocialisme, et il se poursuit, même s'il est hélas peu relayé... Cette tribune est aussi là pour ça.

N'hésitez pas à la faire connaitre.

bastamag.jpg

Un revenu pour tous, sans conditions

Publiée sur Bastamag le


Chômage de masse, pauvreté, précarité, pression insoutenable sur les ressources naturelles et sur les hommes... La bataille pour l’emploi et la course à la croissance menées depuis plus de 30 ans semblent conduire à une impasse. Face à ce constat, des personnalités de différents bords politiques suggèrent de changer de logiciel de pensée et soutiennent l’instauration d’un revenu de base : le droit à un revenu pour tous, sans condition. Ils appellent à signer l’Initiative Citoyenne Européenne en cours, afin d"obliger l’Union européenne à ouvrir le débat sur le sujet.

Notre pays n’a jamais été aussi riche. Pourtant, 8,5 millions de Français, dont 2,5 millions d’enfants, vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté. Nous sommes installés depuis quarante ans dans une situation de chômage de masse qui touche près de 5 millions de personnes. De nombreux travailleurs sont en situation précaire, occupent des temps partiels subis ou des emplois trop mal payés pour les sortir de la pauvreté. Sans compter l’explosion de la souffrance au travail qui, en plus de coûter 3 à 4% du PIB, détruit des vies.

La solution à ces problèmes, nous dit-on, serait la croissance économique. Or malgré tous les efforts mis en œuvre pour la retrouver depuis quarante ans, celle-ci n’a jamais suffi à résorber le chômage. Au contraire, les gains de productivité réalisés au cours du dernier siècle ont permis d’automatiser de nombreuses tâches, réduisant ainsi le besoin de main d’œuvre. En outre, l’explosion de la production industrielle nous a conduits à accroître notre pression sur les ressources naturelles et nos émissions de gaz à effet de serre.

Notre proposition : le revenu de base

Mais ce constat ne constitue pas un horizon indépassable. Nos sociétés modernes sont en mesure d’assurer à tous une vie digne. Pour y parvenir dès maintenant, nous, citoyens français et européens de tous bords politiques, demandons l’instauration d’un revenu de base. Il s’agit de distribuer à tous, de la naissance à la mort, un revenu inaliénable, inconditionnel, individuel et cumulable avec les revenus du travail salarié et du patrimoine, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie.

Il ne faut pas voir dans le revenu de base une nouvelle forme de charité ou un simple outil pour gérer la pauvreté, mais un nouveau droit humain garanti par la société au même titre que le droit à l’éducation ou le droit de vote.

Le revenu de base donne sens à l’article 25 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme : “Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille”. Le Conseil européen a d’ailleurs reconnu l’existence d’un "droit fondamental de la personne à des ressources et prestations suffisantes pour vivre conformément à la dignité humaine".

Sans revenu, pas de citoyen

L’idée du revenu de base n’est pas nouvelle. Dès la fin du XVIIIème siècle, l’homme politique franco-américain Thomas Paine la défendait dans son essai sur La Justice Agraire en expliquant que “sans revenu, point de citoyen”. Depuis, de nombreux penseurs lui ont emboîté le pas, dont 5 prix Nobel d’économie (James Meade, James Tobin, Milton Friedman, Jan Tinbergen et Herbert Simon).

Le revenu de base a été expérimenté au Canada, en Inde en Namibie et en Alaska, avec des résultats notables sur le développement de petites activités productives, l’éducation des enfants, l’accès aux soins, la diminution de la délinquance et une construction positive de soi. Et ce projet séculaire pourrait bientôt devenir réalité. Suite à une forte mobilisation citoyenne, les citoyens suisses décideront par référendum d’ici 2015 d’inscrire dans la loi le versement d’un revenu de base 2500 francs suisses [1] à tous les résidents du pays.

Le revenu de base libère le travail et les initiatives humaines

Le revenu de base est un vecteur de transformations positives pour notre économie et notre société. Il ne permet pas seulement d’éradiquer la misère et de relancer une économie laissée atone par l’insuffisance de la demande. Il libère également des énergies nouvelles en donnant la possibilité à chacun de choisir librement une activité réellement épanouissante et enrichissante, utile socialement et économiquement.
En nous soulageant du travail subi et de la contrainte vitale que représente la recherche d’un moyen de subsistance, le revenu de base permettrait de travailler autrement. Il libère du temps pour donner un nouveau souffle à l’activité associative, l’engagement citoyen, les projets professionnels, la création artistique et ainsi recréer du lien social, familial et de la confiance dans nos villes, nos quartiers et nos villages.

Au-delà de ses effets positifs sur la pauvreté, l’activité économique et le lien social, le revenu de base permet de mettre fin aux effets pervers du système actuel d’aides sociales générant humiliations et stigmatisations injustifiées [2]. Inconditionnel, le revenu de base est distribué automatiquement, sans qu’aucune démarche ne soit nécessaire pour le percevoir. On peut en outre accepter un emploi sans craindre de perdre son revenu de base, ni même de le voir diminué, contrairement au RSA. Ainsi, avec le revenu de base, le travail paie toujours.

Une proposition économique équilibrée

Le revenu de base n’a pas vocation à se substituer à notre modèle social mais plutôt à le parfaire pour le rendre plus émancipateur. Les travaux d’experts sur son financement ne manquent pas. Seule la volonté politique fait encore défaut. C’est pourquoi nous, citoyens français, suisses et européens, au-delà de nos clivages politiques et idéologiques, soutenons et signons l’Initiative Citoyenne Européenne (ICE) pour le revenu de base. Nous avons jusqu’au 14 janvier pour récolter 800 000 signatures à travers l’Europe et ainsi contraindre la Commission Européenne à étudier cette proposition.

Le Revenu de Base n’est pas une solution clé en main à tous les problèmes actuels. Mais il pose les bases d’une société plus juste, plus humaine, et propose enfin une vision positive du 21ème siècle.

Pour signer l’initiative citoyenne européenne : http://basicincome2013.eu/ubi/fr/

Voir le mouvement français pour un revenu de base

Premiers signataires : Yves Cochet (eurodéputé écologiste, ancien ministre), José Bové, Eva Joly, Karima Delli, Michèle Rivasi (eurodéputé(e)s), Jean Desessard (Sénateur EELV), Christophe Girard (Maire PS du 4ème arrondissement de Paris, Conseiller régional IDF), Corinne Morel Darleux (Conseillère régionale Rhône Alpes PG - FdG), Paul Ariès (rédacteur en chef de la revue les Z’indigné(e)s), Jean-Paul Jouary (philosophe), Vincent Liegey, Stéphane Madeleine, Anne-Isabelle Veillot et Christophe Ondet (auteurs du manifeste pour une dotation inconditionnelle d’autonomie), Yves Citton (enseignant et philosophe) et la revue Multitudes, Baptiste Mylondo (enseignant en économie et philosophie politique), Marie Pezé (docteur en psychologie, spécialiste de la souffrance au travail), Marc de Basquiat (docteur en économie), Étienne Chouard (enseignant, blogueur), David Poryngier (Président du Mouvement des libéraux de gauche), Thierry Crouzet (écrivain, blogueur).

[1Soit environ 2000 €, ce qui correspond au seuil de pauvreté suisse

[2Complexité administrative, fort taux de non recours, effets de seuil économiquement néfastes

Haut de page